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talents, sans conviction, sans l'ombre de dévouement, exploitant à leur profit l'éternel grief de ceux qui ne possèdent pas, contre ceux 1 qui possèdent, et excitant continuellement à la révolte le pauvre peuple, qui appartient toujours à qui sait et veut le conduire; mais la victoire des minorités n'a jamais lieu que par la faute des majorités. Le petit nombre, quand il triomphe, doit toujours sa victoire aux erreurs et aux fautes du plus grand. Ce qui s'est passé en France depuis deux ans atteste cette vérité, et l'on peut déclarer que la faiblesse, la désunion et l'égoïsme des gens de bien y ont plus contribué au désordre que la témérité des anarchistes. La cause de nos maux est en nous, et nous triompherons aisément de nos adversaires quand nous aurons su triompher de nous-mêmes.

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Les gens de bien ont l'habitude de se rendre trop facilement justice, de se croire à l'abri de tout reproche, parce que leurs intentions sont bonnes. S'ils s'appliquaient à mettre leur vie d'accord avec leurs sentiments, bien des maux dont nous souffrons n'existeraient pas ou seraient aisément guéris.

Si générale et si ardente que soit la passion de l'égalité chez un peuple livré pendant plus d'un demi-siècle à l'action des idées démocratiques, jamais l'influence morale et politique des classes riches et éclairées sur les classes pauvres et ignorantes ne pourra y être annulée, parce que ces classes sont unies les unes aux autres par des liens nombreux, des rapports continuels, et que dans ces rapports la supériorité appartient à ceux qui possèdent le plus de lumières. On pourra semer la discorde entre ces classes diverses de la société, les armer, un certain jour, les unes contre les autres, mais non changer les conséquences de leur situation réciproque; et il n'en restera pas moins certain que le peuple est, en définitive, ce que la classe moyenne veut qu'il soit, et que celle-ci reçoit à son tour l'impulsion des classes supérieures, parce qu'une société se forme de membres, non pas disjoints et accidentellement rapprochés, mais unis les uns aux autres et dans lesquels circulent le même 1. sang et la même vie.

S'en prendre au peuple des vices qu'il étale, des violences qu'il médite ou qu'il commet et des révolutions qu'il exécute, c'est accuser un agent passif qui ne sait qu'obéir à son moteur.

De beaux esprits, amis des nouveautés et de la liberté de penser, se sont mis, il y a un siècle, à attaquer la religion à l'aide d'un scepticisme railleur, ne se doutant pas même que par cet emploi détestable de leurs talents ils ébranlaient jusque dans ses profondeurs une société dont ils aimaient les imperfections et même les abus. Ils ne prétendaient certes pas émanciper l'esprit du peuple, car le plus célèbre d'entre eux ne craint pas de dire: « Il est essentiel qu'il y ait des gueux ignorants. Cependant l'incrédulité pénétra parmi les gueux ignorants et leur ravit leurs biens les plus précieux : la patience et l'espoir. Mais ces hardis penseurs ne songeaient pas à détrui

reles institutions politiques de leurs pays; car ceux d'entre eux qui, comme Raynal, La Harpe, Marmontel, etc., vécurent assez pour voir l'effet de leurs doctrines, reconnurent leur aveuglement et proclamèrent leur repentir.

Après les philosophes parurent les réformateurs politiques; des courtisans révoltés, des prélats mondains, des magistrats mécontents, des bourgeois envieux, se prennent du beau désir de reconstruire à neuf la société tout entière, sans tenir aucun compte de ses mœurs, de ses idées, de ses intérêts, assurés que le peuple les suivrait et ne les devancerait pas dans la voie des innovations. Leurs espérances furent cruellement déçues. Ils avaient inoculé à la bourgeoisie l'esprit révolutionnaire; celle-ci le fit descendre dans les rangs de la multitude, et bientôt la nation française, naguère paisible et heureuse, offrit un spectacle dont le souvenir épouvante encore le monde.

Eclairées par une si dure expérience, frappées dans leurs droits et dans leurs biens les plus précieux, les classes supérieures abandonnèrent leurs funestes illusions, et, guidées par un grand homme, rentrèrent dans les voies de la religion, de la justice et de l'ordre, avec autant d'ardeur qu'elles les avaient désertées. La classe bourgeoise suivit docilement cet exemple. Le peuple résista-t-il à la nouvelle pression exercée sur lui? Non. La gloire militaire lui était offerte comme un aliment pour ses passions; il l'aima comme il avait aimé les constitutions, les révoltes et les massacres; et aujourd'hui les souvenirs glorieux de l'Empire s'unissent, dans son esprit, aux idées anarchiques que la portion corrompue de la classe moyenne y a fait descendre.

Il est inutile d'insister sur cette vérité, ni de s'arrêter plus longtemps à montrer que le mérite du bien et la responsabilité du mal appartiennent, non pas à la multitude, mais à la portion de la société qui, par ses lumières, son expérience et ses richesses, est en possession du droit exclusif de former et de diriger l'opinion. S'il arrive que cette portion de la société voie son influence repoussée, son autorité méconnue, ses intérêts mis en péril, c'est qu'elle sera débordée elle-même par les erreurs qu'elle aura répandues et par les passions qu'elle aura imprudemment allumées.

Les bons citoyens d'aujourd'hui ont été, pour la plupart, les promoteurs ardents des idées les plus dangereuses. Les uns ont ap plaudi aux progrès de l'impiété, non par amour pour elle, mais parce qu'on était parvenu à leur faire craindre le règne de l'intolérance et du fanatisme religieux; les autres, obéissant à des ressentiments ou à des intérêts aveugles, ont contribué, chacun en son temps, à quelqu'une des révolutions qui ont bouleversé la France depuis plus d'un demi-siècle; ceux-ci regardent faire, appelant sagesse l'insouciance ou l'isolement; ceux-là, et ils formeront toujours le plus grand nombre, ne prenant pas la peine d'étudier les choses

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ni les hommes, portent leur enthousiasme banal au vainqueur du moment, prêts à l'abandonner si la fortune lui devient contraire. Tous ou presque tous contribuent à dégrader et à anéantir le principe d'autorité, parce que, dans une succession d'événements contraires, chacun, selon le moment, soutient, puis combat le pouvoir. Combien sont-ils ceux qui, la main sur le cœur, peuvent se dire innocents du désordre d'idées qui règne aujourd'hui parmi nous ?` Beaucoup s'estiment à l'abri de tout reproche qui, s'ils faisaient un retour sévère sur leur vie passée et sur leurs dispositions présentes, trouveraient qu'ils ont apporté et qu'ils apportent souvent encore, à leur insu, un tribut aux erreurs dont ils se croient les adversaires. Le plus grand obstacle au rétablissement de la paix pnblique et de l'ordre, ce sont les vieux préjugés, les habitudes et le passé des honnêtes gens, de ces hommes qui aiment leur patrie, souhaitent ardemment sa prospérité et sa grandeur, condamnent les fautes qu'ils ont commises, mais n'ont pas la force de rompre avec les préjugés et les habitudes qui les leur ont fait commettre. Les effets, ils en sont effrayés et indignés, mais la cause est en eux et ils ne l'aperçoivent pas; en sorte que leurs efforts pour rétablir chez cette nation épuisée et mourante le règne du droit, de la justice et surtout du bon sens, sont inefficaces. Que les bons citoyens s'interrogent eux-mêmes, et bientôt ils auront découvert la causevéritable de rios maux.

Une réforme morale, entreprise et conduite avec fermeté, est la condition du salut de la France; la réforme politique viendra ensuite d'elle-même et comme une conséquence naturelle.

Cependant beaucoup d'esprits éclairés et droits, renversant les termes de cette proposition, prétendent qu'une réforme purement politique, telle que serait le rétablissement immédiat des institutions auxquelles la France a dû, en d'autres temps, sa prospérité et sa grandeur, suffirait pour apaiser l'orage et faire rentrer dans tous les cœurs les idées et les sentiments sans lesquels les nations sont ingouvernables. La réforme morale leur paraît devoir être l'effet du retour à des principes politiques qui consacrent, non-seulement l'ordre dans la société, mais la piété, la sagesse et la vertu dans la famille et dans l'individu.

Défions-nous de cet empirisme politique qui croit qu'en chan→ geant la forme du gouvernement d'une nation, on transformera les idées, les mœurs, les préjugés et les passions de cette nation. Un 4 coup de main heureux suffit, dans un pays tel que la France, pour mettre à la place d'un bon gouvernement un mauvais, ou réciproquement; mais tous ces bouleversements accomplis, grâce à l'audace des uns et à la pusillanimité des autres, n'enfanteront rien de durable, si les mœurs, base unique des institutions, ne prêtent pas leur 1 concours à ce qui aura été fait. Cela est vrai pour le bien comme pour le mal. Commencez par ramener les esprits aux idées d'ordre et de

stabilité, décidez-les à répudier l'assemblage d'erreurs pernicieuses, qu'on décore du beau nom de progrès moral et politique; profitez, pour les éclairer, des lumières que donne l'épreuve des maux passés et présents, et soyez assurés qu'un peuple qui revient à la vérité, trouve sans peine le gouvernement le plus convenable à son caractère et à ses intérêts, et qu'il sait le conserver.

On allègue, à la vérité, quelques exemples mémorables qui semblent attester que la main puissante d'un grand homme suffit pour arracher un peuple à l'anarchie et pour le ramener de gré ou de force aux idées d'ordre et de respect dont il semblait à jamais détourné. La Providence ne doue-t-elle pas d'une force surhumaine les hommes qu'elle appelle à terminer les révolutions? A la voix de Bonaparte la France, en 1799, après s'être enivrée pendant dix ans de révolutions, embrassa subitement et avec enthousiasme le pouvoir absolu, et releva une à une les institutions religieuses et politiques qu'elle avait renversées. Qui oubliera jamais la merveilleuse époque du Consulat, où tous les hommes d'honneur et de mérite, abjurant leurs anciennes discordes, s'unirent dans la même pensée de rendre à leur patrie les éléments d'une grandeur et d'une prospérité durables? L'histoire n'offre pas de plus beau spectacle que celui de cette grande et noble nation, cherchant au milieu des ruines, avec autant d'ardeur que de prudence, les matériaux nécessaires à la reconstruction de la société et élevant un monument sous lequel nous sommes encore abrités.

Ce qui arriva à cette époque, peut, dit-on, se reproduire de nos jours, carsi l'influence personnelle d'un homme tel que Napoléon sur la renaissance de notre pays, au commencement de ce siècle, fut décisive, il n'en est pas moins certain qu'elle serait restée sans effet, si la partie éclairée et dominante de la nation n'eût pas été disposée à la seconder. Les peuples n'ont pas toujours de grands hommes à leur disposition, mais il est rare qu'ils ne trouvent pas, au moment nécessaire, un homme qui serve de représentant et d'organe à leurs pensées et à leurs besoins. Cet homme, ajoute-t-on, nous le rencontrerons: reposons-nous donc sur la Providence et sur lui.

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Une telle confiance serait trompeuse. L'état moral et politique de la France ne ressemble guère aujourd'hui à ce qu'il était au commencement de ce siècle, quand Bonaparte s'empara du pouvoir aux applaudissements universels. La France venait de subir la plus épouvantable tyrannie démagogique dont le souvenir puisse souiller les annales de l'histoire; à cette tyrannie avait succédé, sous le Directoire, l'épreuve misérable et ridicule du gouvernement républicain. Tous les esprits, encore imbus des mœurs et des idées de l'ancien régime, sous lequel ils avaient été formés, éprouvaient les uns le plus complet désenchantement, les autres de l'horreur pour les funestes expériences qui venaient d'être tentées, et la Terreur, accompagnée de la guerre étrangère, avait imprimé au caractère fran

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çais une énergie qu'il est loin de posséder aujourd'hui. Une impulsion forte refoulait la pensée commune vers les idées et les institutions du passé. Si, au 13 vendémiaire, les sections de Paris avaient triomphé dans leur attaque contre la Convention, l'ancien gouvernement, tel qu'il existait avant l'assemblée des Etats-Généraux, eût été, sans aucun doute, rétabli à l'approbation de tous ceux qui n'avaient pas trempé dans les crimes de la révolution.

Peut-on se flatter que, de nos jours, un mouvement semblable porte jamais le sentiment public vers les institutions du passé? II n'existe plus de traces parmi nous des anciennes idées et des vieilles mœurs. L'action infatigable et profonde des doctrines révolutionnaires pendant trente-six années, et deux révolutions ont bien autrement corrompu l'esprit de notre nation qu'il ne l'était en 1799, et ceux qui espèrent ou qui annoucent un nouveau 18 brumaire, afin d'en finir avec le désordre en une seule journée, ne savent pas que Napoléon rencontrerait aujourd'hui, dans les mœurs et les habitudes de la nation, mille obstacles qu'il ne connut pas : car au lieu du génie révolutionnaire mourant, il trouverait devant lui le génie révolutionnaire rajeuni par le socialisme.

A. BEUGNOT.

(La suite à un prochain numéro.)

Séances de l'Assemblée.

L'Assemblée a quelque peine à rentrer dans les travaux sérieux; au moins pour ses séances publiques. Les préoccupations, le mouvement, les agitations, les études même sont dans les couloirs, dans la salle des conférences, dans les bureaux. Il ne paraît au dehors qu'une fatigue assez générale et très-peu d'attention.

Toutefois, la loi de la caisse des retraites a été votée hier. C'était la troisième lecture: l'œuvre est achevée, malgré les oppositions de la Montagne, malgré les entraînements de la commission. La majorité a su triompher des unes et se garder des autres. Elle a fait preuve de sens, de raison, de patriotisme vrai, de zèle éclairé pour les classes laborieuses. Sans parti pris de résistance, elle est revenue sur une de ses premières décisions en reportant à 600 fr. au lieu de 360 le maximum du chiffre des pensions de retraite; toutefois, elle ne les a déclarées insaisissables que jusqu'à la concurrence de 360 fr. Le ministère aurait bien voulu qu'on reprît aussi son système de primes, mitigé tel qu'il l'était par un amendement de M. Bouvattier. Là, il s'agissait d'un principe, et l'Assemblée a tenu ferme. Nous ne pou vons que l'en louer.

Elle a ensuite commencé un débat assez vif sur une proposition de MM. Nadaud, Morellet et consorts. Ces Messieurs voudraient, nonseulement que l'Etat admît à l'adjudication de ses grands travaux les associations ouvrières, c'est-à-dire les réunions d'ouvriers faites en

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