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Cela ressemble fort à a la discussion de l'infâme capital et à la liquidation de la vieille société. » L'Assemblée s'irrite: M. Mathieu échappe par la tangente et tout est dit. Après lui, le débat général est fermé. M. Bancel parle sur le premier article.

C'est un orateur qui ne manque pas de facilité, et dont la faconde a de l'aisance et du brillant. Mais il récite trop et n'a pas été à bonne école. D'ailleurs, c'est un socialiste à l'eau de rose; rien de doux, de bénin, d'inoffensif, à son dire, comme les doctrines qu'on professe dans les clubs. Et comme on s'étonne, comme on se récrie, M. Bancel paraît très-surpris, met la main sur son cœur et semble dire: << Mais regardez-moi; je n'ai pas l'air dévastateur. » Non, c'est un jeune homme d'une belle prestance, le regard assez vif, la voix agréable, orné d'une barbe blonde assez soyeuse et affectant une lenue convenable et presqu'élégante. En le voyant on pense involontairement à ce socialisme que M. Thiers appelle le socialis.ne bon enfant. Nous serions tenté de croire que c'est le plus dangereux; c'est le moins repoussant.

Il est vrai que ce qui diminue sensiblement le péril, c'est que toute cette douceur est de circonstance. Ce n'est pas de la sorte que le vrai socialisme, celui de la rue, celui du cabaret, celui du club, pense, parle et agit. Ecoutez plutôt M. Boinvilliers. L'honorable rapporteur, qui met un peu trop d'épopée dans son discours,

Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.

Le coup avait mis à nu le cœur même du monstre. Jugez de ce qui en est sorti! Attaques grossières, injures, violences contre les choses et contre les personnes, blasphèmes, déclarations cyniques, M. Boinvilliers a donné un spécimen de tout. Et cela se passait, non pas dans les clubs, mais dans a les réunions électorales,» avant le 10 mars et le 28 avril. Les journaux d'alors ont retenti de ces fails: M. Boinvilliers leur a donné la constatation officielle et la réprobation éclatante de la tribune.

Ici c'est un citoyen qui s'écrie : « Nos prophètes, à nous, ce sont Robespierre et Saint-Just. » C'en est un autre qui désire « voir le dernier membre de l'Union électorale déchiré par morceaux. » Il y en a qui menacent les réactionnaires de nouvelles « journées de scptembre. » Puis une petite anecdote : un assistant est arrêté les mains dans les poches de son voisin. L'affaire fait scandale et le voleur est arrêté. « Quand cet homme aura le droit au travail, il ne coupera plus les bonrses, » dit gravement le président du club. Voilà les doctrines de ces assemblées que la Convention elle-même avait dû frapper et qu'elle appelait des « cavernes impures, » ainsi que l'a répété le rapporteur.

On pense qu'après de telles citations, il n'y avait pas de réplique possible. L'Assemblée a voté le projet de loi. D'ici au mois de juin

1851, nous n'aurons plus les détestables scandales de ces prétendues « réunions d'électeurs. » C'est là un nouveau service rendu par l'Assemblée à l'ordre et à la paix publique.

Aujourd'hui, nouvelle défaite de la Montagne. Il s'agissait de la troisième lecture de la loi de déportation.

M. Ch. Lagrange, l'avocat des déportés et des transportés, s'est permis d'inaugurer le débat par des excentricités sans nombre. Pour être plus sûr de ses traits, il les avait écrits. L'Assemblée a une incroyable indulgence pour ce grand et maigre démocrate qui balance ses bras, agite sa longue chevelure, fronce sa barbe hérissée avec des mouvements si extraordinaires. Ainsi que le lui a dit très-vertement M. Dupin, si on ne le rappelle pas à l'ordre pour chaque phrase, c'est qu'on ne le prend pas au sérieux. Ce matin, il a passé les bornes et il a presque fallu lui interdire la parole.

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M. de la Rozière a occupé ensuite la tribune. Son discours a été rempli de charmantes et spirituelles saillies, beaucoup trop fines quelquefois pour l'auditoire de gauche sur lequel elles tombaient à profusion. L'orateur, en butte à des interruptions violentes, redoublait ses épigrammes et ses mordantes ironies. Puis, arrivant aux arguments de droit social et de haute politique, il s'élevait à la philosophie la plus saine et à la morale la plus religieuse, au milieu des sympathies et des approbations de la majorité. M. de la Rozière a terminé par un beau mot et une belle pensée: « Ayez courage, Messieurs, accomplissez votre mission sans vous laisser ébranler dans les temps de révolution, dans les époques de trouble, ce qu'on appelle la force des choses n'est trop souvent que la faiblesse des hommes ! » La justesse des principes et la loyale franchise des déclarations de M. de la Rozière avaient fait bondir M. de Flotte. Ce théoricien illuminé est venu développer à la tribune je ne sais quelle utopie étrange, je ne sais quelle sombre et implacable logique qui place fatalement le monde entre l'absolutisme et l'anarchie. La morale générale, la loi naturelle, les règles fondamentales de la société, M. de Flotte n'a pas l'air de s'en douter ni d'y croire: pour lui il n'y a pas de wilieu entre l'esclavage intellectuel, moral, matériel, et la licence de l'esprit, du corps et des actes. Plus que jamais M. de Flotte nous a paru obsédé par le feu intérieur d'une de ces passions indomptables qui font les seclaires. Au fond il est comme M. Pierre Leroux : il croit que toute la lutte est entre le catholicisme et le socialisme; tous les intermédiaires disparaissent devant lui, et c'est au catholicisme qu'il en veut. Ce point est le seul où il ne se trompe pas.

Cette passe d'armes finie, il n'y avait plus que des combats de détail. Chaque article traînait après lui ses amendements; il y avait même un contre-projet, œuvre timide d'un esprit honnête, qui a le tort de vouloir mieux faire que la commission et le gouvernement. C'est M. de Goulard. L'Assemblée l'a laissé parler, ce qu'il a fait avec une certaine grâce, et puis elle a rejeté d'un bloc tout son con

tre-projet. Est venu ensuite M. Maigne, inconnu, peu digne de secouer son obscurité, et rapidement expédié, malgré son manuscrit. Puis, M. Dupont (de Bussac), lequel semblait avoir fait le pari de lasser les plus robustes patiences par un étalage de plans, de chiffres, de correspondance, de relations agricoles et horticoles; le tout destiné à prouver que les îles Marquises et la vallée de Vaïthau, en particulier, sont des séjours maudits où on étouffe de chaleur, où on va chercher l'eau à âne, tant il faut gravir de montagnes, où il ne pousse rien, ni fruits ni légumes, pas même des choux ! L'Assemblée était excédée de cet exposé légumineux que ne relevait nullement le piquant de l'art oratoire. Elle s'est seulement beaucoup amusée d'une petite scène que l'amiral. Dupetit-Thouars a faite à l'orateur. « Dans les grandes marées...,» s'écriait M. Dupont. «ll n'y a pas de marées, » interrompt l'amiral. M. Dupont de rester interdit, et l'Assemblée de rire. « Pour éviter les moustiques, »> reprend M. Dupont. « Il n'y a pas de moustiques!» réplique l'amiral. Nouvelle confusion de M. Dupont nouvelle hilarité de l'Assemblée.

La déconvenue de la Montagne fut bien pire encore quand le miaistre de la marine monta à la tribune. De la façon la plus simple et la plus digne, M. Romain-Desfossés établit nettement et en peu de mots, que ce climat si étouffant n'avait en moyenne que 26 degrés de chaleur, moins que les Antilles, moins que l'île Bourbon, moins que l'Algérie; que la culture y réussissait à merveille, que la salubrité y était parfaite et la mortalité moindre qu'à Paris. L'expérience est faite sur cinq années consécutives.

Prenant ensuite à partie un certain M. Fleury, chirurgien de la marine, dont la Presse avait inséré une lettre très-virulente contre le projet de déportation aux Marquises, M. le ministre a flétri ce correspondant des journaux rouges qui, après avoir affirmé sur l'honneur qu'il n'était pas l'auteur de cette lettre, s'est rétracté et a avoué l'avoir écrite; qui, prétendant avoir passé des années aux Marquises, n'y a jamais mis le pied, et qui enfin est aujourd'hui livré à un conseil d'enquête pour répondre de ce manque à tous ses devoirs. Voilà la source des renseignements de la Montagne, voilà les hommes dont elle vient prendre publiquement le patronage et la défense!

M. l'amiral Dupetit-Thouars avait bien après cela le droit de dire: « Le discours de M. Dupont (de Bussac) contient une foule d'erreurs: il n'y a presque pas un mot de vrai. » Cette imposante autorité a achevé de décider l'Assemblée et elle a voté les sept premiers articles, à savoir, la substitution de la déportation dans une enceinte fortifiée à la peine de mort, la fixation de la vallée de Vaïthau pour le lieu où sera subie cette première peine, la fixation des Marquises pour le lieu de déportation ordinaire, et les dispositions à prendre pour l'entretien des condamnés.

L'Assemblée a ensuite repoussé à un mois des interpellations sur l'état de nos rapports avec l'Angleterre.

A demain la suite de la loi de déportation.

La dixième commission de l'initiative parlementaire s'est décidée pour la prise en considération de la proposition de M. le général de Grammont, relative à la translation du siége du gouvernement de Paris à Versailles.

La commission s'est surtout préoccupée du désir de répondre aux inquiétudes et aux vœux des départements. La prise en considération ne préjuge pas la solution de la question; c'est seulement la déclaration que cette question peut être utilement et opportunément débattue à la tribune et devant le pays.

On reconnaît donc le mal; d'acord sur son existence, ou avisera aux moyens d'y remédier.

Le remède que propose M. de Grammont sera discuté en première ligne. Mais quelque décision qu'on prenne à cet égard, il faudra ou qu'on y supplée si on le repousse ou qu'on le complète si on l'admet.

Dans l'un comme dans l'autre cas, on reconnaîtra sans doute que la capitale ne saurait être abandonnée aux éléments de désordre qu'elle contient, et qu'il importe, sans briser l'unité politique de la France, de réformer son organisation et de la reconstituer de telle sorte que sur tous les points du territoire le mouvement et la vie puissent renaître. C'est à ce prix seulement que notre grande nation ne restera pas toujours pieds et poings liés, aux caprices et aux témérités d'une seule ville, où la démagogie la plus sauvage a trop souvent dominé par la surprise ou par la terreur.

Il n'y aura plus d'insurrection à Paris, du jour où il ne sera plus permis aux ennemis de l'ordre d'espérer que le succès d'une émeute peut entraîner la défaite totale du pouvoir et le pillage ou la ruine de la société.

Loi électorale du 31 mai.

Nous publions aujourd'hui le texte de la loi nouvelle sur les élections. Il importe que tous les bons citoyens la connaissent et s'y conforment. De telles lois ne valent qu'autant qu'elles sont exécutées avec intelligence et bonne volonté :

Art. 1er. Dans les trente jours qui suivront la promulgation de la présente loi, la liste électorale sera dressée par le maire, assisté de deux délégués désignés pour chaque commune par le juge de paix et domiciliés dans le canton.

Les délégués auront le droit de consigner leurs observations sur le procès-verbal; ce procès-verbal sera déposé par le maire, avec la liste électorale, au secrétariat de la mairie, pour être communiqué à tout requérant.

Art. 2. La liste comprendra, par ordre alphabétique :

1o Tous les Français âgés de vingt et un ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, actuellement domiciliés dans la commune, et qui ont leur domicile dans la commune ou dans le canton depuis trois ans au moins;

Ceux qui, n'ayant pas atteint, lors de la formation de la liste, les conditions d'âge

et de domicile, les acquerront avant la clôture définitive.

Art. 3. Le domicile électoral sera constaté:

1o Par l'inscription au rôle de la taxe personnelle, ou par l'inscription personnelle au rôle de la prestation en nature pour les chemins vicinaux ;

2o Par la déclaration des pères ou mères, beaux-pères ou belles-mères, ou autres ascendants domiciliés depuis trois ans, en ce qui concerne les fils, gendres, petit-fils et autres descendants majeurs vivant dans la maison paternelle, et qui, par application de l'art. 12 de la loi du 21 avril 1832, n'ont pas été portés au rôle de la contribution personnelle;

3' Par la déclaration des maîtres ou patrons, en ce qui concerne les majeurs qui servent ou travaillent habituellement chez eux, lorsque ceux-ci demeurent dans la même maison que leurs maîtres ou patrons, ou dans les bâtiments d'exploitation.

Art. 4. Les déclarations des pères, mères, beaux-pères, belles-mères ou autres ascendants, maîtres ou patrons, seront faites par écrit sur des formules délivrées gratis. Ces déclarations seront remises chaque année au maire, du 1er au 31 décembre.

Les pères, mères, beaux-pères, belles-mères ou autres ascendants, maîtres ou patrons, qui ne pourront pas faire leurs déclarations par écrit, devront se présenter, assistés de deux témoins domiciliés dans la commune, devant le maire, pour faire leurs déclarations.

Tou'e fausse declaration sera punie correctionnellement d'une amende de 100 fr. à 2,000 fr., d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'iaterdiction du droit de voter ou d'être élu pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Les tribunaux pourront, s'il existe des circonstances atténuantes, faire application de l'art. 463 du Code pénal.

En cas d'empêchement des pères, mères ou autres ascendants, et en cas de refus ou d'empêchement du maître ou patron de faire ou délivrer la déclaration qui doit être remise chaque année à la mairie, le fait du domicile chez les pères, mères ou autres ascendants, ou chez le maître ou patron, sera constaté par le juge de paix.

Art. 5. Les fonctionnaires publics seront inscrits sur la liste électorale de la commune dans laquelle ils exerceront leurs fonctions, quelle que soit la durée de leur domicile dans

cette commune.

La même disposition s'applique aux ministres en exercice des cultes reconnus par P'Etat.

Les membres de l'Assemblée nationale pourront requérir leur inscription sur la liste électorale du lieu où siége l'Assemblée.

Ceux qui n'auront pas requis cette inscription ne pourront voter qu'au lieu de leur domicile.

Art. 6. Les militaires présents sous les drapeaux dans les armées de terre ou de mer seront inscrits sur la liste électorale de la commune où ils auront sat sfait à l'appel.

Art. 7. Quiconque quittera la commune sur la liste électorale de laquelle il est inscrit continuera à être porté sur cette liste pendant trois ans, à charge de justifier, dans les formes et sous les conditions prescrites par les articles 3, 4 et 5 de la présente loi, de son domicile dans la commune où il aura fixé sa nouvelle résidence.

Art. 8. Ne seront pas inscrits sur la liste électorale, et ne pourront être élus:

1o Les individus désignés aux paragraphes 1, 2, 3, 5, 6 et 7 de l'article 3 de la loi du 15 mars 1849;

2' Les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée, soit par les tribunaux français, soit par jugements rendus à l'étranger, mais exécutoires en France;

3o Les individus désignés au paragraphe 4 de l'article 3 de la loi du 15 mars 1849, quelle que soit la durée de l'emprisonnement auquel ils ont été condamnés ;

4 Les individus condamnés à l'emprisonnement en vertu de l'article 330 du Code pénal;

5o Les individus qui, par application de l'article 8 de la loi du 17 mai 1819 et de l'article 3 du décret du 11 août 1848, auront été condamnés pour outrage à la morale publique et religieuse ou aux bonnes mœurs, et pour attaque contre le principe de la propriété et les droits de la famille;

6. Les individus condamnés à plus de trois mois d'emprisonnement, en vertu des articles 98, 100, 101, 102, 103, 105, 106, 107, 108, 109, 112 et 113 de la loi du 15 mars 1849;

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