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Six cents invitations avaient été distribuées aux personnes de la première distinction, et l'on s'y était rendu de toute part avec un empressement qu'expliquait et justifiait d'ailleurs la haute naissance de cette abbesse, fille du Régent et de Marie de Bourbon.

Mais, disons d'abord ce qu'était l'église abbatiale de Chelles.

On s'est trop souvent mépris sur la valeur esthétique de ce monument, que quelques écrivains des deux derniers siècles s'osbtinaient encore à faire remonter au IX. siècle. Que dire, par exemple, de l'abbé Chastelain, qui avait vu sur un cintre roman, en anse de panier, des hierogliphes Egyptiaques?

Sans doute, une somptueuse basilique qu'avait fait édifier la princesse Eghisla (XI. siècle), avait remplacé celle de Ste.-Croix, élevée au VII. siècle par la reine Ste.-Bathilde, mais son existence n'avait pas dépassé le XIII. siècle.

Car on sait qu'en 1225, cet antique monument étant devenu la proie des flammes, il fallut, pour le relever de ses ruines, avoir recours aux quêtes. C'était l'usage alors de promener les châsses par tout le royaume celles de Chelles partirent et revinrent riches d'aumônes.

La forme de la nouvelle église, restée la même à quelques changements près, jusqu'à l'époque de la révolution, était celle d'une croix latine. Trois nefs la divisaient intérieu-rement; les deux latérales tournaient autour du chœur, comme dans la plupart des églises construites au XIII®. siècle; la nudité des murs du grand comble était dissimulée à l'intérieur par des galeries ouvertes, surmontées de grandes fenêtres ogivales garnies de verrières de couleur.

La nef principale servait de chœur aux religieuses, selon la coutume dans les grands monastères. L'extrémité méridionale du transept, était occupée, en partie, par une tri

bune de plain-pied au dortoir, et où les religieuses se rendaient à minuit pour chanter les matines.

Du côté opposé, près l'autel de St.-Eloi, existait une grande pierre tombale, élevée de 0m. 34. environ, et sur laquelle était représenté au trait, Chlother III, revêtu de ses habits royaux et à ses pieds un lion. Une inscription en lettres gothiques de la fin du XVIo. siècle, portait:

Cy dessouls en cette voulte gist le corps de Chlotaire roy de France sixiesme roi chrestien et troisiesme de ce nom fils du Roy Clovis II et de Sainte-Beaudour (1) laquelle fonda ceste église en l'honneur de Notre-Dame et y mist vierges religieuses pour Dieu seruir et y donna grandes terres et privilèges qui furent confirmez par les saincts Peres de Rome et par Charlemagne et aultres roys de France et regna ledict Chlotaire quatre ans et trespassa lan de grace 666.

Mais cette date est fautive; on sait que Chloter III, d'abord roi par indivis, avec ses frères Hilderik II et Théoderik III, mourut sans enfants en 670, et que le majeur, Ebrowin, homme d'une rare énergie, disposa alors, sans l'aveu des grands, de la Neustrie et de la Burgundie, en faveur de Théoderik III. Cette inscription française n'était d'ailleurs que l'explication d'une autre, gravée sur la tombe même, en lettres gothiques capitales, de la fin du XIIIe siècle.

Une magnifique grille de fer et d'ordre corinthien, fermait le chœur. Cette grille, chef-d'œuvre de serrurerie, avait été exécutée par Pierre Denys, sous l'abbatiat de Louise d'Orléans. Cinq supports où étaient posées autant de châsses d'argent et de bois doré, en surmontaient l'entablement.

(1) Sainte Beaupteur, Bauteur, Baudour ou Bathilde.

Le sanctuaire, élevé de quelques marches au-dessus de l'aire de la nef et séparé par une balustrade de marbre noir, était orné d'incrustations de marbres variés. L'autel était d'ordre composite, enrichi d'ornements de cuivre doré; l'abbesse, Madelaine de La Porte de-La-Meilleraye, l'avait fait construire au XVII. siècle, ainsi que le tabernacle d'argent massif et plusieurs reliquaires de même métal.

Les stalles, données au XVI. siècle par Marie de Reilhac, attiraient surtout l'attention. Les voûtes du chœur, reconstruites sur un plan plus vaste au temps de Jehanne de La Rivière (1500-1507), portaient la date de 1540; c'était l'ouvrage de Madeleine de Chelles. Voici d'ailleurs qui le prouve:

Par seur Magdeleine de Chelles abbesse de Chelles
Fut mise ceste pierre pesante

De bien bon cœur et de grand zelles
En l'an cinq cens avec quarante (1540)
Qui soustient leur église et Cloistre
Leurs voultes aussy furent faictes

De leur église et parfaictes

Le seiziesme de juing a vespres (1).

Au dehors, on remarquait la flèche, haute de 204 pieds, tombée le 7 août 1797.

Il paraît que cette église resta inachevée jusqu'au commencement du XVI. siècle (1512), puisqu'à la demande de l'abbesse Marie II Cornu, une seconde dédicace en fut faite alors par l'évêque Etienne Poncher, de Paris, à cause des travaux importants qui y avaient été exécutés. Cependant,

(1) Cette inscription inédite, est remarquable par la beauté des caractères et surtout des majuscules qui commencent chaque ligne; elle se trouve dans une grande salle des bâtiments conventuels, où je l'ai découverte tout récemment.

neuf autels nouveaux furent encore érigés dans le cours de ce même siècle, et bénits, en 1546, par le cardina!-évêque Jehan du Bellay.

Dans le trésor de l'église, qui long-temps rivalisa avec celui de l'abbaye de Saint-Denys, se trouvaient, entre autres richesses :

1o. Les châsses d'argent ornées de pierreries, de Ste.-Bathilde et de Ste.-Bertille (XV. et XVI. siècles).

2o. Deux bustes aussi d'argent, dans lesquels étaient enchassés le chef de St.-Genès, archevêque de Lyon et celui de St.-Eloy, évêque de Noyon.

3o. Un calice d'or émaillé dont la coupe avait 0m. 15. de profondeur, sur un diamètre à peu près égal. Dom Martene pense que ce précieux calice avait été donné à l'abbaye de Chelles par S.-Bathilde, et qu'il servait les jours de communion sous les deux espèces, ce qui explique la cause de sa grande profondeur. La patène, également d'or émaillé, fut fondue au XVe siècle, pour faire la châsse de sainte Bathilde.

II.

Un mois avait suffi à peine à la transformation de cette église, en une vaste chapelle mortuaire.

Dans l'espace libre de chaque croisillon, on avait élevé à 13 pieds de haut, deux grandes tribunes qui joignaient immédiatement les piliers du chœur et ceux du sanctuaire.

La tenture, de drap noir, tombait, de la naissance de la voûte jusqu'à terre, et dissimulait exactement toutes les fenêtres. Les stalles, le pavé du chœur, du sanctuaire et de la nef, étaient couverts de tapis de drap noir.

Les quatre tribunes, tendues en plafond, étaient ornées de face, tant en haut qu'en bas, de grands rideaux retroussés par des cordons d'argent avec leurs glands. Pour faciliter l'en

trée du chœur aux dames de distinction, on avait remplacé le devant de la grille, par un portique de huit pieds de face, surmonté de son entablement.

Le catafalque était posé à l'entrée du chœur sur une estrade de dix pieds de haut, couvert d'un poële de velours noir à croix de moire d'argent et bordé d'hermine. A la tête, la couronne de France, ouverte, était posée sur un carreau de velours noir galonné d'argent, et couverte, ainsi que la crosse, d'un crêpe noir. Quatre figures d'enfants tenaient les coins du poële. Les gradins de l'estrade portaient quatrevingt-dix chandeliers d'argent, garnis de cierges armoriés.

A chaque extrémité de ces gradins étaient deux figures allégoriques, de grandeur naturelle, représentant la Charité et la religion, vertus principales de la princesse défunte. Le dais, élevé à une hauteur de 45 pieds était de velours noir, surmonté de plumes noires et blanches, le fond et les pentes couverts d'armoiries. Aux quatre coins, pendaient de grands rideaux de satin noir à bandes d'hermine, semés de larmes d'or et retroussés avec des cordons et glands d'argent.

Un autre dais de velours noir, à crépines d'argent avec sa queue et ses rideaux de satin herminé, le tout chargé d'armoiries, surmontait l'autel, à la hauteur de la tenture.

Les trois gradins de l'autel portaient 28 chandeliers d'argent, avec leurs bougies armoriées. Derrière était un rétable de velours noir, orné de quatre armoiries, et surmonté de douze chandeliers d'argent. Au-dessus, un tympan garni de bougies formait la continuation d'un immense filet de lumières, à fleurons dorés, qui occupait tout le pourtour du chœur des religieuses (130 pieds), à une hauteur de 13 pieds.

La première litre de velours semée de larmes d'argent et garnie de chiffres entourés de festons d'hermine, servait de pente à ce jet de lumière. La deuxième litre également de

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