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vous croirez qu'aucun orateur n'eut moins d'art; entendez-le, et vous demeurerez convaincu qu'aucun n'est si grand artiste.

Ses études préparatoires ne sont pour lui qu'un canevas; il ignore l'usage des notes, de sorte que pour M. Berryer, la grande difficulté de son rapport était, ce qui est et sera le triomphe suprême de tous les rapporteurs de budget, nés et à naître, le rapport lui-même. S'il l'eût osé, il aurait prié l'Assemblée de le dispenser de l'écrire et vous l'eussiez vu, s'il en avait obtenu le privilége, déduire à la tribune les chiffres du budget, grâce à sa méthode et sa mémoire, avec cet esprit d'exposition, d'analyse, d'argumentation qui a brillé d'un éclat incomparable durant tout le cours de la discussion.

Mais d'où procède la puissance de M. Berryer? D'où vient qu'il vous tient haletant, suspendu, dans la réalité du mot, à sa parole, qu'il vous soulève de terre, comme un géant qui vous étreindrait dans ses mains, qui vous transporterait à sa hauteur, qui vous ôterait l'haleine et ne vous rendrait à vous-même que lorsqu'il jugerait à propos de rompre vos chaînes ? C'est un secret qu'on ignore.

་ La parole est à peine la moitié de l'éloquence de M. Berryer. La puissance de son action oratoire est incalculable. On ne saura jamais en quoi elle consiste. Contemplez-le pendant un quart-d'henre, suivez-le pendant plusieurs jours et vous ne saurez pas quel est le geste qu'il emploie, quoique rien ne soit d'ordinaire si individuel et si borné. Ses bras qu'il croisc, ses deux mains qu'il déploie ou qu'il retient, ne sont que les moindres instruments de son action sur l'auditoire. J'ai dit que c'était l'éloquence faite homme, et en effet son buste, comme sa tête, ses jambes en même temps qne ses bras, tout son corps, s'agitent ou restent immobiles, comme ces colosses végétaux qui livrent à tous les souffles de l'air, leur feuillage, leurs rameaux, leurs solides troncs, et jusqu'à leurs profondes racines.

Ce roi intérieur des légitimistes, que je compare ici aux rois des forêts, lui fils d'avocat et simple avocat, a dans la parole, hors de la tribune comme à la tribune, a dans sa physionomie, dans le son de sa voix, dans son attitude, dans toute sa personne, et jusque dans son sourire et son serrement de main, je ne sais quoi de superbe, d'imposant, de dominateur, de vraiment royal. Il y a je ne sais quoi dans cette parole si ferme, dans cet organe si retentissant et si accentué, je ne sais quoi de propre au commandement qui appartient aux grands chefs, et, comme on dit aujourd'hui, aux Burgraves.

Mais au lieu que chez la plupart des grands barons de la politique le type du personnage consulaire s'efface peu à peu, en Berryer, les dehors d'un premier ministre disponible continuent de subsister depuis vingt ans.

« Je connaissais chez Berryer des études politiques très-étendues et un magnifique talent, disait ces jours-ci M. Thiers; mais je ne le savais pas de cette forcelà

BOURSE DU 16 MAI.

Le 5 p. 100, 88 20 à 87 75. - Le 3 p. 100, 54 65 à 54 40. — Actions de la Banque, 2,075 00.- Obligations de la Ville, 1,270 00.- Nouvelles Oblig tions, 1,120 00.5 p. 100 belge, 98. Emprunt romain, 79 114.

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Pavis, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2,

SAMEDI 18 MAI 1850.

L'AMI DE LA RELIGION.

(N° :051)

INSTRUCTIONS DE S. S. PIE IX

A NN. SS. LES EVÊQUES DE FRANCE

SUR LA LOI DE L'ENSEIGNEMENT.

S. Exc. Mgr le nonce apostolique a adressé à NN. SS. les Evêques de France la lettre suivante :

« Monseigneur,

<< Paris, le 15 mai 1850.

« L'important projet de loi sur l'enseignement, présenté à l'Assemblée nationale, ne pouvait pas ne pas attirer toute l'attention du T.-S.-P., qui a constamment suivi avec la plus vive sollicitude toutes les phases de cette longue et laborieuse discussion, dès son commencement jusqu'à l'adoption définitive de la loi. Il a vu, avec une bien vive satisfaction, les améliorations et les modifications qui ont été apportées dans cette loi; appréciant beaucoup les efforts et le zèle déployés par tous ceux qui s'intéressent au bien de l'Eglise et de la société. Le Saint-Père a pu remarquer, en même temps, la diversité des opinions et des appréciations qui d'un côté relevaient les avantages acquis surtout en présence du statu quo; et de l'autre, les défauts existants et les dangers à craindre de quelques dispositions de la nouvelle loi.

«Il a été aussi constaté au Saint-Père que, dans le vénérable corps épiscopal, existait quelque divergence d'opinion; d'autant plus que quelques prescriptions de la même loi s'éloignent de celles de l'Eglise, telles que la surveillance des petits séminaires, et d'autres semblent peu convenables à la dignité épiscopale, telles que la participation des Evêques au conseil supérieur, auquel, suivant la loi, doivent in tervenir, en même temps, deux ministres protestants et un rabbin.. L'établissement, du moins provisoire, des écoles mixtes, inspirait aussi des inquiétudes aux consciences des familles catholiques.

« Au milieu de ces perplexités, Sa Sainteté, pénétrée de la gravité les circonstances dans lesquelles se trouvent ses vénérables Frères et dans le désir de calmer ces anxiétés, a jugé opportun, dans sa haute sagesse, de leur tracer une direction. Elle le devait encore pour satisfaire aux demandes que Sa Sainteté avait reçues de la part de plusieurs respectables Prélats, qui par un sentiment de déférence envers Suprême Chaire de vérité et de respect pour la personne du Souverain-Pontife, s'étaient adressés au Saint-Siége, pour avoir de son Ami de la Religion. Tome CXLVIII.

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oracle une règle de conduite au sujet de l'application de la loi définitivement adoptéc.

« Sa Sainteté, après un mûr examen de cette importante affaire, de l'avis même d'une congrégation spéciale, composée de plusieurs membres du sacré-collége, et après la plus sérieuse délibération, vient de communiquer ces instructions que, d'après ses ordres, je m'empresse de faire connaître à Votre Grandeur.

« Sans vouloir maintenant entrer dans l'examen du mérite de la nouvelle loi organique sur l'enseignement, S. S. ne peut oublier, que si l'Eglise est loin de donner son approbation à ce qui s'oppose à ses principes, à ses droits, elle sait assez souvent, dans l'intérêt même de la société chrétienne, supporter quelque sacrifice compatible avec son existence et ses devoirs, pour ne pas compromettre davantage les intérêts de la religion et lui faire une condition plus difficile. Vous n'ignorez pas, Monseigneur, que la France, dès le commencement de ce siècle, a donné au monde l'exemple de sacrifices assez durs, dans le but, dans l'espoir de conserver et de restaurer la religion catholique.

« Les circonstances dans lesquelles se trouve actuellement placée la société sont d'une nature si grave, qu'elles demandent que, de toutes ses forces, on cherche à la sauver. Pour atteindre ce but salutaire, le moyen le plus sûr et le plus efficace, est d'abord l'union d'action dans le clergé, ainsi que le rappelait saint Jean Chrysostôme (In Joann. hom. 82) au sujet des premiers temps de l'Eglise : « Si dissensio fuisset in discipulis illis, omnia peritura erant. » Sur cette considération, le Saint-Père ne cesse pas de conjurer tous les bons, nonseulement de faire preuve de patience, mais aussi de rester unis, afin que les vénérables Evêques avec leur clergé « unum sint; » que serrés par les doux liens de la charité évangélique « idem sentiant et par les efforts de leur zèle « Quærant quæ sunt Jesu Christi. » C'est seulement en vertu de cette union que l'on pourra obtenir les avantages qu'il est donné d'espérer de la nouvelle loi, et écarter au moins en grande partie les obstacles pour de nouvelles améliorations. Sa Sainteté aime à penser que le bon vouloir et l'active coopération du gouvernement seront dirigés à cette même fin. Elle espère aussi que ceux du respectable corps épiscopal, qui, par le choix de leurs collègues, siégeront dans le conseil supérieur de l'instruction publique, par leur zèle et leur autorité, comme par leur doctrine et prudence, sauront, dans toutes les circonstances, défendre avec courage la loi de Dieu et de l'Eglise; sauvegarder de toute l'énergie de leur âme les doctrines de notre sainte religion, et appuyer de toutes leurs forces un enseignement pur et sain.

Les avantages, que par leurs soins ils procureront à l'Eglise et à la société, sauront compenser l'absence temporaire de leurs diocèses. Si, malgré tous ces efforts, leur avis, sur quelque point concernant la doctrine ou la morale catholique, ne pouvait pas préva loir, ces dignes Evêques auront toute la facilité d'en informer, à l'occasion, les fidèles confiés à leurs soins; et ils en prendront motif d'entretenir leur troupeau de ces mêmes matières sur lesquelles se ferait sentir le besoin de l'instruire.

«Le Saint-Père ne pouvant pas se dissimuler la haute importance de la première éducation religieuse des enfants, ces nouvelles plantes dans lesquelles on doit espérer un meilleur avenir pour la société ; quoiqu'il aime à rendre hommage au zèle des respectables Evêques de France, croit cependant, par la charge de son ministère apostolique, devoir vous recommander particulièrement, Monseigneur, dans le cas où, dans votre diocèse, se trouveraient établies des écoles mixtes, de ne pas cesser de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer aux enfants catholiques qui, heureusement, sont presque partout en grande majorité, le bénéfice d'une école séparée. Car le Saint-Père, déplorant amèrement les progrès qu'a faites en France, comme dans les autres pays, l'indifférentisme religieux qui a produit des maux affreux par la corruption de la foi des peuples, désire vivement que, sur ce point important, tous les pasteurs ne cessent pas, à l'occasion, d'élever leur voix et d'instruire soigneusement les fidèles confiés à leur zèle, de la nécessité d'une seule foi et d'une seule religion, la vérité étant une; de rappeler souvent aux souvenirs de leurs fidèles et de leur expliquer le dogme fondamental que: hors de l'Eglise catholique, point de salut.

« Voilà, Monseigneur, les considérations et les instructions que d'après les ordres de notre très-saint Père, j'avais à communiquer à Votre Grandeur.

« Je ne doute aucunement que vous ne receviez avec reconnaissance cette communication de la sollicitude paternelle du vénéré Chef de l'Eglise, et j'ai la confiance que votre zèle pour le salut des âmes et pour la conservation et l'amélioration de la société, y puisera de nouvelles forces et de nouveaux encouragements pour la propagation des bons principes et des saines doctrines.

« J'ai l'honneur d'être, Monseigneur, avec un profond respect,

« De Votre Grandeur,

a Le très-humble et très-obéissant

serviteur,

«<†R., archevêque de Nicée,

« Nonce apostolique. »

Nous croyons pouvoir affirmer que Mgr le Nonce a été chargé, par une dépêche spéciale de la secrétairerie d'Etat, de témoigner à M. le comte de Montalembert, à M. de Falloux et à M. le comte Molé, qui avaient écrit à Sa Sainteté au sujet de la loi d'enseignement, toute la satisfaction du Souverain-Pontife pour la part qu'ils ont prise à la loi, et que cette satisfaction est exprimée dans les termes les plus flatteurs et les plus paternels.

« Rome a parlé, la cause est finie ! » C'est le premier sentiment qui doit aujourd'hui s'échapper de notre cœur, sentiment de joie profonde, de vénération et de reconnaissance sans bornes.

Après les décisives paroles descendues de la chaire de Saint-Pierre, il n'y a plus de doute, plus d'hésitation possibles. C'est à NN. SS. les Evêques qu'il appartient d'accomplir maintenant, avec la sagesse et le zèle qui les caractérisent, avec ce respect plein de dévouement qu'ils portent au Chef vénéré de l'Eglise, les instructions que leur donne le successeur du Prince des Apôtres.

Pour nous, les derniers et les plus humbles soldats de l'armée sainte, nous nous inclinons avec l'abnégation la plus absolue devant la décision suprême du Père commun des fidèles. Cet oracle est pour nous la règle irréformable de notre conscience, et, qu'on nous permette de l'ajouter, elle est la plus précieuse et la plus intime consolation de notre âme.

Devant cet auguste arrêt, nous renouvelons l'oubli sincère de toutes les difficultés, de toutes les injustices, de toutes les violences que nous avons eues à subir. Il ne nous reste qu'une seule pensée: suivre avec une filiale soumission et un dévouement infatigable les ordres et les directions du Souverain-Pontife, et exécuter ces décrets suprêmes qui doivent ramener la paix et l'union dans le bercail, bannir toutes les alarmes, et préparer pour l'Eglise et pour la France des fruits de grâce et de salut !

Par décret, en date du 16 mai, Mgr Regnier (René-François), Evèque d'Angoulême, est nommé Árchevêque de Cambrai, en remplacement de S. E. Mgr le Cardinal Giraud.

Le clergé et les fidèles du diocèse de Cambrai applaudiront au choix éclairé qui appelle sur le trône de Fénelon, Mgr l'Evêque d'Angoulême. La haute piété et l'ardente charité du vénérable Prélat, compenseront la perte si douloureuse que l'Eglise de Cambrai a faite dans la personne de l'illustre cardinal Giraud. Les regrets que Mgr Regnier, à Angoulême, sont un sûr garant des bénédictions qui l'attendent au milieu de la population si nombreuse, si laborieuse, si chrétienne, de son vaste et nouveau diocèse.

laisse

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