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vent un passage des dépôts grossièrement stratifiés et en forme de terrasses, aux amas confus de matériaux anguleux de dimensions très diverses. Quelquefois le dépôt de transport, composé de sable, graviers, cailloux et blocs, offre des piédestaux cylindriques, couronnés par des blocs et des cônes très réguliers, comme on le voit dans la figure 11, dessinée près Villevieille de Queyras (HautesAlpes); c'est un effet de l'action des eaux pluviales; dans les parties où il n'y a pas de blocs, cette action donne naissance à des pyramides; mais dans les parties où il y a des blocs, ceux-ci préservent le dépôt situé au-dessous, et il prend alors la forme d'un piédestal.

Disposition des blocs erratiques.

La disposition des blocs erratiques dans les Alpes, soit qu'ils se trouvent disséminés, soit qu'ils forment des groupes, a été très bien décrite par de Saussure, de Buch, de Luc, et plus récemment par M. de Charpentier. Les gros blocs sont ordinairement très nombreux dans les accumulations de débris qui ont comblé le fond des vallées dans leurs parties étroites; ailleurs on les voit disséminés sur le fond des vallées, ou sur la pente des montagnes qui les bordent; généralement, ils sont réunis par groupes qui ressemblent beaucoup aux amas de blocs que l'on trouve sur le penchant ou sur le haut des collines en Scandinavie, dans le nord de l'Allemagne ou de la Russie; un des traits particuliers de ces groupes, soit dans les Alpes, soit dans le nord de l'Europe, c'est que plusieurs blocs paraissent être tombés les uns sur les autres et s'être brisés dans leur chute. Plusieurs de ces groupes, tels que celui de Monthey, forment de petites bandes allongées, à peu près horizontales, déposées sur l'un des côtés de la vallée; d'autres, au contraire, couvrent sur toute son étendue le flanc d'une montagne. Ces deux manières d'être, et principalement la dernière, se voient très fréquemment, non seulement dans les Alpes, mais aussi dans les Vosges et dans les Pyrénées. En général, ces amas ne sont point reliés ensemble de manière à former une ligne continue, ils sont le plus souvent séparés les uns des autres.

Les dépôts de blocs que j'ai vus dans les Vosges offrent les mêmes caractères que ceux des Alpes; il n'y a de différence que dans la distance à laquelle s'est effectué le transport de très gros fragments; elle est beaucoup moindre dans les Vosges et ne m'a pas paru dépasser une dizaine de lieues.

Sur les dépôts de transport dans les Pyrénées,

Les dépôts de transport des Pyrénées offrent la même disposition que ceux des Alpes et des Vosges; on y voit des entassements confus et des dépôts grossièrement stratifiés, semblables aux terrasses de la vallée de la Moselle, de celle du Rhône, du Rhin, etc.; ils présentent des indices de stratification d'autant plus visibles qu'ils sont plus éloignés de l'axe de la chaîne Ainsi il y a de magnifiques terrasses dans la vallée de la Garonne à partir de Saint-Bertrand-de-Comminges, dans celle de l'Ariége à partir de Tarascon, et aussi sur le versant espagnol des Pyrénées, dans les vallées de la Segre, de l'Essera, etc. La plaine de Puycerda est assez remarquable, elle est formée de cailloux roulés, et dans le diluvium pyrénéen elle représente l'équivalent de la Crau dans le diluvium alpin, mais comme le dépôt des cailloux s'est fait beaucoup plus près de l'axe de la chaîne, ils sont plus gros et moins bien roulés. L'espace qu'ils recouvrent a été nivelé et a formé une plaine unie que l'on est étonué de rencontrer au milieu d'une région montagneuse.

Le dépôt diluvien que l'on voit près de Foix est stratifié, renferme de très gros cailloux roulés et de petits blocs de granite d'environ 1 mètre de largeur; il ne s'élève pas à plus de 50 mètres au-dessus du niveau actuel de l'Ariége; on voit à sa surface, dans la plaine de Montgaillard des blocs erratiques de granite ayant jusqu'à 25 mètres cubes Dans les Pyrénées, le dépôt de transport forme souvent des brèches à ciment calcaire; elles se produisent encore maintenant dans les lieux où les débris erratiques de roches primitives ont été déposés sur des terrains calcaires, ou renferment des fragments calcaires; ils sont alors pénétrés par des infiltrations d'eau contenant en dissolution du carbonate de chaux qui cimente la masse et la fait passer à l'état de brèche ou de poudingue.

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Blocs erratiques dans les Pyrénées,

Dans les vallées pyrénéennes les blocs erratiques les plus abondants sont formés de granite, il y en a quelques uns d'ophite, de roches porphyriques et de quartzite; mais il est plus rare de trouver de gros blocs de roche calcaire ou schisteuse ; j'en ai observé dans toutes les grandes vallées et sur les flancs de rochers qui les bordent, soit sur le versant espagnol, soit sur le versant français ; mais en général les gros blocs anguleux me paraissent ne point

avoir pénétré dans les plaines qui s'étendent au pied des Pyrénées; la plupart se sont arrêtés avant l'embouchure des grandes vallées dans ces plaines, et même il en est peu qui se soient avancés jusqu'aux dernières collines de terrain crétacé et tertiaire qui forinent les contreforts des Pyrénées; ainsi dans la vallée d'Ossau les blocs détachés soit du pic du Midi, soit des flancs de la vallée, ne s'avancent pas beaucoup au-delà d'Arudi, et je n'en ai point observé dans la plaine de Pau. Les blocs détachés des hautes cimes qui dominent Barèges, Gèdres, Gavarni, Cauterets, ont été déposés dans le bassin d'Argelez, ou un peu auparavant; beaucoup d'entre eux se sont arrêtés dans les parties supérieures des vallées. Dans la vallée de la Garonne, on n'en trouve plus au-delà de la Broquère, et dans celle de l'Ariége au-delà de Saverdun. Dans celle de la Tèt, on en remarque jusqu'à une assez grande distance de son origine; ce qui paraît tenir à ce que les flaucs de cette vallée sont formés de montagnes granitiques d'une assez grande élévation jusqu'auprès de son embouchure dans la plaine du Roussillon; mais je n'ai pas remarqué de blocs erratiques dans le grand bassin qui forme l'ancien Delta de la Têt, et dont Perpignan occupe le centre. En général, on en rencontre beaucoup plus loin dans les parties inférieures des vallées lorsqu'elles sont flanquées de hautes montagnes. Parmi les blocs erratiques qui ont parcouru la plus grande distance, on peut citer l'on trouve dans la vallée de la Garonne près de SaintBertrand-de-Comminge et la Broquère. Là, on en voit quelques uns de granite à gros cristaux de feldspath, semblables à celui qui constitue le massif du port d'Oo; ils doivent avoir fait un chemin d'une douzaine de lieues.

ceux que

Les agglomérations de blocs les plus abondantes se trouvent vers les hautes régions des vallées, et j'ai observé que les grands quartiers de roche, partis de chaque vallée latérale, ne s'étendent pas beaucoup au-delà de sa jonction avec la vallée principale ; ainsi les amas de blocs granitiques sont très multipliés sur les montagnes calcaires de la vallée de Vicdessos, sur celles de Rancié, de Miglos, de Gourbit, de Rabat, etc. Il y a une foule de vallées secondaires où l'on voit de très grands amas de blocs; mais dans les grandes vallées, on ne voit guère d'amas partis des vallées latérales que près de leur jonction ; car c'est souvent à cet endroit que s'est arrêté le convoi parti de ces vallées, ou bien encore aux points de courbure des vallées, et ils sont placés habituellement sur le côté qui devait opposer comme une barrière au mouvement du convoi; cette observation a été faite aussi par M. de Collegno.

En général, il m'a paru que la plus grande masse des gros blocs livrés au transport n'a pu être emportée fort loin, et qu'elle a été déposée en majeure partie avant d'avoir parcouru une longne distance, et que ce sont des débris de cette masse qui ont été entraînés vers les parties inférieures des vallées. Le diluvium pyrénéen offre encore une circonstance remarquable, c'est la présence de détritus erratiques, de cailloux roulés primitifs, de sable et de graviers à l'intérieur des grottes que présentent des rochers calcaires à une élévation de 50 à 100 mètres au-dessus du fond des vallées, ainsi dans les grottes d'Ussat, vallée de l'Ariége et dans celles de Niaux, vallée du Vicdessos; ces fragments roulés n'ont pu y être introduits que par des courants d'eau qui devaient s'élever à une grande hauteur au-dessus du fond des vallées, et qui devaient être animés d'une grande vitesse pour tenir des cailloux en suspension à un pareil niveau.

Comparaison des dépôts de transport du nord de l'Europe avec ceux des Alpes et des Pyrénées.

La presque totalité des dépôts de transport du nord de l'Europe se rattache à l'espèce de dépôts que nous avons désignée sous le nom de dépôts grossièrement stratifiés, vu qu'ils présentent des indices fréquents de stratification, et que la plupart des matériaux qui les forment sont usés ou arrondis, et que les sables et les graviers y sont en général prédominants. C'est seulement dans les régions élevées et accidentées, situées en Norvége, ou à la séparation de la Norvége et de la Suède, que l'on trouve sur le flanc des montagnes, dans les ravins et dans le haut de quelques vallées des entassements de débris anguleux, qui ressemblent aux amas confus des Alpes et des Pyrénées. D'ailleurs ces amas, que les glacialistes considèrent comme les témoins du grand développement des anciens glaciers, ont peu d'étendue, ne se prolongent pas sur les plateaux mamelonnés de la Suède ni en Finlande. Nous avons vu qu'il y a dans ces deux pays des åsars en forme de terrasses : mais ils diffèrent des terrasses des Alpes et des Pyrénées en ce qu'ils ne sont point adossés aux flancs des vallées, reposent sur des plaines unies, et ne présentent pas de gradins; mais dans les vallées norvégiennes, encaissées entre des flancs continus, nous avons vu qu'il y a des terrasses semblables à celles du Rhin, du Rhône, de la Garonne, de l'Ariége, etc. D'ailleurs, dans le centre de l'Europe, les dépôts de transport offrent rarement la mème disposition que les åsars diluviens de la Suède; cependant on observe quelquefois

dans les larges vallées des Alpes, surtout près de leur extrémité, dans les plaines ou les bassins où elles se terminent, des collines de débris allongées et aplaties par le haut qui ressemblent aux åsars; ainsi la Serra du Piémont en offre un bel exemple.

Difficultés que présente l'explication des phénomènes erratiques des Alpes et des Pyrénées d'après la théorie glaciaire.

Les objections que nous avons faites à la théorie dans laquelle on suppose l'envahissement de la Suède, de la Finlande et des contrées situées au midi de la Baltique par d'immenses glaciers, peuvent aussi s'appliquer aux Alpes, mais avec un degré moindre d'évidence. M. Elie de Beaumont a déjà fait voir (1), en comparant les pentes de la limite supérieure du terrain erratique de la vallée du Rhône avec celles des glaciers actuels et des cours d'eau, que les premières sont intermédiaires entre les deux autres, qu'elles sont beaucoup plus faibles que celles des glaciers, mais incomparablement plus grandes que celles des rivières les plus rapides, et qu'elles représentent l'inclinaison de torrents d'une

extrême violence.

Si l'on compare l'immense développement qu'auraient dû avoir dans les Alpes les glaciers diluviens avec ce qui a lieu dans les régions polaires, qui possèdent une température moyenne de --15", il paraît difficile d'admettre une extension aussi considérable que l'exige la théorie des glacialistes. Les traces d'usure, de polissage, et les dépôts erratiques s'observent dans toutes les vallées alpines, et sur les pentes des montagnes au-dessous de certaines limites de hauteur; ainsi toute cette région aurait été couverte par des glaciers qui se seraient étendus sur la basse Suisse, sur une grande partie du Jura, et qui auraient envahi le nord de l'Italie jusqu'à la vallée du Pô, car on observe des érosions jusqu'à l'embouchure des vallées alpines, dans les plaines de la Lombardie et du Piémont (ainsi dans la vallée d'Aoste, près Ivrée). Cependant, même dans la partie septentrionale du Spitzberg, où la température se maintient pendant peu de temps au-dessus de zéro, il y a de très grandes étendues de terrain dépouillées de neige et de glace, et les pentes exposées au midi offrent plus rarement des glaciers que celles exposées au nord, on n'en voit point sur les îles qui bordent le littoral; si l'on examine des vues de côtes du Gröenland ou de la nouvelle Zemble, on reconnaît qu'il s'y trouve de grands es

(1) Annales des sciences géologiques de M. Rivière, 1842.

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