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située entre le 64o et le 69° degré de latitude, il y a une égale difficulté pour la théorie glaciaire, dans le premier cas à considérer le golfe de Botnie comme ayant été le berceau des glaciers, dans le second cas à leur faire traverser cette profonde dépression pour remonter sur les collines de la Finlande. La difficulté est encore compliquée par ce fait qu'une partie des masses érosives a dû franchir le golfe de Finlande et la Baltique, vu que sur les îles qui s'y trouvent, ainsi que dans le nord de la Russie et de l'Allemagne on a observé des érosions semblables à celles de la Scandinavie. On voit que la théorie glaciaire offre des difficultés très graves et incontestables, quand on veut l'appliquer au nord de l'Europe; et les glacialistes doivent penser que si beaucoup de géologues la repoussent, ce n'est pas par esprit de système, mais parce qu'ils y trouvent des obstacles fort difficiles à lever. Je reconnais d'ailleurs que les glaciers peuvent user, polir et strier les rochers, transporter de gros fragments loin de leur gisement; mais la nature a bien des manières de produire les mémes effets: la minéralogie, la géologie et la chimie nous en offrent de nombreux exemples. D'ailleurs je ne puis comprendre qu'un changement de climat, tel que le comporte l'état de nos conuaissances en géologie et en physique terrestre, puisse donner lieu à un développement de glaciers aussi gigantesque tant en puissance qu'en superficie, et puisse déterminer leur mouvement dans des conditions tout autres que celles où a lieu le mouvement des glaciers actuels.

Coup d'ail sur les théories proposées pour expt quer les phénomènes erratiques du nord de l'Europe.

Les faits que j'ai exposés montrent qu'il serait prématuré d'établir une théorie pour expliquer dans tous leurs détails les phénomènes erratiques du nord de l'Europe; ils sont beaucoup plus compliqués que je ne le pensais, lorsque je les étudiai, il y a sept ans, en Finlande, où ils se présentent avec des caractères beaucoup plus uniformes qu'en Suède et en Norvége; du reste, ils ont été jugés par la plupart des observateurs plus simples qu'ils ne le sont réellement. Vu la grande étendue des pays dont la surface a été érodée; vu leur inclinaison, qui est seulement de quelques minutes pour la Suède, et qui est même nulle pour la Finlande; vu l'absence de masses montagneuses offrant des conditions de structure, d'élévation et de position locale analogues à celles que présentent les Alpes; vu que les érosions de la Suède et de la Finlande n'offrent point une disposition divergente à partir des

plus hautes sommités, on ne peut appliquer aux phénomènes erratiques du Nord l'hypothèse d'une fusion instantanée de neiges et de glaces, que l'on a imaginée pour expliquer ceux des Alpes et des Pyrénées. Ce sont à peu près les mêmes objections qui ne permettent pas d'admettre la théorie des glacialistes, car les circonstances dans lesquelles la théorie d'une fusion de neiges et de glaces est applicable sont aussi celles qui facilitent le développement des glaciers. La theorie qui paraît s'appliquer le mieux au nord de l'Europe est celle qui suppose une émersion brusque de la Scandinavie, plongée antérieurement sous les eaux de la mer; pour rendre compte de la disposition des divers systèmes de sulcatures, il faut suppo er qu'il y a eu, non pas un soulèvement unique en un point central, mais plusieurs soulèvements locaux dont les centres et les axes correspondent aux points d'où sont partis les divers systèmes d'érosion; ainsi d'énormes masses d'eau ont été mises en mouvement et poussées dans des sens différents. Beaucoup de ces soulèvements ont dû être simultanés, mais probablement pas tous, il est vraisemblable qu'ils ont eu lieu pendant une certrine période de temps. Les systèmes de sulcatures affectent en général une disposition rayonnante, et, comme nous l'avons vu, il en est que l'on peut réunir ensemble, ou considérer comme les branches d'un système général produit par le soulèvement d'une même région Cependant il ne faut point attacher à cette manière de voir une importance fondamentale; elle me paraît convenir mieux que les autres à l'ensemble des faits connus, mais elle donne lieu aussi à quelques difficultés; ainsi on n'a pas de preuve positive qu'à l'époque antediluvienne la Suède et la Norvége aient été plongées dans une grande partie de leur étendue sous les eaux de la mer. Comme le phénomène paraît être complexe et qu'il peut avoir été produit par des causes de natures diverses, je pense qu'au lieu de chercher à en donner immédiatement une théorie définitive, il faut attendre que les effets erratiques aient été étudiés sur toute la surface du nord de l'Europe, et que toutes les parties des régions scandinaves aient été minutieusement explorées. Si une étude semblable des directions des stries était faite dans le nord du continent américain, peut-être éclaircirait-elle les questions épineuses qui, depuis plusieurs années, ont si vivement excité l'attention des géologues.

COUP D'OEIL SUR LES PHÉNOMÈNES ERRATIQUES DES ALPES ET DES PYRÉNÉES, COMPARÉS A CEUX du nord de l'europe.

Je vais ajouter quelques détails succincts pour indiquer les caractères d'analogie et les différences qui existent entre les phénomènes erratiques du nord de l'Europe et ceux des Alpes et des Pyrénées, que j'ai étudiés en 1840 et 1841. J'ai fait connaître en 1841 (1) l'existence des érosions et des blocs erratiques dans les vallées des Pyrénées, et dans un mémoire présenté à l'Académic des sciences, en avril 1843 (2), et inséré dans les Voyages en Scandinavie (Géographie physique, tome Ier, 2e partie), j'ai exposé les principaux faits que j'avais observés dans les Alpes et les Pyrénées. Depuis l'époque où ce mémoire a été présenté à l'Académie, M. de Collegno (3) et M. Dupont (4) ont publié des observations très intéressantes sur les phénomènes erratiques des Pyrénées.

Des érosions dans les Alpes et dans les Pyrénées.

Les érosions tracées à la surface des rochers en Scandinavie, dans les Alpes et les Pyrénées présentent à peu près les mêmes formes; on y voit des surfaces mamelonnées, moutonnées et polies; des sillons cylindroïdes de quelques pouces de largeur, accompagnés de stries, ayant seulement quelques lignes de diamètre et quelquefois si fines qu'elles ne s'aperçoivent qu'à l'aide du reflet de la lumière. Les sulcatures des Alpes et des Pyrénées offrent souvent, comme en Scandinavie, une allure un peu ondulée, et quelquefois d'un même centre on voit partir plusieurs sillons et stries qui vont en divergeant ; j'en ai représenté (fig. 2) un exemple dessiné dans la vallée de l'Aar, entre le Grimsel et la Handeck. Dans la vallée de la Tete-Noire, qui conduit à Valorsine, on voit sur un monticule de poudingue un exemple analogue (fig. 10): d'un sillon large d'environ 20 centimètres on voit partir une multitude de stries divergentes; ce sillon forme une entaille cylin

(4) Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 2 no

vembre 1844.

(2) Comptes-rendus de l'Académie des sciences, séance du 3 avril

4843.

(3) Mémoire sur les terrains diluviens des Pyrénées.

des sciences géologiques, 1843.

(4) Annales des mines, 1844.

Annales

drique creusée sur une paroi de rocher très inclinée ; il a en (A) une profondeur de 10 à 12 centimètres.

Quelquefois les stries semblent aller en montant vers la partie inférieure des vallées, comme on le voit (fig. 7) dans la vallée de l'Aar entre le Grimsel et la Handeck; on remarque cette circonstance lorsque la vallée se resserre beaucoup; alors les masses dont le frottement a strié les rochers ont dû suivre une ligne diagonale résultant de leur mouvement général le long de la vallée et du mouvement ascensionnel déterminé par le resserrement des parois. On a remarqué que dans les Alpes les érosions sont en général mieux marquées sur les cols et dans les parties voisines (les cols du Saint-Gothard, du Grimsel, du Saint-Bernard ), que dans les parties inférieures des vallées. Ce fait est peut-être indépendant de la cause qui a tracé les sillons et les stries; en effet, du côté de la Suisse, les contreforts des Alpes et les rochers qui forment l'embouchure des grandes vallées, sont composés de roches calcaires ou de roches tendres, telle que la mollasse; tandis que l'axe de la chaîne centrale est formé, en grande partie, de roches dures, granite, gneiss, serpentine et autres roches cristallines, qui résistent mieux aux actions atmosphériques, et j'ai remarqué dans plusieurs vallées, ainsi dans celle de la Reuss, que dès l'instant où on entre dans la zone des roches cristallines, on voit apparaître les sillons et les stries fort bien marqués; certaines vallées en offrent jusqu'à leur extrémité; ainsi dans celle d'Aoste on en voit jusqu'à l'entrée de la plaine du Piémont, près d'Ivrée. J'ajouterai que dans le fond de plusieurs vallées des Vosges, qui sont formées de granite, telles que celle de la Moselle et de plusicurs de ses affluents, les sulcatures m'ont paru être plus distinctes que sur les parties élevées. Dans les Pyrénées, je n'en ai observé sur aucun col élevé ; cela tient peut-être à ce que la plupart de ces cols sont beaucoup plus étroits que ceux des Alpes et se réduisent souvent à des arêtes aiguës. On voit, d'après cela, qu'il ne faut pas attacher une importance très grande à ce fait que les sulcatures sont plus marquées dans les hautes régions des Alpes, que dans les régions basses.

Élévation maximum des traces du phenomène erratique dans les Alpes.

Néanmoins dans les Alpes, les traces d'usure et de polissage ne s'étendent pas jusqu'au sommet des montagnes; ainsi on ne peut s'empêcher de remarquer le contraste frappant qu'offrent les ro

chers polis et moutonnés entourant l'hospice du Saint-Gothard, celui du Grimsel, ou le glacier de l'Aar, avec les cimes rugueuses, hérissées d'aspérités, terminées par des arêtes tranchantes, qui s'élèvent à une élévation de 3 à 4 mille mètres. L'agent inconnu qui a tracé ces empreintes à la surface des rochers a eu son point de départ à une certaine élévation; c'est à partir de la zone actuellement occupée par les névés (environ 2,800 mètres audessus de la mer ) qu'il a étendu son action sur toutes les vallées.

Élévation maximum des traces du phenomène erratique en

Scandinavie.

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Il est remarquable que les traces les plus élevées du phénomène erratique de l'Europe se trouvent aussi tout près de la limite des neiges perpétuelles; ainsi les érosions que j'ai vues accompagnées de blocs erratiques de granite, sur la cime culminante d'\reskuttan, sont à une altitude de 1,484 mètres. Ce sont les plus élevées qui aient encore été observées; or, sous cette latitude (63° 1/2) la limite des neiges perpétuelles serait à 1,500 mètres ou même un peu au-dessous; on ne l'a pas déterminée sous ce parallèle, vu qu'il n'y a pas de cime assez élevée, mais elle ne doit

dépasser que fort le sommet d'Åreskuttan. Néanmoins on re

peu

gardera comme fort singulier que ces érosions observées tout près de la zone des neiges permanentes, résultent d'actions qui n'étaient pas propres à cette montagne, mais qui dérivaient de cimes situées à un niveau plus bas d'au moins 200 mètres. D'ailleurs on trouve assez fréquemment en Norvége des stries et des blocs erratiques sur des montagues élevées de 12 à 1,300 mètres. Ainsi c'est un caractère commun au phénomène erratique du nord et à celui des Alpes, que leur limite supérieure se trouve près de la limite inférieure des neiges ou de la zone sous laquelle a lieu le passage des glaciers proprement dits aux névés Cependant il faut noter que dans le nord ces sulcatures si élevées sont rares et appartiennent à des systèmes d'érosious qui ne sont pas très développés; les systèmes principaux et les plus importants, ceux qui ont érodé la partie S.-E. et S.-O. de la Suède et la Finlande, et certaines parties de la Norvége, sont partis de plates-formes dont le niveau moyen est inférieur au moins de 6 à 700 mètres à la limite des neiges perpétuelles et dont les sommités les plus élevées se trouvent encore à 2 ou 300 mètres au-dessous. D'ailleurs, on n'observe aucune relation entre ces grands systèmes de sulcatures et les groupes des plus hautes cimes.

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