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paces sans glaciers ni sans neiges : on a donc de la peine à se représenter des glaciers directement exposés au midi, descendant jusque dans le bassin du Pô, à une hauteur peu considérable au-dessus de la mer. Je pense que l'on s'exagère l'influence des climats humides pour favoriser le développement des glaciers cette influence est réelle, mais moindre qu'on ne le suppose; ainsi sur les régions littorales du nord de la Norvége, de l'Islande, et sur les îles de l'océan glacial, qui offrent les types les mieux caractérisés des climats humides, on n'observe pas un développement d'effets glaciaires semblable à celui qui aurait eu lieu dans les Alpes lors de la période diluvienne.

On sait que sur le flanc méridional du Jura les blocs erratiques amenés le long de la vallée du Rhône se sont déposés depuis Gex jusqu'à Bienne : si l'on réfléchit à la grande étendue en largeur occupée par ce dépôt, il paraît peu probable que ce soit la moraine frontale du glacier que l'on suppose avoir rempli la vallée du Rhône. En effet, avant de déboucher dans la plaine suisse, ce glacier n'aurait eu que deux lieues de largeur au plus, tandis que sur la pente du Jura sa largeur eût été de plus de 30 lieues; ainsi depuis Villeneuve jusqu'à la montagne de Chasseron, sur une distance d'à peu près 15 lieues, il se serait élargi de plus de 28 lieues. Je pense que les glaciers sont susceptibles de s'étendre un peu lorsque leur lit vient à s'élargir; mais lors même qu'on les considère comme des masses douées de viscosité ou de plasticité, il paraît difficile d'admettre qu'ils puissent subir une pareille expansion.

Si l'on examine l'élévation du terrain erratique au-dessus du fond de la vallée du Rhône, on remarquera qu'elle diminue très peu depuis l'origine de cette vallée jusqu'à son embouchure dans le bassin du lac de Genève, et là où il y a une diminution de hauteur, elle paraît tenir principalement à l'élargissement de la vallée ; ainsi, d'après M. de Charpentier, dans les environs de Bex et d'Aernen, la limite supérieure du terrain erratique est à environ 2,800 pieds au-dessus du Rhône; depuis Brieg jusqu'au – dessous de Martigny (partie large), elle est à 2,500 pieds; mais entre Martigny et Saint-Maurice, où la vallée se resserre, la limite s'élève jusqu'à 3,000 pieds, et, depuis là, l'élargissement qui a lieu la maintient à 2,300 pieds jusqu'à l'entrée dans la Basse - Suisse. L'épaisseur du glacier, supposé avoir produit le terrain erratique, aurait donc varié en raison des élargissements et rétrécissements de la vallée, mais elle n'aurait éprouvé qu'une faible diminution sur un parcours de 134 kilomètres, qui, en supposant un avancement de 200 mètres par an, aurait exigé un laps de temps de 670 ans.

Ce fait a lieu d'étonner quand on voit les glaciers actuels, même à une élévation de 6 à 7,000 pieds, éprouver chaque année, à leur surface supérieure, une ablation de plusieurs mètres; cette destruction superficielle est loin d'être compensée par l'accroissement que peuvent éprouver les glaciers à l'intérieur, par la congélation de l'eau qui s'y infiltre; elle augmente à mesure que les glaciers descendent dans des zones atmosphériques de plus en plus chaudes, et les maintient dans leurs limites actuelles. Pour que l'ablation des glaciers diluviens ait été très minime et ait pu être compensée par l'accroissement provenant de la congélation à l'intérieur, il aurait fallu qu'à cette époque le climat fût peu différent de celui qui existe aujourd'hui dans la zone des neiges permanentes; mais il est remarquable que sur le Chasseron (versant méridional du Jura) le dépôt des blocs erratiques s'élève, d'après les mesures de M. de Buch, jusqu'à 3 100 pieds au-dessus de la plaine suisse, tandis qu'à Villeneuve il ne s'élève qu'à 2,300 pieds au-dessus du Rhône; il faudrait donc qu'en traversant la plaine il eût éprouvé une augmentation d'épaisseur de 800 pieds, malgré son énorme élargissement, ou bien qu'il eût remonté sur la pente du Jura, conséquences difficiles à admettre si les glaciers se meuvent sous l'action de la gravité, comme le démontrent les expériences de M. Forbes.

Considérations comparatives sur les théories glaciaire et diluvienne.

Néanmoins, il faut reconnaître à la théorie glaciaire un avantage incontestable, celui de faire intervenir des agents qui produisent encore de nos jours, mais sur une échelle beaucoup plus petite, des effets analogues à ceux qui ont eu lieu anciennement, et c'est cet avantage qui lui a conquis beaucoup de partisans dans ces dernières années, tandis que, dans la théorie diluvienne, les causes que l'on suppose avoir été en jeu ne fonctionnent pas aujourd'hui dans les mêmes conditions qu'autrefois, et, par suite, elles ne produisent pas sous nos yeux des effets tout-à-fait semblables à ceux du phénomène erratique; ainsi on n'a pas observé que l'eau des rivières produisît des érosions en forme de stries fines, lors même qu'elle entraîne avec elle des sables et des graviers; il est effectivement peu probable que des grains de sable disséminés dans un courant d'eau puissent entamer la surface de roches très dures et y creuser des cannelures rectilignes; mais si une masse énorme de détritus, formant un courant boueux d'une grande épaisseur, est entraînéc avec rapidité, elle exercera un frottement

considérable à la surface des rochers, et sera susceptible de l'éroder de même que les glaciers. Cette supposition de courants très puissants, qui a été admise depuis Saussure jusqu'à cette époque, présente des difficultés véritables; elle implique des conditions. que ne peut réaliser l'état de repos où se trouve actuellement notre globe: elle exige un cataclysme, tandis que les conditions de la théorie glaciaire paraissent être plus simples et se réduire à un changement de climat. Mais si l'on examine les contrées boréales qui sont soumises à un très grand froid et entourées d'une atmosphère très humide, on n'y remarque pas un développement d'actions glaciaires qui justifient les exigences de la théorie, surtout en ce qui concerne les phénomènes erratiques de la Scandinavie. Un abaissement de plusieurs degrés dans la température moyenne pourra produire, dans les Alpes et dans la Scandinavie, des effets analogues à ceux qui ont lieu au Gröenland ou au Spitzberg, mais elle ne pourra déterminer le développement et le mouvement des glaciers dans des conditions autres que celles où ils ont lieu aujourd'hui. Un des points essentiels de la question consiste donc à rechercher si ces conditions coïncident avec celles où s'est produit le phénomène erratique, et jusqu'à présent les données que l'on possède à cet égard ne me paraissent pas être à l'avantage des glacialistes.

Remarques sur le Mémoire de M. Durocher, intitulé : « Études sur les phénomènes erratiques de la Scandinavie, » par Ch. Martins.

Lorsque M. Durocher publia son premier mémoire sur le terrain erratique de la Scandinavie (1), j'eus l'honneur de faire remarquer à la Société combien les faits observés par ce voyageur s'expliquent aisément, en supposant une ancienne extension des glaciers de la Suède et de la Norvège (2). Il en est de même de celui-ci, dans lequel l'auteur est obligé de se borner à raconter ce qu'il a vu, renonçant à expliquer la plupart des phénomènes géologiques qu'il signale par l'hypothèse des courants diluviens.

(1) Bulletin de la Société géologique, 2a série, t. III, p. 45. 1845

(2) Ibid., p. 102.

Direction des stries.

Le nouveau mémoire de M. Durocher commence par l'étude de la direction des stries dans le midi de la Scandinavie. Il donne une carte de ces directions variées dans laquelle il comble quelques lacunes laissées par MM. Seftstroem (1), Boethling (2), Siljestroem (3) et Keilhau (4). Mais ces lacunes sont peu nombreuses, et en réunissant les trois cartes dont nous venons de parler, il serait facile de reconstruire celle de M. Durocher.

Le résultat général des nouvelles recherches de l'auteur, c'est que les directions des stries ne sont point parallèles, ni dans les différentes provinces de la péninsule ni même dans une localité très circonscrite; mais qu'elles font souvent entre elles, soit dans la même contrée, soit dans des provinces fort éloignées, des angles plus ou moins ouverts. MM. Siljestroem et Keilhau étaient déjà arrivés au même résultat, sans en chercher l'explication. M. Durocher l'a essayé; mais embarrassé de la multiplicité de ces directions, il s'efforce d'abord de les ramener à plusieurs systèmes ou groupes différents. Ainsi, par exemple (5), aux environs de Christiania et du lac Mioesen, il constate que la plupart des stries ont une certaine orientation. Autour d'Areskutan, à 380 kilomètres, au nord, il en retrouve d'autres à peu près parallèles aux premières, et sans avoir visité la région intermédiaire, sans tenir compte des stries qui dans ces contrées forment des angles considérables avec celles qu'il a choisies, il en conclut qu'un même système sulcateur

(1) Untersuchung über die auf den Felsen Scandinaviens in bestimmter Richtung vorhandenen Furchen. Annales de physique de Poggendorff, t. XLIII, p. 533. 4838. Avec une carte de la direction de ces stries dans toute la Suède méridionale, du 56o au 61° degré de latitude.

(2) Ueber die diluvial Schrammen in Finnland. Annales de physique de Poggendorff, t. LII, p. 644. 4844. Avec une carte de l'orientation des stries en Finlande.

Geo

(3) Voyages en Scandinavie de la Commission du Nord. graphie physique. T. I, p. 493, avec une carte de toute la Scandinavie, et la direction moyenne des stries en Norvège, tracée par M. Bravais, d'après les indications de l'auteur.

(4) Reise fra Christiania til den oestlige Deel af Christiansands stift i sommeren 1840. Nouveau magasin pour les sciences naturelles de Christiania, t. III, p. 169. 4841-1842. Avec une carte présentant l'orientation des stries dans la partie occidentale du golfe de Chris

tiania.

(5) Voyez dans ce volume la carte de M. Durocher.

(c'est l'expression qu'il emploie ) s'étendait jadis du 63° au 59° degré de latitude, et marchait du nord vers le sud de la Norvège. L'auteur agit de même pour les stries qui présentent une orientation semblable à Gefle, sur le bord du golfe de Bottnie et aux environs de Gothembourg, ville située sur la mer du Nord. Ce mode de procéder me semble tout-à-fait arbitraire; car on pourrait tout aussi facilement former d'autres groupes complétement différents des premiers, et qui ne reposeraient pas sur des bases plus réelles. Pourquoi, par exemple, ne pas considérer, comme faisant partie d'un même système, les stries dirigées du N.-N.-O. au S.-S.-E. dans les environs d'Areskutan, en Norvège, et les stries, orientées dans le mème sens, qui couvrent la Finlande? Afin de justifier l'établissement de ces divers groupes, il aurait fallu prouver préalablement que les stries orientées de la même manière sont l'effet d'un agent unique, non discontinu, tel qu'un courant ou toute autre masse capable de laisser des traces de son passage; or, c'est ce que M. Durocher n'a point fait. Ajoutons qu'il ne se laisse pas arrêter par les directions des stries qui viennent couper ses différents groupes sous des angles plus ou moins ouverts. Ainsi le prolongement du grand système dirigé du N.-N.-O. au S.-S.-E. du lac d'Oestersund au lac Maelar près de Stockholm, c'est-à-dire du 63° au 59° degré de latitude, est à angle droit avec la direction des stries de l'île de Gottland. Les stries dirigées du N. au S. dans le midi de la Suède sont coupées sous un angle de 450 par celles des environs de Cimbrishamn. En outre, M. Durocher laisse en dehors de ses dix systèmes d'érosions, toutes les stries dont la direction ne s'y rattache pas commodément; celles, par exemple, qui rayonneut autour des groupes des montagnes du Suletimten, au fond du Sognefiord; celles des environs du Sneehaetten, d'Ekesjoë, de Wexioë, de Carlskrona, de Cimbrishamn, de l'île de Gottland, etc. ; et malgré toutes ces licences, quand il s'agit de conclure, l'auteur reste muet devant la puissance des faits qui lui démontrent que ce n'est pas l'eau qui a buriné les stries dont il s'occupe car il faudrait admettre dix courants parfaitement rectilignes qui se seraient dirigés simultanément ou successivement vers les quatre points cardinaux, sans se dévier de leur direction en ligne droite; supposition inadmissible et contraire à tout ce que nous savons des lois qui régissent les cours d'eau, quels que soient leur violence et leur volume.

L'ancienne extension des glaciers scandinaves explique facilement les directions variées qu'affectent les stries dans les diffé

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