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rentes régions de la péninsule. Leur parallélisme serait même une objection sans réplique contre l'hypothèse glacialiste. Examinons d'abord ce phénomène en Suisse, où il a été étudié avec le plus de soin et par des hommes qui ont une connaissance approfondie de la marche et des effets produits par les glaciers actuels. En Suisse comme en Suède, les stries affectent les directions les plus variées; il est facile de s'en rendre compte. La plaine qui sépare les Alpes du Jura était autrefois remplie par des glaciers qui débouchaient par les principaux bassins des rivières, dont la source est dans les Alpes: l'Arve, le Rhône, l'Aar, la Reuss, la Limmat et le Rhin. Mais chacun de ces glaciers, charriant les espèces de roches qui le caractérisent, avait une direction différente : ainsi, tandis que le glacier du Rhône traçait dans le Valais, entre Sion et Martigny, des stries dirigées de l'E.-N. E. à l'O.-S.-O., l'ancien glacier du Rhin antérieur nivelait dans la direction du S.-O. au N.-E. les roches moutonnées qui portent les ruines de la Baerenburg, près d'Andeer dans les Grisons, et le glacier du ValMontjoie rayait dans la direction du S.-S.-E. au N.-N.-O. les roches polies des environs de Nant-Bourant, au pied du col du Bonhomme. Il y a plus; la direction des stries gravées par un glacier n'est pas la même dans les différents points de son parcours. Aux environs de Saint-Maurice, par exemple, le glacier du Rhône a laissé sur le calcaire des stries orientées du S.-E. au N.-O., tandis qu'au-dessus de Vevay, la gompholite est striée presque dans la direction de l'E. à l'O. Celui de l'Arve a buriné, à l'issue de la vallée de Chamonix, en face du village des Ouches, des stries dirigées de l'E.-S.-E à l'O.-N.-O., tandis qu'en sortant de la vallée on trouve, au-dessus de la gorge des Montets, des sillons de plusieurs mètres de longueur dont la direction est du S.-S.-E. au N.-N.-O. De plus, les stries tracées par l'affluent d'un glacier, viennent souvent couper sous des angles très grands les stries gravées par le glacier principal. Ainsi, le glacier d'Argentière qui débouchait par le col de Salvent dans celui du Rhône, a laissé, comme traces de son passage, des stries presque perpendiculaires à celles de ce dernier. Les sillons de la vallée d'Urbach coupent ceux de la vallée de Hasli, etc., etc.

Je pourrais multiplier ces citations; je préfère emprunter quelques exemples aux glaciers actuels, afin de prévenir l'objection de quelques adversaires de l'ancienne extension des glaciers de la Suisse, qui, malgré l'identité des effets, nieraient l'origine glaciérique des stries qui se trouvent dans la plaine comprise entre les Alpes et le Jura. Imaginons un instant que le glacier de l'Aar ou

la mer de glace de Chamonix viennent à disparaître. On trouvera dans la vallée qu'ils occupaient, des stries longitudinales tracées par le glacier principal, et des stries transversales burinées par les glaciers affluents qui couperont les premières sous des angles plus ou moins aigus. On verra des stries ascendantes au rétrécissement des vallées, des stries croisées au point de rencontre de deux glaciers; en un mot, tout ce qui existe sur une plus vaste échelle dans la plaine suisse et en Scandinavie. Les phénomènes et l'explication seront les mêmes, seulement ils s'appliqueront à une plus grande surface de pays.

Ainsi, dans les plaines de la Suisse comme dans celles de la Scandinavie, les stries affectent des directions variées; or, en Suède comme en Helvétie, ces stries sont identiques en tout point à celles que burinent les glaciers actuels, différentes en tout point des canaux sinueux creusés par les eaux; or je ne crois pas qu'en bonne logique on puisse attribuer à un agent des effets identiques à ceux qu'un agent complétement différent produit tous les jours sous nos yeux.

Pour achever de prouver combien la méthode de M. Durocher est arbitraire et féconde en conséquences erronées, appliquons-la un instant à la Suisse. Un observateur trouve sur le bord méridional du lac de Brienz des stries dirigées du N.-E. au S.-O. : dans le Valais, il rencontre des stries ayant à peu près la même direction, qu'il retrouve encore dans la vallée de Chamonix, entre le Prieuré et le village des Ouches. Mettant en pratique les principes de M. Durocher, il réunit toutes ces stries, dont l'orientation est la même, et en fait un système d'érosion qui, de l'Oberland, passe par-dessus la haute chaîne des Alpes bernoises, traverse le col de Balme, et s'étend jusqu'au pied du Mont-Blanc, tandis qu'en réalité ces stries appartiennent à trois glaciers différents : celui de l'Aar, celui du Rhône et celui de l'Arve, qui n'avaient rien de commun entre eux, sinon que dans un point de leur parcours leurs directions étaient parallèles. Le même observateur sera forcé, pour être conséquent avec lui-même, de considérer comme faisant partie d'un seul système d'érosion les stries orientées de la même manière dans les Alpes, les Vosges et les Pyrénées, sur un espace einbrassant quatre degrés latitudinaux comme celui que comprennent plusieurs des systèmes de stries de M. Durocher; tandis qu'il est de la dernière évidence que ces stries ont été gravées par des glaciers descendant des montagnes dans les vallées, et non par un agent général allant du nord au midi ou de l'est à l'ouest.

Fidèle à son principe de prendre la direction des stries pour

guide unique dans l'étude du trajet suivi par l'agent qui les a tracées, le même observateur sera forcé d'envisager comme appartenant à des systèmes différents les sillons creusés par un glacier principal, et ceux qui ont été gravés par ses affluents. Dans la vallée occupée par le glacier de l'Aar (1), ce géologue considérera comme faisant partie d'un système les stries dirigées de l'O. à l'E. que ce glacier a burinées sous nos yeux, et comme appartenant à un autre système celles de ses affluents, les glaciers du Thierberg, du Silberberg, du Grünberg et du Zinkenstock, qui viennent couper les premières sous des angles plus ou moins ouverts.

La méthode suivie par M. Durocher me paraît donc vicieuse, soit qu'on l'applique à l'hypothèse des glaciers, soit qu'on veuille la faire servir à celle des courants; car, dans l'une et dans l'autre, on ne saurait prendre l'orientation des stries comme indication unique de la marche suivie par l'agent qui les a tracées, sans avoir égard à tous les autres indices qui peuvent nous faire connaître cette direction. Le problème n'est pas insoluble, puisque M. A. Guyot est parvenu à figurer sur la carte l'espace occupé par les différents glaciers qui couvraient autrefois la plaine comprise entre les Alpes et le Jura. Mais outre la direction des stries, il a eu égard à la nature minéralogique des roches transportées, à leur mode de dispersion, soit à l'état sporadique, soit sous la forme de moraines latérales, médianes ou terminales. Il a suivi ces matériaux depuis leur point de départ dans les Alpes jusqu'à leur point d'arrivée sur le Jura, et il a pu ainsi circonscrire le domaine de chaque glacier avec autant d'exactitude que l'on trace les limites d'une formation superficielle (2).

(4) Voyez le plan du glacier de l'Aar. Bulletin de la Société géologique, 2e série, t. III, planche V, fig. 12.-Séance du 2 mars 1846, (2) Dans son premier Mémoire, M. Durocher avait attribué à des courants diluviens des canaux sinueux, ramifiés et anastomosés entre eux, qu'il avait vus au bord de la mer (1). Dans celui-ci, il signale des contradictions dans les explications que nous en avons données, MM. Agassiz (2), Escher de la Linth (3), P Schimper (4) et moi (5). Or, tous les quatre, nous avons attribué à l'action de l'EAU les canaux sinueux et anastomosés observés par M. Durocher; seulement, MM. Agassiz et Escher ont considéré les stries gravées dans l'intérieur de ces canaux comme des stries de glaciers M. Schimper les attribue

(1) Voyez la forme de ces canaux sinueux. Bulletin de la Société géologique, 2e série, t. III, pl. l. fig. 1, 5 et 8; celle des stries de glaciers, pl. II, fig. 3, 4, 5 el 6. (2) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXI, p. 133. - 15 decembre 1845. (3) Bulletin de la Société geologique, 2e serie, t. III, P. 256. 19 janvier 4846. (4) Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XXII, p. 43. 5 janvier 1846. (5) Br lletin de la Société géologique, 2e série, t. lil, p. 441, — 15 decembre 1845,

Caractères des dépôts de transport dans le nord de l'Europe.

Dans le pays plat, ce terrain se présente tantôt sous l'apparence de vastes dépôts à surface plane, tantôt sous celle de terrasses échelonnées les unes au-dessus des autres, ou sous la forme de levées ou de monticules allongés, connus sous le nom d'osars (sandosars des Suédois). Dans les montagnes, il forme des amas irréguliers, sans figure géométrique déterminée. Au lieu de rechercher les sigues caractéristiques qui peuvent éclairer sur la nature de ces différents dépôts, M. Durocher se borne à décrire leur forme et celle des matériaux qui les composent, comme si cette forme et la plus ou moins grande proportion de sable, de cailloux, de blocs anguleux ou arrondis, pouvaient seules nous dévoiler leur origine. Dans son premier Mémoire, il semblait séparer les osars des autres terrains de transport, et admettre, d'après les observations de M. Lyell, que leur origine est plus récente. Dans celui-ci, cette distinction n'existe plus, l'auteur ne se préoccupe plus de savoir s'ils contiennent des ccquilles et si ces coquilles sont identiques à celles qui vivent actuellement dans les mers voisines, ou bien si elles appartiennent à l'Océan glacial ou à des mers plus chaudes. Jamais il ne fait la moindre allusion à l'absence ou à la présence de ces cailloux frottés et striés (1), qui sont caractéristiques des moraines. Il en résulte que le lecteur, après avoir parcouru ce chapitre, ne saurait se former la moindre idée de la nature et de l'origine de ces dépôts, si différents entre eux. Cependant, déjà avant M. Durocher, les recherches de

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à l'action des vagues. Quant à moi, je ne me suis point prononcé sur l'origine de ces stries, qui ne m'étaient connues ni par des échantillons, ni par une description détaillée ou par des dessins fidèles. Aussi, dans ma première réponse, je n'ai point parlé de ces stries, et dans la seconde, je m'exprimais ainsi (6): « Le reste de l'argumentation de M. Durocher, supposant ce que je n'ai pas dit, savoir, que les stries gravées à l'intérieur des canaux sinueux auraient été burinées par des glaciers, je n'ai point à m'en occuper. » Ainsi, comme on le voit, nous sommes d'accord sur l'origine des canaux sinueux, seulement M. Schimper diffère de MM. Agassiz et Escher dans l'explication d'un détail, les stries de l'intérieur des canaux.

(1) Ces cailloux ont déjà été décrits en 1842 dans l'Edinburgh new philosophical Journal, p. 223, et dans la Bibliothèque universelle, t. XLI, p. 425.

(6) Ibid., ze série, t. III, p. 258.

MM. Hisinger (1), Lyell (2), Keilhau (3), et depuis, celles de MM. Forchammer (4), Loven et Desor, ont jeté quelque lumière dans ce chaos.

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Sous le nom de dépôt de transport, M. Durocher a réuni dans une même dénomination trois terrains bien distincts : 1° les anciennes moraines, qu'il décrit (pag. 64) sous le nom de dépôts formés dans les ravins de hautes montagnes. » Lui-même reconnaît l'analogie de leur forme avec celle des moraines des glaciers actuels. Malheureusement il ne s'est pas assuré s'ils contenaient des cailloux frottés ou striés. Négatif ou positif, ce caractère était d'une telle importance, que je suis forcé de croire qu'il lui était complétement inconnu; car il aurait dû rechercher ces cailloux avec d'autant plus d'empressement que leur absence eut été une preuve décisive que ces amas ne sont pas des moraines, mais des dépôts uniquement aqueux.

2o Lorsque le dépôt de transport se présente sous forme de surfaces unies ou de terrasses, il offre une stratification imparfaite, et sa forme extérieure accuse l'action des eaux. Mais ces dépôts sont presqu'ontièrement formés de cette couche de boue, de sable et de graviers (moraine profonde) qui se trouve à la partie inférieure de tous les glaciers, remaniée postérieurement par les eaux. La preuve en est dans la présence de gros cailloux, ou plutôt de blocs striés par la glace, blocs qui n'existent ni dans la mer, ni dans les lacs, ni dans les torrents; car, non seulement le charriage par l'eau ne strie pas les cailloux, mais il efface les stries, comme on peut s'en assurer dans tous les torrents qui sortent des glaciers de la Suisse. Pendant le voyage qu'il a fait cet été dans la Scandinavie méridionale, M. Desor a trouvé ces cailloux striés, en Danemarck, dans le terrain de transport à surface plane, à travers lequel passe le chemin de fer de Copenhague à Roeskild, et aux environs de Kioege, sur la côte de Seeland, au sud de la capitale. En Norvége, il les a retrouvés dans le terrain de transport en forme de terrasses de Sorgenfry, près de Christiania, sur la route qui mène de cette ville à Krogleben, et dans les dépôts limoneux des bords de la

1) Antekninger i physik och geognosie, t. IV.

2) On the proofs of the gradual rising of the land in certain parts of Sweden. Philosophical transactions, 1835; et en français, Memoires de la Société des sciences naturelles de Neuchatel, t. I, p. 200. (3) Nyt magazin for naturviderskaberne, t. III, p. 169. 1842. (4) The Athenæum, n° 987, 26 septembre 1846, p. 1003.

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