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traire, nous persistons à la croire telle. Quant à l'argument tiré du silence de Sulpice-Sévère, il n'a pour lui aucune valeur : l'œuvre de cet écrivain n'étant qu'un abrégé, il est tout simple qu'il ait négligé un fait qui n'intéressait qu'un pays relativement éloigné. Saint Grégoire de Tours a également pu ne pas s'en préoccuper, soit que le souvenir de saint Clair fût effacé après les siècles déjà écoulés; soit que lui aussi eût considéré ce fait comme trop peu important: saint Grégoire de Tours commis bien d'autres omissions! Mais, sans aller si loin, la légende de Vannes, elle-même, ne parle pas de saint Clair, et cependant chacun sait qu'il est l'apôtre de ces contrées! Pour ce qui est de la difficulté qu'aurait eue le christianisme à s'introduire et à se propager sous Néron, M. Jubineau pense encore que cette objection a peu de force: qui ne sait, en effet, que le sang des martyrs est une rosée fécondante, et que les desseins de Dieu s'accomplissent souvent en raison directe des difficultés qui semblaient devoir les faire échouer? Les annales des missions étrangères nous montrent, chaque jour, la foi s'avançant en Cochinchine et au Tonquin, malgré les persécutions et les tyrans.

M. l'abbé Cahour fait observer qu'on doit en effet distinguer, d'une part, le caractère épiscopal, et de l'autre, le titre, c'est-à-dire le nom du siége fixe et du diocèse où s'exerce la juridiction d'un évêque. Mais il y a eu des évêques sans siége fixe et sans diocèse, par conséquent sans titre déterminé. Saint Clair était un de ceux-là, un de ces premiers évêques voyageurs, semant la bonne nouvelle à travers des pays encore tout païens, sans trace de siége ni de diocèse, qui, par conséquent, ne prenaient nul titre déterminé, mais n'en possédaient pas moins, les peuples évangélisés par eux, la plénitude du pouvoir épiscopal.

Sur

M. Lallemand demande à préciser le point en litige: il n'a, dit-il, voulu examiner et juger la question qu'au point de vue littéraire, et nullement empiéter sur les droits d'une autorité plus grave; la discussion porte uniquement sur l'époque où l'on veut faire vivre saint Clair; il adopte et défend l'opinion consignée dans le dernier Propre de Nantes, qui fait mourir notre saint sous Probus, l'an 280.-Vous voulez aujourd'hui changer cette date pour en prendre une plus ancienne? Soit; mais, si je ne veux pas imposer mes conjectures, je veux au moins qu'il me soit clairement prouvé que je me trompe. Or, il résulte pour moi, de la critique historique, que la date la plus vraisemblable est celle que je défends. Je conviens, avec vous, que ce ne sont que des conjectures, mais du moins je cherche à éclairer les miennes par la critique; et vous, vous prenez les vôtres toutes faites, et telles que vous les offre le IX. siècle.

M. l'abbé Jubineau répond qu'il ne veut pas changer la date de l'épiscopat de saint Clair, mais revenir à une tradition qui est le seul document sur la matière ayant quelque ancienneté ; qui a été crue sans interruption jusqu'en 1782, et qui, à cette époque seulement, a été remplacée par les conjectures des érudits.

M. de La Borderie a la parole: Quoique Vitré, dit-il, ait eu aussi la prétention d'avoir été évangélisé par saint Clair, en l'an 72, il a été long-temps fort incrédule à l'endroit de son apostolat avant l'an 250. Mais depuis, éclairé par des documents nouveaux, il est un peu revenu sur sa première opinion. Le travail de M. Jubineau lui semble concluant; car il n'est pas de ceux qui nient les traditions, il leur accorde au contraire une grande valeur, lorsqu'elles portent avec elles ces deux conditions réunies: qu'elles s'éloignent peu du temps et du lieu dont elles parlent, et qu'aucun document contemporain ne les contredit formellement. Quand donc

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il a en présence les conjectures des érudits et des traditions locales bien établies, il préfère les traditions aux conjectures. Or, c'est ici le cas d'appliquer ces principes. Pour lui, le silence de Sulpice-Sévère et celui de Grégoire de Tours ne sont pas des arguments qui l'embarrassent; il rappelle, en effet, ce qui se passe tous les jours, et l'oubli qui environne souvent, dans notre temps où les relations sont si faciles et si fréquentes, les travaux des missionnaires. Il ne s'occupe pas davantage de l'opposition de Néron. Chacun sait que ce qui est difficulté pour les desseins des hommes, n'arrête pas le prêtre qui va dispenser la foi. — Enfin, il fait remarquer que, selon lui, la question n'est pas posée entre une conjecture et une conjecture, mais bien entre une conjecture et une tradition locale, vénérable par sa haute antiquité, non contredite par une autorité suffisante, et qu'en bonne critique on ne doit pas la répudier, pour adopter une opinion professée seulement depuis le XVII. siècle.

M. Lallemand demande à poser ses conclusions : Vous voulez, dit-il, placer l'apostolat de saint Clair au Ir. siècle de notre ère: eh bien! pour moi, je l'annonce, j'opine pour qu'il soit maintenu à la date que j'indique dans le Propre de l'église de Vannés. Et, en cela, je ne crois point faire injure à la mémoire de ce glorieux saint ni diminuer l'illustration de nos évêchés, car « si elles ne sont pas filles «<immédiates de Rome, d'après mon système, les églises « de l'Aquitaine et de l'Armorique, issues de l'illustre église « d'Afrique au temps de saint Cyprien et de ses innom<< brables martyrs, peuvent se glorifier de cette origine << comme celles de Vienne et de Lyon, de leur descen« dance de saint Polycarpe et des premières églises d'Asie « et d'Égypte, auxquelles elles adressaient, par saint Irénée, << les actes de leurs martyrs. La vigne sacrée, transplantée « sur le rivage nantais par saint Clair, et arrosée du sang

« de saint Donatien et de saint Rogatien, avait pris ses pre« mières racines dans celui de sainte Perpétue et de sainte « Félicité, dont l'Église latine a placé les noms à côté de ses plus célèbres martyrs dans le canon de la messe.

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La séance est levée.

Le Secrétaire,

DE KERSABIEC.

2. Séance du 14 juin.

Présidence de M. VANDIER.

Sont présents au bureau: MM. Meuret, Gaugain, de Caumont, Nau, l'abbé Rousteau, l'abbé Le Petit.

M. Blanchard-Mervau est nommé secrétaire.

M. le Président met à l'ordre du jour la quatorzième question du programme, ainsi conçue :

Histoire et description des principaux sanctuaires de la Sainte Vierge en Bretagne, et principalement dans le diocèse de Nantes.

M. l'abbé Rousteau a la parole pour lire une notice de M. Perraud, sur la chapelle de Notre-Dame-de-Toutes-Joies, près Clisson :

La chapelle de Notre-Dame-de-Toutes-Joies, qui s'élève entre deux parcs magnifiques sur la route de Poitiers, fut bâtie, au XVI. siècle, sur les ruines d'un ancien sanctuaire.

Elle n'offre rien de remarquable sous le rapport de l'art, et la cause de sa fondation est inconnue. Suivant les Lettres vendéennes de M. Walsh, la chapelle primitive avait été construite par Olivier III et par Jeanne de Belleville, sa femme, pour perpétuer le souvenir du premier fait d'armes de leur fils.

M. Ollier, fondateur de la compagnie de saint Sulpice, fut prieur de la Trinité de Clisson, et l'auteur de sa Vie, après avoir dit qu'il aimait à célébrer la messe dans cette modeste chapelle, ajoute qu'elle avait été bâtie par Olivier, père du connétable, dans le lieu même où on lui avait annoncé deux bonnes nouvelles la naissance de son fils, si célèbre dans notre histoire, et la défaite des Anglais.

Les habitants du pays admettent des variantes à ces récits, qui se rattachent presque tous à la guerre des Anglais et aux seigneurs de Clisson. C'est toujours un événement heureux qui donne naissance à la chapelle et qui justifie son titre de Notre-Dame-de-Toutes-Joies.

Trois croix s'élevaient, avant 93, à quelque distance de ce modeste sanctuaire; connues sous le nom de croix de Lorette, elles furent érigées probablement, comme la chapelle, pour perpétuer la mémoire d'un fait important. La route, qui était autrefois abrupte et difficile, fut probablement le théâtre de graves accidents que la piété voulut peut-être conjurer par l'érection d'un sanctuaire à Notre-Dame-deLorette, nom primitif attesté par celui des trois croix.

En résumé, la chapelle de Notre-Dame-de-Toutes-Joies qui, suivant les traditions, remonte au XIV. siècle, a une origine inconnue. Fut-elle l'œuvre des seigneurs de Clisson, d'un guerrier victorieux, d'un modeste marchand ou de la piété populaire ? nul ne saurait le dire; mais l'on peut affirmer du moins qu'elle fut l'objet des pélerinages les plus importants du diocèse de Nantes. Chaque année, 25 paroisses y venaient processionnellement rendre leurs hommages à la Reine des cieux, et quelques-unes franchissaient de grandes distances, puisque l'on cite la paroisse de St.Sébastien, près Nantes, au nombre de celles qui accomplissaient le pélerinage. Telle était la confiance populaire à N.D. -de-Toutes-Joies, lorsqu'éclata la révolution de 93. Pro

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