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goût de l'Assemblée. M. Dupin l'a relevée avec la verve la plus acérée, et d'un élan spontané la majorité a prononcé la censure contré le matamore nivernois.

Ce prélude avait jeté quelque émotion dans la salle. Un autre incident a aussi occupé l'attention. Le Moniteur, par une singulière omission, ne contenait, ce matin, ni le discours de M. le ministre des affaires étrangères, ni la dépêche dont il a donné lecture. M. Dupin s'est empressé d'expliquer que c'était le résultat d'un malentendu, ou plutôt de la trop facile complaisance avec laquelle on avait communiqué ce document aux journaux, de telle façon que tous l'avaient pu recueillir, sauf la feuille officielle. En vérité, si cet accident fait l'éloge de l'obligeance du Moniteur, il ne fait guère celui de sa rédaction. Au reste, un supplément a dû être expédié ce matin, et il arrivera en province en même temps que le journal lui-même.

On s'attendait ensuite à voir paraître le rapport sur la loi électorale. On a attendu en vain; et l'agitation était telle que personne n'a pu commander un instant d'attention. Il s'agissait cependant du budget des recettes et d'impôts à augmenter ou à établir. Mais tous les orateurs y perdaient leur rhétorique, quelque estimables qu'ils fussent et quelque intéressante que pût être la matière de leur discussion.

Ainsi M. Gaslonde et M. Chegaray ont eu beau attaquer les droits d'enregistrement, M. F. de Saint-Priest a eu beau plaider la cause du timbre-poste à 20 c.; M. Mauguin a eu beau raconter des anecdotes sur le poids des lettres, tous les amendements ont été rejetés, les uns sans cérémonie, les autres par scrutin de division.

Dorénavant nous paierons 25 c. les lettres ordinaires. On a ensuite passé aux patentes. Il y a eu quelques petits escarmouches en faveur des industries patentables: il y a même eu des réclamations pour l'honneur de la profession. M. Barthélemy Saint-Hilaire — qu'a-t-il de commun pourtant avec un agréé? - a sollicité qu'on classât les agréés non parmi les agents d'affaires, mais parmi les avocats. «Non pas, non pas, répond M. de Vatimesnil; les avocats qui se font agréés près le tribunal de commerce sont rayés du tableau! » Le privilége ́de la toge est sauvé, et les agréés paieront... en vertu du tableau D et non pas du tableau G. Soit, pourvu qu'ils paient!

M. Rigal a ensuite demandé et obtenu l'impression d'une série de chiffres statistiques sur la répartition des votes électoraux. C'est un document pour la discussion de la future loi.

La séance s'est terminée sans que le rapport de M. Léon Faucher fût présenté. Ces retards sont fâcheux; quand de pareils sujets sont jetés dans le domaine public, il faut qu'on leur donne solution au plus vîte.

Cette loi était encore aujourd'hui l'objet de toutes les conver sations. Une seule chose y faisait diversion: c'était l'étrange et honteux contraste du silence et du mutisme de la Montagne pen

dant les premières salves d'applaudissements qui ont accueilli hier le rappel de M. Drouin de Lhuys; attitude, du reste, parfaitement commentée et approuvée par les feuilles démagogiques. Le socialisme est l'allié des étrangers, et il se voile la face quand la dignité de la France inspire de nobles résolutions aux grands pouvoirs de l'Etat!

On attribue à M. le général Cavaignac l'exclamation suivante. Au milieu des applaudissements de la Droite, dans la séance d'hier, il se serait écrié: « C'est du don quichotisme ! »

Le Parti anglais.

Tout le monde sait que deux négociations se poursuivaient simultanément, au sujet des affaires de la Grèce, l'une à Athènes entre M. Gros et M.Wyse, l'autre à Londres entre lord Palmerston et M. Drouin de Lhuys. Or, il avait été arrêté entre les plénipotentiaires de France et d'Angleterre qu'en cas de double traité, le premier en date serait la loi des parties. Mais la foi punique de lord Palmerston a su éluder cette convention le texte du traité signé à Londres le 18 avril dernier, n'est arrivé à Athènes que quatre ou cinq jours après que le gouvernement grec eut subi la loi de la force!

La France, naturellement, a dû sommer énergiquement le cabinet de Saint-James de maintenir comme valable la convention arrêtée à Londres. Lord Palmerston n'a tenu compte de ces réclamations : il a ose se flatter que les embarras intérieurs de la France la condamneraient à subir silencieusement cette nouvelle impertinence. Mais, cette fois, l'incartade du noble lord a été relevée comme elle le méritait. Le rappel de notre ambassadeur est un acte de vigueur qui obtiendra l'approbation de la France entière. M. de Lahitte, qui commandait l'artillerie française à l'époque de l'expédition de Morée, s'est rappelé les nobles paroles adressées par Charles X à M. Hyde de Neuville, son ministre : « Que l'Angleterre le veuille ou ne le veuille pas, nous délivrerons la Grèce! »

Il faut donc que lord Palmerston se le tienne pour dit : quoique la France soit, depuis deux ans, battue par les tempêtes révolutionnaires, elle ne se laissera pas mettre le pied sur la gorge par son orgueilleuse voisine. Notre vaillant pays, qu'on le sache bien de l'autre côté du détroit, a en lui assez d'énergie et de force pour faire face tout à la fois aux émeutiers du dedans et aux forbans du dehors. Quand la question d'honneur national est posée, il n'y a plus qu'une opinion parmi les vrais Français. Il va sans dire que nous ne rangeons pas dans cette catégorie les journalistes du parti demagogique, ces folliculaires éhontés qui ont, durant tant d'années, vociféré l'injure contre la perfide Albion, contre les Pritchardistes vendus à l'Angleterre, et qui, demain, applaudiraient à l'échec de nos armes si une collision éclatait entre les deux pays!

C'est avec un dégoût inexprimable que nous avons lu ce matin l'article anglais du National, protestant, avec le cynisme de langage qu'on lui connaît, contre la comédie d'honneur jouée, dit-il, par le gouvernement.

La dignité de la France n'est rien pour tous ces remueurs de pavés. Ils ne se préoccupent que d'une chose : fomenter une nouvelle révolution pour ressaisir le pouvoir que la France n'a pas voulu laisser dans leurs mains souillées. Le mot d'ordre est déjà répété sur toute la ligne. Il n'est pas jusqu'à la Presse, ce journal que la Démocratie pacifique accusait jadis d'avoir vendu la question polonaise à la Russie, moyennant 80,000 francs par an; il n'est pas, disons-nous, jusqu'à la Presse qui, mettant le comble au cynisme de ses apostasies, ne s'en vienne rompre une lance en faveur de lord Palmerston. « Nous avons, dit l'habile prestidigitateur, franchement avoué, à une autre époque, nos préférences pour l'alliance russe : mais nous sommes justes et nous sommes prévoyants. »

La Démocratie pacifique qui n'est pas moins hypocrite, mais qui est beaucoup moins rusée que la Presse, combat aussi à outrance en faveur de lord Palmerston.

Tout en réprouvant, « autant qu'on le peut faire en l'absence de documents officiels, » les mesures violentes prises contre les Grecs par les Anglais, la feuille phalanstérienne fait observer naïvement que le cabinet wigh est l'allié le plus dévoué des démagogues de tous les pays. « Le gouvernement anglais, dit-il, s'est montré plus libéral que le nôtre dans la question du Sonderbund; il a soutenu, ENCOURAGE la Sicile soulevée contre le roi bombardeur..... Il a fait de son territoire un asile pour tous les martyrs de la démocratie universelle. »

Voilà l'explication des sympathies si ardentes de nos démagogues pour lord Palmerston, lequel, dit la Démocratie pacifique, a rendu plus d'un service aux frères et amis. Le National et la Presse marchent aujourd'hui d'accord sur le terrain de l'alliance anglaise. Ils comptent que le directeur du Foreign Office déchaînera cette terri▾ ble tempête dont M. Canning, il y a tantôt vingt ans, menaçait şi insolemment la France.

A. DE.

ᎠᎬ .

Les colléges électoraux du département du Bas-Rhin sont conv0qués pour le 9 juin prochain, à l'effet de procéder à l'élection d'un représentant du peuple en remplacement de M. Goldenberg, qui a donné sa démission.

Bulletin de la politique étrangère.

ANGLETERRE.- Il y a eu hier, à la Chambre des Communes, quelques paroles échangées sur l'incident dont la France était, au

même moment, informée par M. le général de Lahitte. La dépêche par laquelle M. Drouin de Lhuys a été rappelé n'étant pas encore connue à Londres, lord Lansdowne, à la Chambre des Lords, et lord Palmerston, à la Chambre des Communes, ont cherché à couvrir, par une explication plus ou moins ingénieuse, la gravité de la question. Voici quelques lignes du discours de lord Lansdowne :

Le départ de l'ambassadeur de France est dû uniquement à des circonstances qui ont rendu nécessaire sa présence à Paris. Le gouvernement français a désiré que ce très-excellent personnage se rendît à Paris, pensant que sa présence dans cette ville pour quelque temps serait plus utile que ne le pourrait être sa présence à Londres. A mon avis, la présence de cet excellent gentleman à Paris sera plus utile à la liaison entre les deux pays qu'elle ne l'eût pu être actuellement ici. >

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SUISSE. La majorité acquise à l'opposition conservatrice dans les élections de Berne, est pour toute la Suisse un espoir et un encouragement. Que les honnêtes gens ne craignent pas de se montrer et ils triompheront. Sans l'attitude qu'ont prise les amis de l'ordre, les pétitions de Fribourg auraient peut-être été écartées. Au contraire, on les a prises en considération, et le conseil fédéral a nommé deux commissaires, chargés de la médiation entre le gouvernement de Fribourg et les contribuables; ce sont M. le Dr Kern, de Thurgovie, président du tribunal fédéral, et M. Pioda, du Tessin, député national. On sait que le premier est l'auteur de la proposition adoptée par les deux conseils, et que le second l'a combattue.

-Une grande agitation continue à régner dans le canton de Berne par suite des élections qui viennent d'avoir lieu. Il a fallu, le 10 au soir, l'intervention de la force armée pour empêcher dans la ville la corporation des bouchers d'en venir aux mains avec les étudiants.

HOLLANDE.- Une nouvelle loi électorale touchant la triple représentation des citoyens dans la commune, dans la province et dans l'Etat, a été présentée le 3 mai par le ministère hollandais.

Cette loi contient de sages et libérales dispositions; mais elle a un vice radical. Par le morcellement qu'on a fait subir à certaines provinces du royaume, par la délimitation arbitraire d'un grand nombre de districts, il paraît qu'on s'est efforcé de neutraliser l'influence légitime des populations fidèles à l'Eglise.

Ainsi, les protestants de Hollande, non contents d'éloigner les catholiques des plus modestes emplois, prétendraient encore appli quer par voie détournée leur système d'exclusion au régime électoral.

Une telle loi, loi de parti ou plutôt de secte, ne ferait que jeter des germes de division dans les Pays-Bas, si tranquilles jusqu'ici, quoique le fanatisme des prétendus réformés ne néglige rien pour les troubler.

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La séance est ouverte à une heure et demie.

Le procès-verbal est lu par un des secrétaires.

(Le retour de M. Dupin produit une vive impression.)

On s'entretient dans l'Assemblée d'une lacune grave du Moniteur, qui ne donne pas les pièces lues hier à la tribune par M. de Lahitte, ministre des affaires étrangères, et relatives aux affaires de Grèce.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Marques d'attention.)

M. LE GÉNÉRAL DE LANITTE, ministre des affaires étrangères. Messieurs, je monte à cette tribune pour exprimer, au nom du gouvernement, l'étonnement que j'éprouve en ne voyant pas au Moniteur la communication importante que j'ai eu l'honneur de faire hier.

Nous demandons au bureau de l'Assemblée de nous faire connaître comment cette erreur a pu être commise, et nous demandons aussi qu'aujourd'hui même l'insertion de ces pièces soit faite au Moniteur. (Vive approbation.)

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, je suis arrivé ce matin, après avoir abrégé d'un tiers le congé qui m'avait été accordé. Comme M. le ministre, j'ai été frappé de l'omission du Moniteur. J'ai demandé des explications, et il paraît que c'est dans les communications qui ont été faites aux journaux du soir, qui ont insisté pour avoir ces pièces, qu'il faut chercher la cause de cette omission. Les pièces n'ont donc pas, pour ce metif, été communiquées au Moniteur. (Mouvements divers.)

Une voix Pourquoi alors ne pas les avoir prises dans les journaux du soir?

M. LE PRÉSIDENT Il n'en est pas moins regrettable que la publication au Moniteur n'ait pas eu lieu; le Moniteur est le journal officiel, c'est lui d'abord qui doit insérer des pièces de cette nature; les autres journaux ne sont que des accessoires.

Heureusement, le procès-verbal n'a point cette lacune; il contient textuellement la communication de M. le ministre des affaires étrangères, par conséquent le caractèreofficiel de la communication a été constaté.

J'ajoute qu'aujourd'hui même un supplément au Moniteur contiendra ces documents et sera immédiatement envoyé dans les départements.

L'omission regrettable du Moniteur n'ôte rien au caractère officiel de la communication ni à la manière dont elle a été accueillie par l'Assemblée (Approbation.)

Le procès-verbal est adopté.

Un grand nombre de membres qui siégent à la Montagne se pressent au pied de la tribune pour déposer des pétitions contre la nouvelle loi électorale.

Nous remarquons d'abord MM. Bourzat, Ronjat et Napoléon Bonaparte. Quand ce dernier membre paraît à la tribune, il est accueilli par des rires prolongés.

Voix à gauche : Monsieur le président, rappelez la droite à l'ordre.

M. LE PRÉSIDENT. Mais il ne m'est pas possible d'empêcher que l'on rie. (Nouvelle hilarité. Rumeur à la Montagne.)

M. NAPOLÉON BONAPARTE. Cette pétition qui demande le maintien du suffrage universel, est signée par 5,000 citoyens de Paris.

Une voix Signée dans les bureaux de la Presse, connu !

MM. Duché, Chaix, Madier de Montjau, Colfavru, Frichon, Boissel, Mathieu (de la Drôme) se succèdent à la tribune et déposent les pétitions dont ils sont porteurs. Plusieurs de ces membres disent que les signataires demandent le respect de la Constitution. (Exclamations à droite.)

A droite: Vous ne pouvez pas dire qu'on nous demande le respect de la Constitution.

M. BOURZAT. Oui, le respect de la Constitution que vous violez. (Bruit.-A l'ordre! à l'ordre !)

M. LE PRÉSIDENT à M. Bourzat. Vous avez dit de la Constitution que vous violez...

A droite A l'ordre! à l'ordre! (Cris à gauche.)

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