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des fragments de tuiles à rebords. Depuis plus de mille ans, les générations s'entassent évidemment sous le gazon de ce champ funèbre qui semble formé de poussière humaine. Quelques jours avant notre arrivée, le fossoyeur, pour faire une fosse nouvelle, avait arraché encore un cercueil en pierre dont les fragments gisaient au pied de l'église avec des restes d'autres cercueils en plâtre. Cette vieille église a-t-elle vu tenir dans sa nef les conciles assemblés par Charles-le-Chauve? A-t-elle entendu les populations épouvantées adresser à Dieu la supplication à furore Normanorum libera nos? A-t-elle été ravagée par nos ayeux qui, sortant de leurs barques légères, campaient là au confluent de la Seine et de l'Andelle? c'est ce qu'il serait difficile d'affirmer; mais, ce qui n'est pas douteux, c'est que cette église est une des plus vieilles des rives de la Seine. Du côté du Nord, côté ordinairement le plus ancien de nos églises rurales, l'église de Pitres présente une muraille d'une maçonnerie romane très-austère, et où les briques romaines abondent, mais sans former d'assises régulières. Au Midi, on voit encore deux fenêtres romanes, à côté de deux autres qui ont été élargies au XV®. siècle et divisées par des meneaux flamboyants.

Quant au chœur, ses voûtes et ses colonnes sont du XIII®. siècle. Le maître-autel, qui avait un rétable du même temps que celui de Pont-de-l'Arche, a été démoli; car, au lieu de le restaurer, on a cru faire de l'archéologie en lui en substituant un tout neuf. Il est vrai que le corps de cet autel neuf est en style gothique flamboyant; Boudin, sculpteur de Gisors, en a trouvé le modèle dans les babuts dont nos fermiers faisaient naguère des coffres à avoine. Les débris de l'autel du XVII. siècle, condamné par nos modernes faiseurs de moyen-âge, gisent maintenant dans le grenier du curé, et le tableau qui en ornait le milieu a été accroché au-dessus de la porte de l'église.

Ainsi qu'il est arrivé dans beaucoup d'églises du diocèse d'Évreux, les autels latéraux placés, comme dans toutes les églises rurales, à droite et à gauche de l'arc triomphal, ont échappé aux ravages de la mode. Ces deux autels sont encore surmontés à Pitres de deux baldaquins en bois, sculptés, non pas en gothique du XIX®. siècle, mais en vrai gothique du XV. Nous avons remarqué, sur l'autel de SaintSébastien, une jolie Vierge en faïence blanche qui était exposée à l'occasion du mois de Marie. Les draperies de cette statuette sont bordées de liserés jaunes et violets: le jaune, dans la nuance de ces jaunes affectionnés par les décorateurs de faïences italiennes : le violet d'une couleur œillet. Cette Madone nous a paru un monument intéressant de la céramique de la fin du XVI. siècle. La couronne primitivement fleurdelisée a seulement subi quelques fractures, et la hauteur de cette précieuse figurine est de dix-huit pouces.

La voûte de bois de la nef mérite aussi quelqu'attention, et deux des poinçons ou pièces verticales qui la supportent, sont sculptés d'une manière curieuse.

La journée s'avançait, et nous nous hâtâmes de profiter de ce que le soleil était encore sur l'horizon pour aller visiter les ruines romaines découvertes dans une cour du village. Nous vîmes là les débris d'un vaste hypocauste. Dans un petit cellier, le propriétaire, le sieur Leber, avait déjà accumulé un grand nombre de très-grands pavés en terre cuite, de conduits de chaleur, de tuiles à rebord et de blocs de moyen appareil. Nous y remarquâmes aussi un bon nombre de fragments de poteries rouges, de meules en poudingue, de menus objets en bronze, des perles de colliers en verroterie bleue. Certes, il y a là un grand édifice antique à explorer, peut-être les restes d'un palais qui pouvait subsister encore à l'époque des Carlovingiens, et il est à désirer que la

Société d'agriculture de l'Eure, qui depuis deux ans annonce l'ouverture de fouilles dans ce village, se décide enfin à les commencer, car les graffiti ou fragments d'inscriptions griffonnées à la pointe sur plusieurs moëllons, semblent de nature à piquer la curiosité.

PLAN DE L'ABSIDE DE L'ÉGLISE DU NEUBOURG CITÉE PAGE 220.

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doute encore après cet examen et n'est pas toujours convaincu par l'orfèvre qu'il consulte. Toutefois l'instruction plus répandue et la cupidité elle-même, depuis quelques années, ont rempli de nombreuses richesses nos musées d'antiquités. Quand on a commencé à savoir qu'il y avait plus d'avantage, plus d'honneur, à conserver qu'à détruire les objets livrés par le hasard, à les vendre à un établissement qui les classe et les conserve, qu'à un artisan qui les fond et les détruit, l'archéologie a pu compter sur le temps.

Déjà de beaux vases d'argent, masqués sous leur trompeuse couverte brune; des bronzes terreux et rongés par l'oxide, mais précieux par leur forme; des instruments dont l'usage ancien nous est inconnu, ont évité le creuset du chaudronnier qni allait les convertir en ustensiles nouveaux, et font aujourd'hui l'ornement de notre collection départementale.

Mais jusqu'à ce jour, les objets en métal ont seuls paru avoir de la valeur et de l'intérêt. Si l'ouvrier découvre d'auciennes constructions, des pierres sculptées, gravées ou creusées, n'y voyant que la pierre et le silex qui peuvent améliorer sa chaumière, il détruit, sans les avoir fait connaître, les substructions qui indiquaient une mansion romaine, expliquaient les itinéraires et la géographie ancienne, et place dans ses murs, pêle-mêle avec le silex, les fragments et les marbres romains. Le calcaire qui portait des inscriptions, il le retourne et l'ajuste aux appuis de sa fenêtre, au seuil de sa porte, et brise les tombeaux, s'il ne peut les faire servir d'auge pour abreuver ses bestiaux.

Nous savons une commune de ce département, où récemment encore un cimetière servait à tout le village de carrière où chacun allait extraire le pavé de son habitation, les marches de sa porte, les pierres dont il avait besoin. On rejetait de côté les crânes et les débris humains qui blanchissaient à l'air en

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