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pement. J'ai observé des stries très distinctes à la sortie de la gorge très étroite, semblable à un ruz jurassique, par laquelle on descend de la station de Krogleben à celle de Sundewall. Ce sont probablement les mêmes qu'a signalées M Boethlingk. Mais ce contraste entre la direction des sulcatures et les reliefs du sol, qui, au premier abord, semble si accablant pour la théorie (pour celle des courants encore plus que pour celle des glaciers ), n'est pas un phénomène propre à la Scandinavie; on le retrouve tout aussi frappant dans les Alpes, où M. Agassiz (1) en a cité un exemple, entre autres au col du Grimsel, entre le glacier du Rhône et la vallée de Hassli. Ce col, quoique situé à 500 mètres au-dessus du glacier actuel du Rhône, est poli et strié jusqu'à son sommet, mais dans une direction oblique à la vallée actuelle de l'Aar et à celle du Rhône. Cette direction ne s'explique que d'une seule manière, en supposant qu'à l'époque des plus grandes glaces un bras du glacier de l'Aar passait pardessus le col du Grimsel et se déversait dans la vallée du Rhône. Or, pour peu que les glaces du N. fussent en rapport avec celles des Alpes, on conçoit que les glaciers qui descendaient de l'intérieur de la Norvége devaient être assez puissants pour maintenir leur direction malgré une barrière de quelques cent mètre.

Du terrain de transport.

M. Martins a insisté récemment, avec beaucoup de raison selon nous, sur la nécessité de distinguer entre les différentes formes du terrain erratique du Nord, comme les géologues suisses l'ont fait depuis longtemps pour les terrains de transport de ce pays (2). Il est permis de croire, en effet, que si le terrain erratique du Nord a présenté jusqu'ici de si grandes difficultés, c'est parce que l'on a voulu rapporter à une cause unique un phénomène très complexe en lui-même. Rien, en effet, n'est plus différent que la forme et la disposition du terrain diluvien dans les diverses parties de la Scandinavie. Il s'y présente sous les trois formes principales qu'on a reconnues en Suisse, 1o les moraines, 2o les blocs erratiques, et 3° le diluvium proprement dit, auquel il faut en ajouter une quatrième qui est propre à ce pays, les œsars.

Les moraines existent dans les vallées intérieures de la Norvége.

(A) Études sur les glaciers, p. 264.

(2) Necker, de Saussure, Agassiz, Escher de la Linth, Blanchet et surtout Guyot.

M. Schimper en a observé de très caractéristiques dans la vallée de Guldbrandsdalen (1), où elles se présentent sous la forme de remparts composés de débris amassés, sans aucun triage, comme en Suisse. Mais il ne faut pas les cercher dans la plaine ni audessous d'un certain niveau, qui est indiqué par les points les plus élevés où l'on trouve des coquilles diluviennes.

les

Les blocs erratiques embrassent un champ bien plus vaste que moraines; ils ne sont pas limités à la Scandinavie, mais l'on sait qu'ils sont répandus sur une très grande partie du nord de l'Europe. Tantôt on les trouve associés au diluvium, tantôt ils sont épars à la surface du sol. Les uns sont arrondis et les autres plus ou moins anguleux. Il y en a qui ont leurs angles aussi intacts que les blocs de protogine sur les flancs du Jura. Ceux qui sont mêlés au diluvium sont ordinairement arrondis; un petit nombre seulement est anguleux. Lorsque les blocs sont très abondants sur un point, ils appartiennent ordinairement à une seule espèce minéralogique. J'ai vu des localités où les blocs de syénite sont tellement nombreux qu'ils empêchent la culture de la terre, par exemple sur les bords du lac Roxen, dans l'Ostgothie.

Le dépôt qu'on désigne sous le nom de diluvium se présente avec des caractères divers, suivant les localités. En Suède et dans une grande partie de la Norvége, il est le plus souvent composé d'un gravier mélangé de galets et de gros blocs. Souvent aussi c'est du limon qui passe même quelquefois à une argile très fine, par exemple sur les bords du fiord de Tyrie. Dans d'autres contrées, cette argile fait place à un sable très fin, recouvrant de vastes étendues. La fertilité des pays du Nord dépend, en général, de la nature du diluvium. Les plaines si fertiles de la Scanie et du Seeland sont composées d'un diluvium limoneux mêlé de calcaire. Les plaines du Hanovre et spécialement la Luneburgerhaide ne sont si stériles que parce qu'elles sont composées de sables siliceux.

Ces dépôts divers renferment tous des cailloux roulés et même des blocs d'un volume considérable. Les blocs qu'on en retire sont en général arrondis, ou du moins émoussés. Tous ne sont pas étrangers au sol; il est des contrées où la majeure partie provient de la roche en place ou de gîtes peu éloignés. Ainsi le diluvium de Scanie contient beaucoup de silex pyromaques aux environs de Malmö, et de nombreux fragments d'arkose aux environs de Lund. Le diluvium des environs de Coppenhagen renferme en

(1) Comptes-rendus de l'Acad., 1846, t. XXII, p. 43. Voy aussi Durocher, Bull. Soc. géol., 2a série, t. IV, p. 85.

Soc. géol., 2o série, tome IV.

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quantité des galets de calcaire danién (ealeaire de Faxoë). et même des morceaux de grès vert. M. Forchhamhier (4) a montré que le diluvium de l'île de Langeland contient de 35 à 40 p. 100 de roches de transition. Sur la rive occidentale du Limfjord, les porphyres, les syénites et les grès de transition vont jusqu'à 40 p. 100, et dans la partie occidentale du Jutland les roches de transition forment les deux tiers de la masse. Mais ceux-là ne sont pas susceptibles d'être transportés aussi loin que ceux de la surface, car, comme ils sont assujettis à des frottements continuels, ils finissent par etre complétement usés et réduits en poudre, à moins qu'ils ne soient excessivement durs. Suivant l'opinion de plusieurs géologues, cette distribution des débris erratiques serait une difficulté insurmontable pour la théorie glaciaire. On objecte que si le terrain erratique avait réellement été transporté par des glaciers se rattachant à la chaîne des Alpes scandinaves, on ne devrait rencontrer que des galets de ces inontagnes dans le diluvium de la plaine. Mais on oublie que les glaciers ne transportent pas seulement les matériaux qui tombent sur leur surface; ils en arrachent aussi au sol sur lequel ils se meuvent, et il est probable que ceux-ci seraient entrainés aussi loin que ceux de la surface s'ils ne subissaient un frottement considérable qui les use et les réduit en poudre. Il s'ensuit que ces pierres arrachées au fond, à moins d'etre d'une très grande dureté, ne peuvent pas faire un long trajet. C'est ce dont le glacier de l'Aar nous offre un exemple frappant. Quoique encaissé en majeure partie par des montagnes gneissiques, il ne rejette cependant qu'une quantité proportionnellement très faible de cailloux de gneiss. Les pierres empatées dans la glace, à l'extrémité du glacier, sont en général des galets granitiques provenant des massifs les plus voisins. Il n'y a dès lors rien d'extraordinaire à ce que les galets schisteux dominent en Suède, là où la roche en place est du schiste, tandis qu'en Scanie on trouve beaucoup de silex melés au diluvium.

Au reste, cette meme distribution se retrouve aussi dans le diluvium de la Suisse. Il y a sur le revers méridional du Jura, entre Soleure et Bienne, une dépression en forme d'anse, au fond de laquelle sont situés les bains de Granges. Cette dépression est remplie d'une masse énorme de diluvium, dans lequel on remarque à côté des blocs de granite, de poudingue, de chlorite, etc., tous originaires des Alpes, une quantité assez considérable de gros blocs de molasse, provenant évidemment des

(1) Poggendorf dnn., vol. LVIII, p. 609.

collines molassiques situées dans le voisinage. J'en ai vu également dans les amas diluviens de la vallée des Gensbrunnen, entre la chaîne du Weissenstein et celle du Passwang. Enfin, tous ceux qui ont étudié le diluvium suisse savent que sur les flancs du Jura occidental, dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel ainsi que sur plusieurs points du Jura bernois et français, le diluvium alpin est mélangé d'une quantité considérable de galets jurassiques arrachés aux flancs des montagnes sur lesquelles il repose.

Loin donc d'infirmer la théorie des glaciers, ce mode de distribution des galets l'appuie, au contraire, puisque nous voyons la même chose se produire sous nos yeux. De toute manière il doit être plus difficile d'expliquer des circonstances pareilles par les autres théories.

Une circonstance dont on n'avait pas tenu compte jusqu'ici et qui est d'un grand poids pour la théorie des glaciers, c'est qu'une grande partie des blocs et des cailloux du diluvium sont burinés comme les roches sur lesquelles ils reposent, avec cette différence cependant que les stries ne suivent aucune direction prépondérante. J'ai vu plusieurs localités, dans la coupe du chemin de fer, près de Coppenhagen, où la majorité de galets et des blocs sont rayés absolument comme ceux qu'on trouve dans le diluviun de la plaine suisse et dans les Vosges. J'en ai recueilli de fort beaux échantillons à Faxoë et à Lellingen dans le Seeland. J'en ai aussi remarqué parmi les blocs de granite et de diorite accumulés devant le port de Kiel. Je les ai retrouvés dans le diluvium de Berg, près du lac Roxen dans l'Ostgothie, et j'ai fait la remarque que les blocs, dont on a construit les portes cyclopéennes des ailes du palais royal de Stockholm, sont en grande partie rayés, surtout les blocs de diorite. Le diluvium de Norvége n'en est pas non plus dépourvu; j'en ai trouvé dans les talus limoneux des bords de la Drammen, à l'entrée du fiord de ce nom, ainsi que près de Krogleben et dans les environs mêmes de Christiania. La seule différence qui existe sous le rapport des galets striés entre la Scandinavie et la Suisse, c'est que dans ce dernier pays, ce sont surtout les galets et les petits blocs qui sont burinés, tandis qu'en Scandinavie ce sont de préférence les gros blocs. Il paraîtrait que, sous ce rapport, le diluvium du Nord a plus de rapport avec celui d'Ecosse qu'avec celui de Suisse et des Vosges.

Les stries des galets, comme celles des roches polies en place, sont tout à fait indépendantes de la nature minéralogique des roches. On trouve en Scandinavie des galets striés de granit, de syénite,

de calcaire, de diorite et même de grès; mais les mieux conservés sont ordinairement ceux de diorite (1).

Les dépôts diluviens de la Scandinavie sont fréquemment stratifiés, mais d'une manière irrégulière. On n'y trouve que rarement de ces assises continues, s'étendant sur de grandes surfaces. Ce sont de petits bancs très limités, d'une inclinaison et d'une épaisseur variables qui indiquent une action inégale des eaux comme ceux que l'on a désignés sous le nom de stratification torrentielle dans le diluvium suisse.

Mais il est une particularité qui distingue le diluvium scandinave et qu'on ne retrouve pas en Suisse, c'est la présence de coquilles marines. On en a recueilli au milieu des dépôts les plus variés, dans le sable, le limon et même au milieu des cailloux. Il y a certaines localités, en Norvége, où ils sont tellement nombreux, que les indigènes ont désigné la couche qui les renferme sous le nom de couche à coquilles (skalenskigt).

Ces coquilles appartiennent, sans exception, à des espèces qui existent actuellement; mais toutes n'habitent pas le littoral de la Scandinavie. Parmi celles que MM. Keilhau et Lovén ont recueillies en Norvége et en Suède, il en est un grand nombre qui vivent exclusivement sur les côtes du Groënland et de l'Islande, et quand on examine une collection de ces coquilles, on s'aperçoit bientôt qu'ils ont un caractère plus arctique que la faune actuelle des côtes de Suède.

Ce résultat est important en ce qu'il prouve qu'à l'époque où ces animaux vivaient sur les côtes de Scandinavie, la température y était sensiblement plus basse que de nos jours, ce qui confirme les conclusions que M. Agassiz avait tirées de l'étude des fossiles récoltés par M. Smith de Jordan-Hill, dans l'argile des bords de la Clyde, et d'où il avait conclu que pendant l'époque glaciaire la température moyenne de l'Europe devait être d'environ 8o plus basse que de nos jours.

Des rapports qui existent entre le phénomène erratique du Nord et

les soulèvements de la Scandinavie.

Après avoir fait ressortir dans les pages précédentes les analogies qui existent entre le terrain diluvien du Nord et les phénomènes

(4) M. Desor a fait voir à la Société des échantillons de ces différentes roches rayées.

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