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sur une bataille donnée en ce lieu pour une cause sainte ; pour quelle raison la même tradition se serait-elle trompée uniquement sur le titre et l'origine d'ailleurs si saillants du chef de l'expédition. N'est-il pas au contraire impossible qu'elle ait fait erreur sur ce point, et n'est-ce pas ce qui explique pourquoi elle a été invariable et incontestée ?

La légende française de saint Émilien commence ainsi : « Saint Émilien était sorti d'une des plus illustres familles de Bretagne. Il mérita par sa vertu d'être, par un commun «< consentement du clergé et du peuple, choisi pour évêque « de Nantes. Mais pendant qu'il veillait soigneusement comme « un bon pasteur à la garde de son troupeau, Notre-Seigneur <«<lui ouvrit un autre champ, où il devait non-seulement « consommer ses soins et ses sueurs, mais encore donner sa << vie et son sang. Lorsque Charles Martel, prince trèsgénéreux, tenait la monarchie, etc.... (1).

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Dom Taillandier s'exprime ainsi : « Bollandus croit qu'un évêque nommé Émillien ou Millan, et tué à St.-Jean-de« Luze, était évêque de Nantes. » Ce témoignage n'est pas affirmatif, il est vrai, et il ne fait que répéter celui des Bollandistes, mais il reste aussi avec toute l'autorité des Bollandistes.

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Travers est plus explicite: « Il y a peu d'apparence, dit-il, que l'église d'Autun qui honore saint Émilien,

évêque de Nantes, se soit trompée sur son nom, sa qualité <«< et son siége. » Nous l'avons déjà cité.

Nous ne ferons que rappeler ici l'autorité de M. l'abbé Trévaux, qui raconte l'histoire de saint Émilien de la même manière que les Bollandistes.

Mais nous ne pouvons nous dispenser d'insister sur celle de M. l'abbé Bouange; non-seulement il ne lui vient pas à

(1) Opusc., Leg, franç.

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la pensée de douter de l'origine et de l'épiscopat de saint Émilien; mais il leur rend à chaque page le plus positif et le plus glorieux témoignage. « Je suis heureux, dit-il, au début « de sa première lettre, de vous fournir dès aujourd'hui les << documents que vous désirez sur le saint Évêque de Nantes « qui est venu au VIII. siècle défendre notre cité épiscopale <«< contre la fureur des Sarrasins et ajouter par sa mort glo«rieuse, le nom d'un martyr, à toutes les gloires sacrées de << la Bourgogne. >> Puis touchant au fond de l'histoire d'Émilien, il entre dans les détails suivants qu'il n'est pas inutile de reproduire. « A quatre lieues d'Autun, en allant vers Chalons « se trouve la paroisse appelée St.-Jean-de-Lux ou Luze, <«< ou Luzi, et depuis on ne sait combien de siècles, appelée «saint Émiland. Fanum sancți Æmiliani. Ėmilien, Émiland, Émilan, tels sont les noms divers de son saint patron. << Le vrai nom est pourtant Æmilianus, par corruption « Emilanus, et plus tard Emilandus qui n'est qu'une tra«duction comparativement moderne du nom français devenu « le plus vulgaire Émiland.

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Le saint guerrier venait de Nantes probablement, << par Bourbon-Lancy » (suit la description de la marche et des combats d'Émilien tels que nous les avons rapportés). M. l'abbé Bouange ajoute : « Le tombeau du saint évêque, « devenu guerrier pour la défense de sa foi et de sa patrie, « comme saint Ebbon, évêque de Sens et tant d'autres de « cette époque, son tombeau, dis-je, existe encore au milieu « des nombreux sarcophages où reposent vos généreux com« patriotes. Il est couvert d'un petit oratoire, comme il le « fut ab initio. »

« Il est certain que son corps fut levé de terre et exalté << derrière l'autel majeur de l'église paroissiale, au XI. siècle. « C'était la forme de canonisation usitée en ce temps-là............... « Du reste, son culte est chez nous ab immemoriali, un

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«< culte tout-à-fait populaire. Son église a toujours été un lieu « de pélerinage, tant était grande la reconnaissance des Éduens pour la charité de ce pontife, qui était venu de si «<loin se sacrifier pour les sauver; et tant était vive aussi a l'impression qu'avait produite sa sainteté, son courage et << toutes les autres nobles qualités qui le distinguaient. Son << nom est donné encore aujourd'hui à une infinité de per<< sonnes de l'un et de l'autre sexe par les parents qui aiment « à placer leurs enfants sous son patronage..... Je vous ai

"

parlé des sarcophages où reposent les compagnons du Saint. << Il y en avait une si grande quantité du temps de Mabillon, qui les visita, en 1682, que la tradition populaire prétendit « que les héros nantais avaient été ensevelis dans des sépulcres « de pierre descendus du ciel. Un des musées d'Autun garde << une epée antique, qui fut long-temps conservée dans le «< chœur de l'église. On l'appelait l'épée de saint Émiland. Était-ce celle du saint pontife ou d'un de ses compagnons, << ou bien provenait-elle de la bataille, la dernière livrée aux légions romaines dans les plaines de Luzia, par Jules « Sacrovir, seigneur Éduen, comme l'ont dit des archéo«<logues de nos jours? Je ne puis décider cette question; si « elle avait été trouvée dans le tombeau du saint, la question << serait résolue; mais je n'ai là dessus aucun document (1). Nous terminerons cette série de témoignages par le texte de la légende du nouveau propre Autunois « Tunc autem temporis Ecclesie Nannetensi preerat sanctissimus antistes « Emilianus, illustri genere in Britannia natus. »

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En présence de tous ces documents et d'une tradition orale, écrite, monumentale, aussi positive, aussi continue, aussi imposante, serait-il possible de douter de l'origine bretonne et de l'épiscopat à Nantes de saint Émilien? Nous ne

(1) Première lettre de M. l'abbé Bouange.

A

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HISTOIRE DE SAINT ÉMILIEN.

le croyons pas. Une objection cependant se présente, c'est celle du silence gardé sur Émilien par nos monuments liturgiques et historiques locaux, et notamment par nos catalogues des évêques de Nantes.

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Nous avons déjà vu que Dom Chifflet avait prévu l'objection avant nous, et qu'il s'était proposé de la réfuter dans un chapitre ayant pour titre « que les catalogues des évêques « de Nantes, où il n'est point fait mention d'Émilien, ne <«< détruisent point la tradition, parce qu'ils sont récents et « très-imparfaits. » L'autorité de Dom Chifflet, qui avait eu sous les yeux les manuscrits et autres documents que nous avons perdus, est déjà une réponse. La raison qu'il donne en est une autre ; nous savons tous, en effet, que nos catalogues des évêques de Nantes ne remontent pas au-delà du XVIo. siècle et qu'ils n'offrent ni précision, ni critique, ni accord entre eux; il suffit de les inspecter pour s'en convaincre. Nous avons fait observer d'ailleurs que le catalogue de Dom Taillandier et surtout celui de Travers font une heureuse exception.

Mais quand il n'en serait pas ainsi, le silence de nos monuments locaux n'infirmerait pas les preuves positives et nombreuses que nous avons énumérées. Il peut s'expliquer d'ailleurs par la durée probablement très-courte de l'épiscopat de saint Émilien et par la mort du saint loin de son pays; on sait combien facilement sont oubliés les morts, surtout quand ils succombent sur une terre étrangère; il n'est pas nécessaire pour cela que des siècles s'écoulent. Et puis, Nantes, à qui cette expédition n'apporta que le deuil, n'eut pas les mêmes motifs d'en conserver le souvenir, qu'Autun qui en recueillit tous les fruits.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu'au temps où vécut Émilien, le bruit des invasions et des guerres avait vite étouffé les derniers gémissements de la tombe, et l'on n'avait pas les

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moyens que nous possédons aujourd'hui de sauver la mémoire des grands hommes. L'histoire n'existait pas encore. La nôtre en particulier est comparativement très-récente, et elle s'attacha d'abord à recueillir les matériaux qu'elle trouva sous sa main. Or, tous les monuments qui pouvaient rappeler le souvenir d'Émilien, son tombeau, ses précieux restes, son culte, ses actes, tout était à Autun, et l'on ne s'avisait pas de les y aller consulter. Un fait qui prouve d'ailleurs combien il est facile d'oublier en pareille matière, c'est que tous les documents que j'ai indiqués étaient depuis long-temps au milieu de nous, ou à notre portée (car, Messieurs, je n'ai pas la prétention d'avoir fait une découverte), seulement nous ne songions pas à y chercher, à y étudier saint Émilien. J'avoue que moi-même, si je n'avais été conduit à le faire par des circonstances particulières, je n'y aurais probablement point pensé. Le silence de nos monuments locaux sur saint Émilien est donc parfaitement explicable et sans valeur contre ceux si authentiques et si nombreux d'Autun; et loin d'être pour nous un motif de prolonger l'oubli de notre illustre compatriote, il nous semble au contraire en être un de plus de l'en faire promptement et glorieusement sortir.

J'ai annoncé un mot en terminant, sur l'épée dite de saint Émilien et sur les sarcophages monolithes qui entourent son tombeau. Je ne veux, en effet, en dire qu'un mot; d'abord parce qu'au point de vue historique je considère ces questions comme très-secondaires, et parce qu'au point de vue archéologique je me reconnais trop insuffisamment renseigné. Je me bornerai donc à exprimer le désir que la question devienne l'objet d'une étude plus approfondie; car si, en ce qui concerne l'épée, l'opinion de MM. les archéologues d'Autun doit m'inspirer du respect, la tradition m'en inspire également; et avant de me dessaisir de celle-ci, je voudrais qu'il fût bien démontré qu'elle s'est méprise en suspendant,

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