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« Cet ordre, je vais l'expliquer, reprend pâle et ému le général Bedeau, en se levant de son banc. « Parlez, parlez!» crie-t-on de toutes parts. Et voilà que M. de Lamartine restant appuyé à la tribune, M. Bedeau entame avec une agitation profonde et contenue le récit de ces heures où tout pouvoir avait disparu, où l'armée avait subi l'affront de se voir enlever ses armes par le peuple, où l'indiscipline menaçait d'envahir tous les corps, où les bandes les plus ignobles dominaient dans la capitale. La nécessité, nécessité cruelle, qui lui a coûté des larmes amères l'a forcé à prendre le commandement, et, pour éviter d'incalculables malheurs, à ordonner à un bataillon caserné rue de la Pépinière, de livrer les armes qui lui restaient. L'Assemblée a applaudi aux chaleureuses explications du général Bedeau. Mais quels moments, que ceux où la démagogie furieuse prête à tout entraîner, exige pour être muselée, de tels sacrifices! Et quelle honte dans l'histoire rejaillira sur de pareilles heures et sur les hommes qui les ont si imprudemment amenées !

Restait une dernière justice: M. de Lamartine devait en faire les frais. Triste chose, en vérité, qu'un beau talent asservi à une intelligence si téméraire et si dévoyée ! Pendant près de deux heures, M. de Lamartine s'est balancé au milieu de je ne sais quelle atmosphère fausse et menteuse, jouant avec des fantômes, avec des mythes, avec toutes les capricieuses créations d'une imagination égarée. L'impatience du mieux et l'exagération du mal, voilà l'explication de tout à ses yeux, des folies et des crimes de l'insurrection, comme de la conduite et de la politique du gouvernement. Le 15 mai, le 23 juin 1848, plus haut encore, le 31 mai, le 18 fructidor, le 10 août, impatience du mieux. Les ordonnances de 1830, la résistance du ministère Guizot à la réforme électorale, la loi présentée aujourd'hui, impatience du mieux. Et puis, exagération du mal: on s'épouvante du socialisme, exagération. Qu'est-ce que le socialisme? une doctrine pulvérisée, anéantie. M. de Lamartine ne l'a-t-il pas tuée dans le Conseiller du Peuple? Du reste, si M. de Lamartine trouve le projet de loi illégitime et la politique gouvernementale mauvaise, à Dieu ne plaise qu'il appelle les multitudes à la révolte! Non, il a de merveilleuses phrases contre le prétendu, le funeste, l'exécrable droit d'insurrection, contre le droit d'agitation, contre le refus de l'impôt! Ce qu'il veut, ce qu'il recommande, c'est la patience! A toute cette fin, éloquente et grandiose, c'était la majorité qui approuvait et la Montagne qui se taisait, confondue et furieuse. Après quoi, le poëte est retourné à son banc, également abandonné de la Droite et de la Gauche.

M. Baroche s'est chargé de répondre. Il est de ces hommes à qui l'aiguillon est nécessaire. Depuis qu'il est au ministère, son talent s'est développé admirablement. Aujourd'hui il a été d'une ampleur, d'une force, d'une puissance on ne peut plus remarquables. Il a pris les deux parties du discours de M. de Lamartine et il les a littérale

ment broyées, comme la meule fait le grain. Il n'en est pas resté vestige. Après s'être donné la satisfaction d'écraser les odes de l'orateur en faveur du suffrage universel, par les caustiques satires du publiciste contre ce même suffrage, après avoir étouffé M. de Lamartine par lui-même, il lui a demandé compte de cette étrange théorie de l'impatience du mieux. « L'impatiençe du mieux, s'est-il écrié, telle que vous l'appelez par le plus coupable abus de langage, en l'appliquant aux plus détestables dates de nos annales, c'est l'impatience du mal!... Que si vous faites de la véritable impatience du mieux, du désir d'améliorer la situation du pays, un grief contre le gouvernement, vous êtes bien singulier en vérité, et c'est là un reproche que nous serions bien coupables de ne pas mériter de toutes nos forces! »

Passant à l'exagération du mal, M. Baroche a montré combien les alarmes causées par le socialisme étaient malheureusement fondées. « Le socialisme, voulez-vous savoir ce qu'il est ? J'en prends la définition chez vous; c'est ce jacobinisme contre lequel vous avez écrit des pages si éloquentes et si vraies; c'est l'ensemble de ces doctrines sauvages dont il y a peu de jours M. Louis Blanc nous envoyait de Londres l'odicux catalogue. » Et alors le ministre a lu un hideux questionnaire contenu dans le dernier numéro du Nouveau Monde, et où les plus abominables professions de communisme sont formulées avec un cynisme révoltant. « De telles infamies, a-t-il repris, tant que j'aurai un souffle de vie dans la poitrine, je les combattrai, je les poursuivrai à outrance! » La majorité a poussé des cris d'admiration et d'adhésion, et la Montagne, n'osant ni désavouer ni approuver les indignités de son complice, est restée muette et altérée.

La séance a été levée après ce beau et légitime triomphe. Il était impossible de remporter une plus complète victoire.

La discussion continuera demain.

M. de Falloux a fait connaître à M. le Président de l'Assemblée que l'état de sa santé s'oppose à son retour immédiat; mais il déclare que, adoptant les principes de l'exposé des motifs de M. le ministre de l'intérieur, son vote serait invariablement acquis au projet de loi présenté par la commission.

Revue des journaux.

Tous les journaux sont aujourd'hui uniquement occupés du magnifique discours de M. de Montalembert. L'admiration sympathique qu'il inspire à tous les esprits généreux, n'est pas plus éloquente que les accès furieux dans lesquels s'exhale la rage des séïdes de l'anarchie. Les uns comme les autres donnent ainsi à ce triomphe oratoire son véritable caractère, celui d'un grand acte de courage et d'un grand service rendu au pays et à la société.

C'est ce que le Constitutionnel fait parfaitement ressortir :

Le discours de M. de Montalembert n'est pas seulement une œuvre d'éloquence, c'est aussi l'acte d'un homme de cœur. Outre qu'il renferme une admirable discussion, il contient un manifeste politique, disons mieux, un programme dicté par la raison et le courage. Il ne se borne pas à défendre la loi électorale, parce qu'à ses yeux elle est bonne en soi, mais parce qu'étant le terrain sur lequel la majorité s'est ralliée pour défendre la société contre d'immenses périls, il la considère comme un point de départ, ou comme la première étape d'une campagne entreprise dans un but de salut public.

Le disconrs de M. de Montalembert a produit un immense effet sur l'Assemblée. Il n'en produira pas un moins grand dans le pays. Il ouvre une ère nouvelle qui va rassurer la France et l'Europe, l'ère de l'offensive législative contre l'anarchie. >>

L'Univers exprime avec éloquence les mêmes sentiments:

Tout le monde reconnaît à M. de Montalembert un grand courage et un grand talent. Il a été aujourd'hui au niveau le plus élevé de son talent; il a surpassé toutes les preuves qu'il a pu donner de son courage. Dans un temps comme le nôtre, où presque chaque jour voit éclater une sédition, où une sédition n'éclate guère sans laisser après elle le souvenir d'un assassinat; lorsque le poignard venge dans la rue les vaincus de la tribune; lorsque l'on a devant soi des gens qui d'avance dévouent leurs adversaires aux dieux infernaux de la révolution, et qui, en faisant une guerre sans foi, annoncent des victoires sans pitié, ce n'est pas une figure de rhétorique de découvrir sa poitrine et de dire à ces gens-là: « C'est moi; je réprouve vos doctrines, et je vous combattrai jus• qu'à ce que je sois mort ou que vous soyez défaits. » On comprendra, en lisant le discours de M. de Montalembert, la sensation profonde qu'il a produite et les haines qu'il a bravées; mais ce que la lecture ne fera pas sentir, c'est cet accent indigné, c'est ce mépris, tantôt sanglant, tantôt calme, et alors plus écrasant, c'est cette passion de l'honneur, qui venaient tour à tour ou démasquer les hypocrisies, ou flageller les lâchetés, ou prêcher les devoirs, ou venger conscience publique, oppressée des misérables applaudissements que provoquent et qu'obtiennent certains serviles quêteurs de popularité.

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« Un avenir prochain résoudra ces questions. La société, peut-être, est encore à temps pour se sauver; mais il faut premièrement qu'elle le veuille. Nous saulrons bientôt si elle le veut. En attendant, M. de Montalembert a grandement et noblement rempli son devoir de citoyen. Nous l'avons souvent loué pour de beaux discours, nous le félicitons aujourd'hui d'une belle et mémorable action. Les paroles qu'il a prononcées sont de celles qui s'inscrivent d'elles-mêmes dans l'histoire; elles y resteront pour sa gloire et pour la punition de ces cyniques qui, dans les désastres où nous courons et où nous sommes déjà, ne demandent à leur talent avili que les applaudissements idiots dont se repaît leur vanité. »

L'Assemblée nationale témoigne une égale admiration :

« Nous ne ferons pas à M. de Montale:nbert l'injure de louer aujourd'hui son éloquence incomparable. Il n'a point voulu faire un discours, mais un acte. Il n'a point songé à la gloire de l'orateur à laquelle il ne pourra jamais plus ajouter rien, après sa magnifique improvisation sur l'expédition romaine; il n'a vu que la patrie et la société en péril, il s'est servi de sa parole comme d'un glaive, pour l'offensive, et les ennemis publics qu'il frappait sans pitié ont poussé des cris de douleur et de rage. On les voyait se tordre de désespoir comme des damnés sous

cette parole vengeresse, riant convulsivement, vomissant l'injure, l'outrage et l'imprécation.

Le Journal des Débats ne s'exprime pas avec moins de chaleur :

« Sur la fin de la séance, M. de Montalembert a pris la parole. Annoncer un nouveau discours de l'illustre orateur, c'est annoncer un nouveau triomphe : le triomphe a été, comme toujours, éclatant, universel.....

.....Pendant une heure nous avons vu pleuvoir les sarcasmes les plus cruels sur les républicains de la veille, sur les anciens constituants devenus rédacteurs et colporteurs de pétitions contre la réforme, sur les démagogues et les socialistes.

R.....

..Quelle fine et spirituelle ironie! Que de piquantes et bonnes vérités! L'orateur a fait rire l'Assemblée, comme il fera rire la France entière aux dépens de nos républicains qui crient à tout propos que la Constitution est violée, absolument comme le berger menteur qui, à force de crier au loup, se voit abandonné de tous quand le loup est venu. ›

Le Pays dit à son tour:

Le mérite particulier de M. de Montalembert, c'est la clairvoyance et la netteté pour envisager une situation, et la franchise pour l'énoncer. Personne n'est plus habile que lui à découvrir et à démasquer l'infâme hypocrisie de ceux qui se couvrent un jour du manteau de la loi pour pousser le lendemain au renversement de la société. Il ne faut pas s'y méprendre, derrière le respect apparent de la Constitution qui abrite aujourd'hui le socialisme, et qui lui sert d'enseigne, il y a la trame secrète de la plus effroyable anarchie.<

Pour juger maintenant des violences des journaux rouges, il faudrait les citer tout entiers. Nous donnerons du moins quelques échantillons de leurs articles pour qu'on puisse avoir une idée du paroxisme de leur irritation.

Nous commençons par la Presse, qui a voué la plus implacable haine à l'illustre et intrépide orateur :

Quand nous le voyons, dit-elle, se redresser ainsi sur son lit de mort, grincer des dents, écumer de fiel et de haine, défier l'avenir et la liberté, et enfoncer ses ongles dans le socialisme, nous nous rappelons involontairement cette horrible scène du radeau de la Méduse, qui est ineffaçable dans tous les souvenirs...........

M. de Montalembert en est là. Il crie, il se tord, il désespère; il appelle à son secours la violence et la colère : il déclare la guerre, le pauvre homme! à la foudre qui gronde, à l'électricité qui vole, à l'éclair qui brille, au siècle qui s'ébranie, à l'humanité qui s'avance, à la liberté qui s'élève, et à Dieu qui se ré

vèle !>

Pour couronner toutes ces injures, la Presse dit que le discours de M. de Montalembert a été inspiré... par la peur.

Dans le même article, ce journal s'amuse à plaisanter sur les vengeances imaginaires des révolutions, sur les souvenirs d'échafaud et de poignard qu'elles ont laissés, sur les menaces de sang et de mort qui, chaque jour encore, échappent à leurs adeptes, et qui se réalisaient naguère par l'assassinat de M. Rossi, du comte de Latour et du

général de Bréa!

Un peu plus loin, la Presse trouve le moyen de rappeler la mé

moire de la Convention et de la louer d'avoir permis à Louis XVI de se défendre avant de le condamner! D

Le National avait annoncé hier que « la loi recevrait de M. de Montalembert une lessive d'eau bénite. » N'osant pas ce matin soutenir avec la même impudence la thèse phénoménale de la Presse, il s'efforce cependant d'y apporter le secours d'insinuations perfides et d'indignes calomnies:

M. de Montalembert fait à peu de frais du courage, dit-il. Il doit se rappeler que si en Février il a cru devoir s'enfuir précipitamment à Bruxelles, c'est sa terreur chimérique et non un danger réel qui a motivé cette étrange démarche. Dans l'avenir, la révolution victorieuse oubliera M. de Montalembert comme elle T'a déjà oublié une première fois dans le passé. »

M. de Montalembert n'a pas un instant quitté Paris après la révolution de Février. Si le National a été trompé à cet égard par les làches et odieux mensonges de quelques-uns de ses amis, ceux-ci n'ont pas l'excuse d'une semblable ignorance; car ils connaissaient assez bien la présence de l'orateur du Sonderbund à Paris pour envoyer à son adresse, pendant ces jours de désordre, les lettres les plus igno-bles et les menaces les plus infâmes.

Lettres et menaces, M. de Montalembert a tout dédaigné. Il n'en a tenu compte; il est resté à son poste. Ni les unes ni les autres ne venaient sans doute du National; mais un parti n'est-il pas caractérisé et jugé quand les plus modérés de ses interprètes reprochent à un adversaire, en 1850, son ingratitude pour leur clémence magnanime de 1848, et lui rappellent avec une telle fierté qu'alors « ils L'ONT OUBLIÉ » et ont bien voulu le laisser en vie!

Que la Presse et le National se disent maintenant socialistes. Ils en ont le droit; ils ont payé leur bienvenue dans le camp des purs et des anciens. Quant à nous, à quoi bon chercher autre chose dans les feuilles les plus scandaleuses de la démagogie? Nous n'y trouverions rien de plus instructif et de plus frappant que les extraits qu'on vient de lire. Voilà où sont tombés les journaux de M. Marrast et de M. de Girardin. Et qu'on nie encore les progrès qu'a faits, non pas tant dans la masse que dans un certain monde, ce que M. de Montalembert a si justement appelé le monstre du socialisme!

Le sénat belge a, dans sa séance du 21 mai, entendu le rapport, présenté par M. Dindal, sur la loi de l'enseignement moyen.

La commission s'est prononcée, à la majorité simple (5 voix contre 1), pour l'adoption du projet.

La discussion publique a été fixée à jeudi.

Nouvelles Religieuses.

ROME. Le Saint-Père vient de nommer S. Em. le Cardinal Patrizi membre de la Congrégation de Propaganda Fide; LL. EE. les Cardinaux Orioli et Vizzar

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