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Je ne sache rien de plus instructif que ce seizième chapitre du livre de M. Regnault sur la célèbre manifestation du 16 avril. Depuis le 17 mars, le ministre de l'intérieur croyait avoir à sa disposition « une immense force disciplinée. » Le succès de l'esprit révolutionnaire à l'extérieur l'encourageait. Persuadé, dit M. Regnault, que le gouvernement était retenu dans une mauvaise voie par les ménagements de la majorité, M. Ledru-Rollin se croyait assez fort pour pouvoir « ouvrir l'abîme des révolutions » sans pactiser avec la violence et l'anarchie :

M. Ledru-Rollin voulait donner toute garantie au peuple, mais aussi maintenir toute force à l'autorité. Prêt d'ailleurs à consentir, à provoquer même des changements radicaux dans les institutions, des ébranlements profonds dans la hiérarchie sociale, il avait à cœur d'épargner les personnes..., en un mot toutes les hardiesses de la Convention, moins l'échafaud; tous les sacrifices à l'innovation, moins le sacrifice sanglant: tel était l'idéal politique de M. Ledru-Rol

lin.

Assurément, aucun ennemi de M. Ledru-Rollin n'aurait rien pu inventer de plus fort, pour caractériser l'incroyable incapacité politique de ce tribun qui, en face de Blanqui et consorts, et sans tenir aucun compte des entraînements de la multitude, se flattait que le peuple une fois lancé s'arrêterait à sa voix, et que lui, chef de la conspiration, il pourrait faire respecter les personnes au milieu d'un bouleversement universel de la société! - Mais, en vérité, M. de Lamartine lui-même ne poussa jamais si loin la puérilité de ses espérances et l'orgueil de sa foi en lui-même !

Cependant, au moment de l'exécution, M. Ledru-Rollin éprouva quelques doutes. « Pourrait-il commander à d'autres moins scrupuleux que lui! » Ces hésitations n'échappèrent pas à ses amis des clubs avancés. Peu de jours avant l'époque fixée pour la manifestation, M. Se brier eut une conférence, au ministère de l'intérieur, avec M. LedruRollin, qui avait refusé de recevoir de Flotte, le partisan dévoué de Blanqui. Le jeune collègue de Caussidière présenta au ministre la liste des membres du nouveau gouvernement, liste arrêtée au club de la rue de Rivoli peu de jours auparavant. MM. Ledru-Rollin, Albert, Flocon et Louis Blanc étaient conservés dans le gouvernement provisoire. On leur adjoignait MM. Raspail, Blanqui, Kersausie et Cabet. Mais M. Ledru-Rollin ne voulut accepter aucune combinaison avec Blanqui. En vain Sobrier épuisa-t-il toutes les ressources de son éloquence; après de longues explications, il quitta M. Ledru-Rollin en lui disant : « Eh! bien, si vous ne voulez pas marcher, vous serez jeté par les fenêtres, dimanche, avec les autres : nous sommes en mesure ! » (P. 290.)

Le ministre de l'intérieur, à ces mots, comprit enfin qu'au lieu d'alliés il allait avoir des maîtres. Le 16 au matin, M. Ledru-Rollin prit la résolution d'aller trouver M. de Lamartine et de s'allier à ses collègues de la fraction modérée du gouvernement provisoire contre

les conspirateurs qu'il avait lui-même mis en mouvement, et qui marchaient sous la bannière de Blanqui, de Sobrier, de Louis Blanc et de Caussidière.

Durant ces entrefaites, les masses populaires affluaient de toutes parts vers les lieux de rendez-vous. De tous côtés, les ouvriers arrivaient au Champ-de-Mars, précédés de bannières sur lesquelles on lisait Organisation du travail pacifique! Egalité !

Les drapeaux furent plantés dans le sol, et, après avoir procédé à l'élection d'un certain nombre d'officiers d'état-major choisis parmi les ouvriers, on se mit en marche pour l'Hôtel-de-Ville, où l'on proposait, disaient les meneurs, de porter au gouvernement une collecte faite en offrande à la patrie.

A l'Hôtel-de-Ville, pendant ce temps-là, tout se préparait pour une défense désespérée.

-Que pensez-vous de la journée? demandait avec anxiété M. Marrast à son collègue M. de Lamartine.

tout.

J'ai fait mon testament, répondit ce dernier, je suis préparé à

Etendu sur un canapé, le célèbre poète, dit M. Elias Regnault, croyait à l'approche d'un cataclysme social; il s'apprêtait au sacrifice de la vie, a résigné plutôt qu'énergique ! »

Mais, au milieu de ce désarroi, survint le général Changarnier, offrant ses services pour la défense du palais. La présence du héros de la retraite de Constantine releva tout aussitôt les cours les plus abattus.

Le général, dit M. Elias Regnault, dont le récit a d'autant plus de prix que c'est la plume d'un adversaire qui l'a tracé, le général parcourut les différentes parties de l'édifice..., animant les soldats de la voix et du geste, les électrisant par les ardeurs de ses regards et de ses mouvements. Tous ceux qui ont vu le général Changarnier sur le champ de bataille s'accordent à reconnaître en lui les plus brillantes qualités de l'homme de guerre. Ceux qui l'entouraient à l'Hôtel-deVille furent stupéfaits de la métamorphose qui s'opéra en lui, dès qu'il saisit le commandement militaire. Ce n'était plus le même homme, ses yeux étincelaient, son front semblait se dilater, sa physionomie s'ennoblissait d'enthousiasme et de joie; ses ordres rapides et précis donnaient une vie nouvelle aux soldats; à chaque mouvement qu'il ordonnait, ils semblaient bondir plutôt que marcher; tous les cœurs étaient agités de frémissements magnétiques, et l'impatience du combat courait dans les rangs. Jamais ne se révéla mieux la toute-puissance d'un commandement habile et d'un courage communicatif! ›

Cependant les colonnes populaires étaient arrivées à la hauteur du Louvre, et la garde nationale ne se montrait pas encore. Rien ne semblait plus devoir arrêter les flots pressés de la multitude, lorsque la 10° légion, venant de la rive gauche, déboucha au pas de course sur le pont d'Arcole, et coupa en deux l'immense armée populaire. Dans le même temps, et comme à un signal donné, arrivaient les bataillons de garde mobile que commandait le général Duvivier, lequel avait suivi de point en point les ordres dictés à M. Marrast par

le général Changarnier. Les clubs furent vaincus. Ce jour-là, la France échappa au joug de MM. Blanqui, Louis Blanc et Caussidière. Il faut lire dans l'ouvrage de M. Elias Regnault le portrait qu'il trace de ces trois hommes dévorés d'une ambition de jour en jour plus vive, et qui faisaient peur à M. Ledru-Rollin, si révolutionnaire qu'il fût. Parmi les curiosités que renferme le livre de M. Elias Regnault, il faut placer en première ligne le rôle qu'il fait jouer à M. de Lamartine, rôle magnifique un jour, mais, après cela, sans grandeur, sans élévation et sans noblesse.

On sait que M. de Lamartine a protesté naguère avec énergie contre une accusation dirigée contre lui par M. Crocker au sujet de Mme la duchesse d'Orléans. M. Elias Regnault vient ajouter le poids de son témoignage à l'assertion du Rewiever anglais :

« Le 27 février, on informa le gouvernement provisoire que la duchesse d'Orléans était arrêtée à Mantes.... M. J. de Lasteyrie accourut à l'Hôtel-de-Ville pour obtenir un ordre d'élargissement. Tous les membres du gouvernement y consentirent, un seul excepté : c'était M. de Lamartine.... Aux instances de M. Jules de Lasteyrie il répondit: Le salut du pays repose sur ma popularité, je ne veux pas la risquer ! » Ce fut M. Albert qui, par une chaleureuse intervention, décida M. de Lamartine à se relâcher de ses rigueurs. › (P. 104.)

M. Elias Regnault raconte que, apprenant de M. Armand Marrast le résultat des élections de 1848, M. de Lamartine, comme énivré de l'éclatant succès qu'il venait d'obtenir, s'élanca de son siége, et que, debout, les yeux levés au ciel, les bras étendus, il s'écria: «Me voilà donc plus grand de la tête qu'Alexandre et César!»

Après avoir lu le livre de M. Elias Regnault, il est très-douteux que personne, à l'avenir, se puisse illusionner à ce point de voir de grands hommes dans les gouvernants provisoires de Février. Renversez donc encore ces lois fondamentales qu'on ne peut violer, dit Bossuet, «< sans ébranler tous les fondements de la terre,» renversezles, pour faire arriver au pouvoir le rhéteur Louis Blanc, l'ouvrier Albert, le journaliste Flocon et l'avocat Crémieux !

AURÉLIEN DE COURSON.

Sous le titre de Code Electoral (édité par MM. Plon frères) M. Berrurier offre à tous les Electeurs un commentaire utile et précieux sur la loi nouvelle. Ce livre résume la discussion de la loi, les circulaires ministérielles et les décisions judiciaires sur la matière. Il devient ainsi le guide indispensable des Electeurs.

BOURSE DU 19 JUIN.

Le 5 p. 100, 94 05 à 94 40. Le 3 p. 100, 58 60 à 58 50. Actions de la Banque, 2,210 00.- Obligations de la Ville, 1,310 00.- Nouvelles Obligations, 1,060 00.5 p. 100 belge, 99 114.- Emprunt romain, 77 010.

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Paris, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2.

SAMEDI 22 JUIN 1850.

L'AMI DE LA RELIGION.

Lettre de Mgr l'Evêque d'Orléans

(N° 5074.)

▲ MM. LES SUPérieur, directEURS ET PROFESSEURS DE SON PETIT SÉMInaire.

(Premier article.)

Sous ce titre, Mgr l'Evêque d'Orléans vient de publier sur l'ÉDUCATION un grand et important travail, fruit d'une longue expérience et des plus mûres méditations.

Cet écrit, digne en tout temps de fixer l'attention, emprunte des circonstances présentes un bien grave intérêt. Le clergé y trouvera des principes sûrs et lumineux, des vues fortes et étendues, des motifs puissants d'encouragement pour l'œuvre de l'éducation de la jeunesse. Les hommes instruits y liront, tracées par une main habile et excrcée, les notions les plus vraies et les plus pratiques sur les études et sur leur but, leur élévation ou leur abaissement.

Nous croyons remplir un devoir en présentant à nos lecteurs, à l'aide d'une analyse fidèle et de nombreuses citations, l'idée exacte de cette éloquente instruction pastorale.

L'illustre auteur s'est proposé, il le dit nettement en commençant, d'indiquer les moyens de soutenir, d'élever et de fortifier les études. Et s'il s'adresse particulièrement à ceux qui doivent former les élèves du sanctuaire à la piété et à la science, nul doute que ces précieux enseignements ne s'appliquent également à tous les genres d'éduca tion :

I. NATURE ET BUT DE L'ÉDUCATION ;

II. LES HUMANITÉS, Leur BUT, LEUR IMPORTANCE;

III. CAUSES DE L'affaiblissement GÉNÉRAL DES ÉTUDES;

IV. PREMIER ET PRINCIPAL remède a l'AFFAIBLISSEMENT DES ÉTUDES, LE NIVEAU des claSSES;

V. QUELQUES autres remèDES ET CONSEILS :

Tels sont les points capitaux. traités par Mgr l'Evêque d'Or léans.

1o Nature Et BUT DE L'ÉDUCATION: Voici comment ils sont définis dans la lettre que nous analysons:

Cultiver, exercer, développer et polir toutes les nobles facultés physiqnes, intellectuelles, morales et religieuses, qui constituent dans l'enfant la nature et Ja dignité humaines; les élever à la force de leur intégrité naturelle; les établir dans la plénitude de leur puissance et de leur action;

Par là, former l'homme et le mettre en état de servir sa patrie, et de fournir une carrière utile et honorable dans les diverses conditions de la vie sur lu terre;

L'Ami de la Religion. Tome CXLVIII.

25

« Et ainsi, dans une pensée plus haute, préparer l'éternelle vie en élevant la vie présente :

«Telle est l'œuvre, tel est le but de l'éducation;

Tel est le devoir d'un père, d'une mère; lorsque Dieu, les associant à sa Providence suprême, donne par eux la vie à de nobles créatures, et les charge de continuer et d'achever cette œuvre toute divine, en conduisant au bonheur par la vérité et par la vertu ces enfants, qu'il associera lui-même un jour à sa félicité éternelle et à sa gloire ;

Tel est, Messieurs, le devoir des hommes qu'une vocation supérieure, un dévouement généreux, un choix honorable associent à l'autorité, à la sollicitude paternelle et maternelle. >

Rien de plus noble en effet : c'est la continuation de l'œuvre divine dans ce qu'elle a de plus sublime, la création des âmes.

L'éducation donc forme, élève, crée, en quelque sorte, dit Mgr l'Evêque d'Orléans, et c'est pour y parvenir qu'elle cultive et qu'elle exerce, qu'elle agit et fait agir.

Elle cultive par les soins physiques, par l'enseignement intellectuel, par la discipline morale, par les leçons religieuses: comme un jardinier intelligent, elle place la plante qui lui est confiée dans une bonne terre, elle l'arrose d'une eau pure, l'entoure d'un ferment généreux, et la nourrit ainsi des sues qui, développant en elle le travail intérieur de la nature, favorisent une végétation active et la font grandir pour donner, au temps convenable, des fleurs et des fruits.

«Mais ce n'est pas tout l'éducation exerce et fait agir; elle exige le concours actif, le concours docile, l'exercice personnel, spontané, courageux de

l'élève.

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« Comme le maître d'un jeune et noble coursier le fait gravir des collines, traîner des fardeaux, voler dans l'espace, lutter contre la fatigue, et lui donne ainsi toute la souplesse et toute la vigueur dont il est capable de même l'instituteur, en proposant à son élève certaines études, certains efforts, certains exercices, en l'y excitant avec énergic, en l'y dirigeant avec sagesse, le fait, comme il convient, travailler et concourir lui-même à sa propre éducation. ›

Aussi, comme le conclut l'éloquent auteur, « dans l'éducation, ce a que fait l'instituteur par lui-même est peu de chose, ce qu'il fait << faire est tout. »>

Quiconque, continue-t-il, n'a pas entendu cela, n'a rien compris à l'œuvre de l'éducation humaine.

« Je ne crains pas de l'affirmer le talent principal de l'instituteur consiste à faire entrer courageusement son élève dans la voie du travail et de l'application personnelle travail on exercice du corps qui donne de la vigueur à ses membres; travail de l'esprit qui forme en lui le jugement, le goût, le raisonnement, l'imagination, la mémoire; travail du cœur, de la volonté, de la conscience, qui forme le caractère, fait naître les penchants honnêtes, les habitudes vertueuses.

OEuvre du maître, œuvre de l'élève, l'éducation est donc tout à la fois culture et exercice, enseignement et étude. Le maître cultive, instruit, travaille au dehors; mais il faut essentiellement qu'il y ait exercice, application, travail au dedans.

« L'éducation, Messieurs, de quelque côté qu'on la considère, est donc essentiellement une action, et une action presque créatrice. Mais l'instituteur et l'élève y ont tous deux essentiellement part. »

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