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camp de débris romains, faut-il conclure que le camp n'est pas romain? Mais quand les Romains ne bâtissaient pas et ne fortifiaient leurs camps qu'en faisant des retranchements en terre, il est évident que l'on ne peut pas y trouver de débris de tuiles ou de briques.

M. de La Borderie réplique que, dans les camps occupés par eux d'une manière permanente, les Romains ont dû souvent élever des constructions maçonnées; qu'il y a d'ailleurs d'autres débris romains que des briques et des pierres; qu'enfin là où l'on ne trouve aucun vestige des Romains, on n'a nullement le droit de conclure à une origine romaine.

M. Lallemand fait remarquer que la discussion roule, en quelque sorte, sur des présomptions légales; que si les mottes contiennent des débris romains, il y a présomption légale pour qu'elles soient d'origine romaine; mais que, toutes les fois qu'elles ne sont point entourées d'enceintes retranchées, et ne contiennent rien de romain, il y a présomption légale pour qu'elles soient féodales.

M. le Président pose la question trente-deuxième ainsi conçue: A quel siècle doit-on rapporter les premières prédications évangéliques et la fondation des églises dans l'ouest de la France?

M. l'abbé Jubineau lit sur cette question un savant mémoire. Au début, il restreint la question à rechercher l'époque de l'apostolat de saint Clair qui, le premier, a porté le flambeau de la foi dans l'Armorique, et doit être regardé comme le premier apôtre de la Bretagne. Il évangélisa le pays nantais et même les pays circonvoisins; aussi, pendant long-temps, la Bretagne n'eut-elle pas d'autres évêques que ceux de Nantes. Selon la tradition, saint Clair serait venu en Armorique vers la fin du Ier siècle, ou vers le commencement du II.

Dans les derniers siècles, cette opinion a été abandonnée par Dom Lobineau, l'abbé Travers et autres écrivains; mais, pour rejeter la tradition ancienne, ces historiens avaient-ils quelques raisons particulières; avaient-ils découvert quelques documents nouveaux? On ne voit rien de pareil. Au contraire, les hommes qui représentent la vraie science ecclésiastique Baronius, les frères Pagi, les auteurs de l'Art de vérifier les dates, ont soutenu qu'un certain nombre d'églises ont été fondées dans les Gaules pendant le Ier. siècle, et cette opinion prend de jour en jour plus de consistance.

Au Mans, on a donné dans une dissertation les raisons les plus concluantes pour démontrer que saint Julien, l'apôtre de cette ville, y est venu au Ier. siècle. L'abbé Arbelot a établi que saint Martial, apôtre du Limousin, y a été envoyé par saint Pierre lui-même. S'il est prouvé que la foi a été prêchée dans les Gaules au Ier. siècle et non au III., comme le prétendent certains historiens, pourquoi ne croirions-nous pas la tradition nantaise à l'égard de saint Clair?

M. Jubineau classe les raisons qu'il a d'adhérer à cette tradition en trois catégories :

1o. Les témoignages liturgiques, qui attestent l'existence de cette tradition immémoriale;

2o. L'autorité des critiques les plus compétents, qui examinent cette question ex professo;

3o. L'incohérence des opinions opposées, qui n'offrent pas même de point d'appui pour établir leur système.

Les témoignages liturgiques sont tirés de l'office de saint Clair, et ne laissent aucun doute sur son apostolat qui est confirmé encore par deux passages extraits, l'un du bréviaire manuscrit in-8°., à la légende de saint Félix, et l'autre du bréviaire manuscrit in-12 à la légende de saint Similien, qui, l'un et l'autre font allusion à la mission de saint Clair au Ier siècle.

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Un manuscrit, trouvé à la bibliothèque Ste.-Geneviève par M. l'abbé Richard, grand-vicaire de Mgr. l'Évêque de Nantes, vient encore confirmer la tradition relative à saint Clair. On doit l'avouer, on n'a pas de documents plus anciens que le X. siècle; mais, à cette époque où l'on discutait peu, où l'on acceptait de confiance les choses établies, où le culte du passé existait, on doit regarder les traditions des IX. et X. siècles comme des origines.

Parmi les critiques qui ont traité la question ex professo, les Bollandistes penchent pour la tradition qui fait venir saint Clair de Rome, dans les premiers temps du christianisine.

On prétend, il est vrai, opposer à la tradition nantaise quelques lignes de deux auteurs anciens : Sulpice-Sévère et Grégoire de Tours; mais, en réalité, ces deux auteurs ne parlent ni de Nantes ni de saint Clair; et s'ils ne favorisent point la tradition nantaise, M. Jubineau fait voir aussi qu'ils ne la contredisent point.

Parmi les auteurs plus récents, Dom Lobineau fait venir saint Clair de Tours; il est évident que Dom Lobineau était mal informé. Dom Morice dit que, Tours étant plus près que Rome, il est plus probable que saint Clair est venu de Tours que de Rome. On ne peut accorder aucune confiance à un tel témoignage. L'abbé Travers place l'apostolat de saint Clair sous Probus, et n'apporte aucune preuve à l'appui. Il en est de même des autres auteurs, qui n'ont à nous offrir que des conjectures dénuées de preuves.

Enfin, M. l'abbé Jubineau conclut ainsi : Deux hypothèses sont en présence : dans la première, l'apostolat de saint Clair aurait eu lieu au Ier. siècle; dans la seconde, au IIIa.

Pour la première, il y a la tradition constante de l'église de Nantes et un certain nombre de conjectures; pour la seconde, il n'y a que des conjectures; par conséquent,

on peut dire en faveur de la première que la possession vaut titre.

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Présidence de M. le comte O. de Sesmaisons, membre de l'Institut des provinces.

Prennent place au bureau MM. de Caumont, Bizeul, de Blain, Lallemand, Le Petit et Gaugain.

M. le vicomte de Kersabiec remplit les fonctions de secrétaire.

A propos du mémoire de M. l'abbé Rousteau, et en son absence, M. l'abbé Jubineau demande à ajouter quelques mots qui étaient dans la pensée de son confrère, mais qu'il n'a pu exprimer, vu l'heure avancée. Tout en déplorant les mutilations dont les bas-reliefs de la cathédrale ont été l'objet, il est juste, voulait-il dire, de rendre un hommage mérité aux soins que met le chapitre à les faire restaurer. Déjà tous ceux qui ornent les piliers du vestibule, ont été repris et rétablis avec succès par l'artiste consciencieux qui en a été chargé, et dont les amis des arts déplorent la perte récente; et c'est ici le cas de rendre un public hommage à cet homme modeste autant qu'habile, à ce tailleur d'images des âges anciens, égaré dans notre siècle positif. M. Thomas Louis s'est toujours inspiré de sa foi, et en paraissant s'ignorer lui-même, il a laissé des œuvres et une mémoire qu'on ne saurait oublier.

L'Assemblée entière s'associe à cet hommage. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la trente-deuxième question, élevée dans la séance précédente.

M. Lallemand expose à ce sujet son opinion, dans une savante dissertation qui dure plus d'une heure, et dans laquelle un grand nombre de textes sont cités et commentés; ce travail, étant trop long pour trouver place dans un procèsverbal, fera l'objet d'un mémoire considérable que l'auteur se propose de publier.

M. l'abbé Jubineau fait remarquer que tout le travail de M. Lallemand n'aboutit qu'à des conjectures; qu'il ne peut, non plus que lui, citer une date, un document positif et écrit de quelque valeur; que tout ce qu'il dit pour prouver l'identité du saint Clair d'Afrique, du saint Clair de Tulle et du premier évêque de Nantes, est, sans doute, fort ingénieux; qu'il a déployé une grande érudition, mais qu'enfin il ne peut présenter les résultats qu'il a obtenus comme des vérités; il le répète, ce ne sont que simples conjectures eh bien! conjectures pour conjectures, il préfère, à celles de M. Lallemand, celles qu'il défend, et qui s'appuient sur une tradition respectable remontant à 800 ans. Du reste, ajoute-t-il, nous ne prétendons pas à une fondation régulière de notre évêché dès le Ier siècle ; non; mais nous disons que, de même que, de nos jours, nos évêques missionnaires évangélisent des contrées dont la pérsécution peut les chasser, et où des successeurs immédiats ne viennent point féconder les germes de foi qu'ils y ont déposés; de même, aux premiers jours du christianisme, saint Clair a pu venir répandre parmi nous les lumières de la foi, et s'en aller mourir loin de son diocèse, où son nom seul est resté conservé dans la tradition et non dans les livres. Rien ne s'oppose donc d'une manière formelle à ce que notre tradition soit véridique, et, jusqu'à preuve con

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