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d'un manque presqu'absolu de méthode, on n'y trouve pas l'esprit religieux, le sentiment de la foi vivifiante qui animait le moyen âge de son souffle puissant. Or, pour juger et pour comprendre ces siècles qu'on a si bien appelés les « âges de foi,» il faut être chrétien: il faut avoir dans le cœur et dans l'âme le feu sacré de la croyance. Sans ce flambeau, on ne voit pas, on s'égare et on se perd.

En second lieu, ce sont suriout les conditions élevées ou brillantes de la société que M. Monteil s'est plu à décrire. Il descend bien aux étudiants, à la milice, aux bourgeois: il contient bien quelques chapitres sur les artisans ; mais c'est là la partie la plus faible de son livre. Le peuple, les gens de métier, les « manouvriers,» il s'en occupe très-peu. C'est là, au contraire, la prédilection de M. l'abbé Lacroix; et c'est précisément parce que ses études complètent heureusement les recherches du lauréat de l'Institut que je me suis fait un devoir de les rapprocher les unes des autres.

Il y a, d'ailleurs, un autre motif à ce rapprochement. Chez M. Lacroix, comme chez M. Monteil, la méthode, l'unité, le plan se font vivement regretter. M. Monteil procède par siècles; M. Lacroix par nature de professions. C'est un ordre bien plus apparen! que réel; il expose à des redites; il divise l'intérêt; il partage et fatigue souvent l'attention. Il nuit surtout aux vues d'ensemble, et il laisse trop fréquemment dans l'esprit du vague et de l'incertitude. Il manque surtout de suite et de conclusion. C'est là un défaut considérable contre lequel les érudits de nos jours ne savent pas assez sc prémunir, el qui risque de faire perdre à notre caractère national son trait le plus éminent et le plus précieux, celui de la clarté, de la logique, de la déduction.

Laissons aux Allemands cette facile et stérile pratique qui consiste à entasser les faits, les notes, les citations, et qui, après avoir entraîné le lecteur dans un labyrinthe inextricable, l'abandonne tout à coup sans guide, sans boussole, sans issue. Reprenons avec le soin le plus scrupuleux cette délicatesse d'esprit, cette sévérité de jugement, cel amour de la lucidité et de la méthode qui savent se proposer un but et s'astreindre à un plan, qui posent un point de départ, développent une idée, et aboutissent à une conclusion nette et précise. Sans cela nous finirons par n'avoir plus que des écrits qui ressembleront à une bibliothèque en désordre, riche de matériaux précieux, mais sans classement et sans catalogue.

Certainement il serait injuste d'adresser à M. l'abbé Lacroix ce reproche dans toute sa sévérité; mais j'en ai exagéré à dessein les conséquences pour arrêter à temps les savants aussi consciencieux el aussi ardents que lui sur une pente à laquelle ils me paraissent trop disposés à céder. Ce sont des intelligences assez fermes et assez vigoureuses pour qu'on puisse leur mettre un frein, et la critique a droit d'être exigeante envers ces natures privilégiées : on ne soumet aux manœuvres de la haute école que les coursiers d'élite.

Par exemple, et pour justifier mon observation, j'avouerai que j'ai regretté à plusieurs reprises de voir l'histoire politique des corporations de Rouen mêlée aux détails de leur histoire législative ou industrielle. C'était, on le sait, ou plutôt on ne le sait pas suffisamment,c'était une existence fort agitée que celle d'une cité comme la capitale de la Normandie. Les séditions n'y étaient pas rares, et les riva-lités de corps de métiers, les prétentions de l'autorité royale, les ré-sistances des artisans y faisaient éclater des « émotions populaires, »> des querelles, des batailles même dont le récit est extrêmement curieux. Il y a eu, à diverses époques, des personnages sortis des der-niers rangs du peuple qui ont joué un rôle important, qui ont été les maîtres de la cité, qui l'ont armée et désarmée pour leur cause. Rouen a eu comme Paris ses « rois des halles. » En 1381, à la suite de je ne sais quel impôt, les métiers de Rouen se révoltèrent, arborèrent leurs bannières, prirent un drapier nommé Jean Le Gras, et sur la place du marché le proclamèrent roi de France. En 1639, un horloger, appelé Gorin, souleva le peuple au vieux cri normand: Ron! ron! ron! eta pendant quatre jours tint la ville sous ses ordres. Eh bien! ces faits qui auraient pu fournir la matière d'un mémoire entier, qui auraient,. dans leur développement à travers les siècles, répandu une vive lumière sur le progrès ou la décadence des corporations rouennaises dans leurs rapports avec la place publique, ces faits sont épars çà et là dans les diverses sections affectées à chacun de ces corps.

Il y a ensuite une étude des plus curieuses et dont les éléments auraient dû être groupés soigneusement. C'est le récit des prétentions réciproques, des jalousies, des contestations, des procès entre les différents genres de métiers, surtout entre ceux qui se tenaient de plus près. A chaque page du livre, on trouve des faits pleins d'intérêt, les uns plus graves, les autres plus plaisants, tous caractéristiques et de nature à donner au vif le tableau de toutes les préoccupations, de toutes les passions du temps. Je ne sais si je me trompe, mais je me persuade qu'on aurait pu trouver là des peintures d'un enseignement remarquable et des scènes du comique le plus vrai et le plus piquant.

Au reste, je me hâte de le dire, mon seul reproche à M. l'abbé Lacroix, c'est de n'avoir pas assez bien mis en valeur les innombrables richesses de son trésor. C'est un antiquaire dont le cabinet n'est pas assez éclairé, et qui n'a pas assez la coquetterie de sa passion. Mais pour être complet, pour n'avoir rien négligé, pour avoir fouillé partout et partout récolté, M. l'abbé Lacroix est incomparable. Il y a tout dans son livre, tout et beaucoup d'autres choses encore: de omni re scibili et quibusdam aliis!

Quand il arrive aux corporations en particulier, c'est un luxe inouï de détails. Il commence par les états relatifs à la nourriture, il suit par ceux des étoffes : il vient aux vêtements, à la coiffure, à la chaussure. De l'homme il passe à l'habitation, aux ouvrages de

bois, de fer, de métaux, et chacun de ces grands chapitres se subdivise en plusieurs sections. Ainsi prenons un seul exemple: Voici les titres d'un des chapitres de la nourriture: « Bouchers, charcutiers, saucissiers, boudiniers, poissonniers, vendeurs, visiteurs, contrôleurs du poisson, cuisiniers, traiteurs, rôtisseurs. » Et à l'appui, lcs statuts, les armoiries, les priviléges, les querelles, les arrêts de parlement, la chronique, rien n'y manque. Plus loin, ce sont les professions diverses, depuis les maîtres de danse jusqu'aux médecins et aux imprimeurs. Il n'y a que les avocats dont je n'ai pas souvenance: il est vrai qu'ils tenaient à la judicature, et que M. l'abbé Lacroix s'est arrêté aux corporations industrielles.

Après les corporations, les confréries. Elles peuvent se diviser en deux classes. Les confréries, composées de personnes pieuses et charitables, se livrant au soulagement des pauvres, s'unissant dans la commune pratique des devoirs de la religion et dans un mutuel exercice de protection et de dévoûment les unes à l'égard des autres. Celles-là étaient accessibles à tous les habitants d'une même cité sans distinction de profession. Les secondes ne se composaient que d'individus appartenant au même corps d'art ou de métier, et avaient pour principale fin la défense réciproque, le secours mutuel et le maintien des priviléges de la corporation.

Fondées originairement dans une liberté civile entière et sous la seule autorité de l'Eglise, ces associations furent bientôt l'objet de diverses réglementations de la part du pouvoir royal. Les princes s'arrogèrent le droit de les sanctionner par leur consentement exprès. Toutefois il resta cette différence notable: c'est que le décret de la puissance ecclésiastique de l'Evêque, par exemple, suffisait pour prononcer l'extinction de la confrérie, et l'appel au souverain ne la pouvait faire renaître. Que si le prince, de son côté, la jugeait incompatible avec le repos public, il prononçait, non pas la suppression, ne pouvant donner l'institution, il ne pouvait la retirer,mais la révocation des lettres-patentes d'autorisation, la confiscation des biens et la défense de tenir assemblée.

Cette situation où l'arbitraire tenait une si large place, engendra des luttes et des débats infinis. Le gallicanisme parlementaire s'en mêla, et il y a peu d'histoire aussi animée, aussi turbulente que celle des procès et des discussions soulevées à l'occasion de la plupart des confréries, surtout dans les derniers temps de l'ancienne monarchie.

M. l'abbé Quin-Lacroix est aussi riche de détails et de récits à l'é gard des confréries de sa ville de prédilection qu'à l'égard des associations industrielles. Sa nomenclature est complète, et en la reproduisant, nous fournirons le pieux et irrécusable témoignage du gé nie divin de la charité évangélique qui sait trouver des consolations et des secours pour tous les maux et pour tous les besoins, pour toutes les positions de la vie. Ainsi, confréries des Agonisants, des Tré

passés, des âmes du Purgatoire, de la Consolation; voilà pour le soin des âmes au moment suprême. Confréries des arts, des musiciens, de Sainte-Cécile; de la Conception de Notre-Dame et de la Passion pourla littérature et pour les représentations dramatiques des mystères; confréries des Pèlerins, des Prisonniers, de la Rédemption des captifs. Confréries pour la vie active, confréries des hommes de guerre, archers, arbalétriers, arquebusiers; des gens de métier, St-Léonard pour les brasseurs, la sainte Trinité pour les saveliers, St-Côme et St-Damien pour les fripiers, St-Louis pour les boutonniers, St-Eloi pour les serruriers, Sl-Cassian pour les maîtres d'école, St-Mathurin pour les toiliers, St-Clément pour les marchands de cidre, Ste-Avoye pour les porteurs de blés, Ste-Anne pour les filassiers, St-Adrien pour les graineliers, St-Joseph pour les tondeurs de drap, St-Pierre pour les poissonniers, St-Sever pour les chapeliers, Notre-Dame-de-Recouvrance pour les bonnetières-enjoliveuses, Ste-Barbe pour les arquebusiers, St-Alexandre pour les charbonniers, l'Annonciation pour les bouchers, St-Maurice pour les teinturiers, St-Clair pour les tourneurs, St-Dominique pour les couturières, Ste-Croix pour les papetiers, St-Crépin pour les cordonniers, St-Jean-Porte-Latine, pour les imprimeurs-libraires, St-Germain pour les maîtres de danse, St-Simon et St-Jude pour les maçons, St-Marc pour les tabellions et notaires, St-Fiacre pour les potiers, St-Ouen pour les cuisiniers, St-Yves pour les avocats, St-Hubert pour les gainiers, St-Honoré pour les boulangers, St-Sébastien pour les archers, etc., etc.

Puis viennent des renseignements historiques d'une importance considérable, mais pour lesquels je me permettrai de faire les mêmes observations que ci-dessus. Rien, du reste, n'est plus curieux et plus intéressant que ces détails, et c'est avec un vif regret que je dois renoncer à les reproduire. Qu'il me suffise seulement de remercier M. Lacroix d'avoir inséré tout au long les statuts d'une des plus remarquables de ces confréries; statuts empreints d'un esprit admirable de foi et de charité et auxquels nos sociétés de secours mutuels devraient bien faire d'utiles et de nombreux emprunts. Ainsi « sera chacun Frère ou Sœur, gisant en infirmité de son corps, visité tous les dimanches par les Frères servans, et sera chacun qui le saura en réelle infirmité tenu de dire une fois Pater et Ave. » « Item si aucun Frère ou Sœur va de vie à trépas, on lui fera dire deux basses messes, on y portera la croix, bannière, drap de corps et luminaire, et aussi y aura vigiles à trois psaumes et trois leçons, et treize deniers de pain aux pauvres le jour de l'enterrement; auquel corps-lever doivent estre les prévost et Frères servans, et aller à l'offrande, et reconvoyer les amis du trépassé à l'hôtel sous peine d'amende. » « Item, si aucun Frère est exilé par feu, par eau ou autre pitoyable fortune, ladite Charité lui aidera de sept sols six deniers une fois, et s'il est en prison pour quelque cas de pitié, aura son lot comme les autres Frères malades, s'il le requiert. » Enfin on retrouve dans ces

statuts l'idée même du patronage, l'intervention de personnes qui ne voulaient pas bénéficier des secours temporels de l'association, mais seulement avoir part à ses prières. « Item, si quelqu'un se veut mettre en icelle Charité sans jamais rien payer ni prendre, sinon les biens spirituels et avoir son service, il sera reçu en payant pour une fois une certaine somme d'argent. »

Ces associations pieuses avaient leurs insignes bannières, armoiries, jetons, devises; symbolisme chrétien dont le savant archéologue a recueilli les types avec le soin le plus scrupuleux, et dont les reproductions ajoutent à son œuvre un précieux ornement.

Voilà, autant qu'une rapide et imparfaite analyse en peut donner l'idée, voilà le livre de M. l'abbé Ouin-Lacroix. Quand, après l'avoir lu, on se recueille et on se rappelle, on est assailli d'une multitude indescriptible de faits et de souvenirs, les uns pieux et touchants, les autres graves et sévères; ceux-ci plaisants et bizarres, ceux-là tristes et pleins de compassion. Il semble qu'on ait assisté au réveil d'un monde, et dans ce sentiment de surprise et d'admiration, il se mêle quelque chose comme un peu du pêle-mêle du chaos. Laissez reposer l'esprit, faites de l'ordre, suppléez au classement, et vous en tirerez des merveilles !

HENRY DE RIANCEY.

L'Union de l'Ouest public les deux lettres suivantes que nous nous empressons de reproduire :

• Monsieur,

« Je ne puis taire une nouvelle preuve de la bonté du Saint-Père et de son affection pour l'armée française. J'ai donc l'honneur de vous adresser, en vous priant d'en donner connaissance à vos abonnés, copie de la lettre que vient de m'envoyer S. E. Mgr le nonce apostolique.

« Je n'ajoute aucunes réflexions; je rendrais mal les sentiments qu'inspire une si paternelle bonté.

Je vous prie d'agréer les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, « Monsieur,

Votre très-hunble et très obéissant serviteur,

Paris, ce 11 mai 1850. >>

Monseigneur,

« † GUIL., Evêque d'Angers.

« Je viens de recevoir une dépêche de Son Em. Mgr le Cardinal pro-secré taire d'Etat de Sa Sainteté, par laquelle il m'annonce que, profondément touché du douloureux événement qui a, dernièrement, si vivement contristé la ville d'Angers, le très-Saint-Père a bien voulu destiner une somme de dix mille francs, pour soulager les personnes blessées et leurs familles et celles des victimes de cette catastrophe.

J'ai pensé, Monseigneur, que, mieux que personne, vous pourriez utilemen employer votre charité pastorale et votre dévouement à l'accomplissement des intentions de Sa Sainteté, et m'empresse de vous informer que je tiens à votre disposition les dix mille francs que j'ai reçus à ce titre, d'après les ordres du

Saint-Père.

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