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VENDREDI 24 MAI 1850.

(N° 5057.)

L'AMI DE LA RELIGION.

A nos Lecteurs.

A dater du 1er juin 1850, l'Ami de la Religion reprendra son mode primitif de publicité. Il paraîtra trois fois la semaine comme par le passé.

Voici les motifs considérables de ce retour à son ancienne constitution.

Les œuvres chrétiennes sont, comme toutes les autres, soumises aux lois de l'expérience. Elles ont leurs conditions particulières d'existence, conditions qu'il est permis, qu'il est nécessaire parfois de modifier pour les accommoder davantage à des circonstances passagères, mais conditions auxquelles il est impérieusement commandé de revenir, quand ces circonstances exceptionnelles ont ellesmêmes disparu. De plus, il y a, pour ces œuvres de pur dévouement, des avis et des conseils qui sont des lois, et quand ces bienveillantes paroles sont d'accord avec les faits, elles prennent une autorité à laquelle il serait coupable de ne pas se rendre avec empressement.

A l'époque où l'Ami de la Religion est devenu journal quotidien, il avait à suivre les débats publics d'une des questions les plus hautes et les plus difficiles où aient été engagés les intérêts de l'Eglise et de la société. Une grave responsabilité pesait sur lui, tant par le rôle que la Providence lui avait imposé dans cette redoutable controverse, que par la confiance dont il se sentait honoré et soutenu. Aucun sacrifice, aucune peine, aucune fatigue ne devaient lui coûter. II n'a pas hésité. Grâces à Dieu, une éclatante et souveraine justice a été rendue à ses efforts. « Rome a parlé, la cause est finie. »

La première, la principale, nous oserions dire, l'unique raison de notre transformation passagère, a disparu. Il est de notre devoir de rentrer dans nos anciennes traditions.

Cette résolution, d'ailleurs, nous est conseilléé par les personnes les plus autorisées dans l'ordre ecclésiastique. L'approbation qu'elles avaient daigné accorder à la mesure transitoire nécessitée par les circonstances, ne leur avait point fait oublier les considérations si puissantes qui ont toujours assigné à l'Ami de la Religion un rang à part et un poste de réserve dans les combats que tous sont appelés à livrer contre les ennemis de Dieu et des hommes.

Les principes si admirablement posés dans la seconde lettre de L'Ami de la Religion. Tome CXLVIII.

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Mgr l'Evêque de Langres sur la mission de la presse catholique, nous ont également éclairés d'une vive lumière. Se soustraire aussitôt que possible à cette brûlante arène où les émotions de chaque jour risquent de compromettre les habitudes de réflexion et de ménagement si nécessaires dans les choses ecclésiastiques; répondre au besoin qu'éprouvent les consciences religieuses de se recueillir devant la violence et la rapidité des événements, afin de les juger plus sûrement; donner d'ailleurs plus de loisir à ces travaux sérieux et médités qui ont fait l'honneur et qui font la vie de notre recueil; ce sont là des pensées qu'il suffirait de nous rappeler pour que nous dussions immédiatement nous y rendre.

Il semble, en effet, que plus les alarmes du dehors redoublent et se multiplient, plus les ténèbres s'amoncèlent sur les destinées de ce monde; plus aussi l'âme chrétienne se sent intimement portée à rechercher dans le calme de la méditation une sphère plus sereine et plus dégagée, où elle puisera des émotions moins fiévreuses et un .courage plus réfléchi.

Des devoirs nouveaux naissent encore pour nous de la situation offerte maintenant à l'Eglise et aux catholiques par la loi de l'enseignement. S'il est juste de réclamer encore des améliorations à cette loi, ce qu'il faut avant tout, c'est la mettre en pratique. De la polémique, la presse catholique doit passer à l'action en ce qui nous concerne, toute notre ambition aujourd'hui est d'aider, par nos travaux, par notre concours, à toute entreprise qui, sous la garantie des NN. SS. les Evêques, voudra se dévouer à l'éducation libre et chrétienne de la jeunesse.

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Ainsi que nous le disions naguère, l'Ami de la Religion aspire à devenir, dans la mesure de ses forces, l'auxiliaire, le lien, le correspondant, le moniteur de l'enseignement catholique.

L'Ami de la Religion a, d'ailleurs, un caractère spécial qu'il ne peut abdiquer. Journal et Revue tout à la fois, il est dans une position exceptionnelle, qui, si elle lui impose des difficultés de plus d'un genre, lui assure en retour des éléments particuliers de succès et de durée. S'il n'a jamais prétendu soutenir avec les feuilles quotidiennes une concurrence que son format même lui interdisait, il a sur elles cet immense avantage de former une collection durable, et de contenir des études et des travaux qui lui donneront, dans tous les temps, une valeur littéraire et historique incontestable.

Il s'adresse ensuite à une classe de lecteurs près de qui la gravité d'esprit, la maturité d'appréciation, la sûreté de la doctrine sont des recommandations décisives. C'est à ce public d'élite que l'Ami de la Religion doit ce qu'il est; c'est ce patronage d'intelligences élevées

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et de cœurs dévoués qui l'honore d'une bienveillance si persévérante, qui l'a soutenu dans les phases diverses de son existence avec l'affection la plus constante et le zèle le plus généreux, et qui lui conservera, nous en avons la certitude, cette même protection et ce même attachement.

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Hâtons-nous de le dire rien n'est changé dans la direction et dans la rédaction de l'Ami de la Religion. Ce sera toujours le même esprit, les mêmes inspirations. Le mode seul de publication diffère.

Ajoutons que ce retour à un usage consacré par quarante années d'expérience nous permettra de revenir plus fidèlement à des habitudes que peut-être l'entraînement de la publicité quotidienne nous avait fait un peu abandonner.

En résumant davantage les événements de chaque jour, nous en rechercherons avec plus de soin les significations et la moralité.

Les débats parlementaires seront toujours suivis avec la plus scrupuleuse exactitude : la physionomie de l'Assemblée, un peu plus développée, remplacera l'analyse sommaire que l'exiguité de notre format nous forçait à rendre si abrégée.

Les questions religieuses seront toujours pour nous la première, la plus haute, la souveraine préoccupation. En cela, notre passé répond de notre avenir.

Mais c'est surtout la partie critique qui reprendra tous ses droits : « Je vous féliciterai, nous écrivait le 15 octobre 1848 M. le comte de Montalembert, si vous pouvez consacrer à la critique historique et littéraire une place que les nécessités de la politique absorbent dans la plupart des journaux quotidiens. L'absence d'une critique consciencieuse et redoutée, dans la presse périodique, a facilité plus qu'on ne le pense, les envahissements de la littérature effrénée de nos dernières années, et, de l'aveu de tout le monde, rien n'a plus contribué que cette littérature à nous précipiter dans le gouffre où nous nous débattons. » Plus que jamais nous demeurerons fidèles à ces avis si profonds et si salutaires.

Et maintenant, dans cette situation non pas nouvelle mais renouvelée qui nous est faite; encouragés et fortifiés que nous sommes par les bénédictions du Souverain-Pontife et de NN. SS. les Evêque, par l'adhésion et la confiance du clergé et des catholiques, nous continuerons avec une ardeur aussi infatigable et une plus imperturbable sérénité l'œuvre d'abnégation et de zèle à laquelle nous avons voué notre vie.

A partir du 1er juin 1850, l'Ami de la Religion paraîtra les MARDI,

JEUDI et SAMEDI de chaque semaine, par numéros de 24 pages, et formera, comme par le passé, quatre grands volumes de 800 pages par an.

Le prix d'abonnement est réduit à 28 fr. pour un an, 15 fr. pour siz mois et 8 fr. pour trois mois.

Nous prierons nos abonnés de vouloir bien remarquer que ces prix, adoptés par nous au mois d'octobre 1848, étaient déjà abaissés à leur extrême limite. Toutefois et désirant faire en faveur de nos abonnés actuels un sacrifice nouveau, nous prolongerons la durée de leur abonnement, non pas seulement d'un huitième, ce qui représenterait la différence proportionnelle à laquelle ils ont droit, mais nous porterons à un QUART cette prolongation. Ainsi les abonnés actuels d'un an seront servis pendant un an et trois mois; les abonnés de six mois pendant sept mois et demi, et ainsi de suite. L'administration fera connaître le décompte afférent à chacun.

Séance de l'Assemblée.

Si nous osions, nous appellerions cette séance une séance d'exécutions. Il est impossible, en effet, d'assister à des arrêts plus hautement formulés, plus justement accomplis. L'opinion publique ici ratifiait la parole des orateurs : l'histoire écrivait sous leur dictée, et la postérité semblait tenir dans le présent ses assises impitoyables. Le premier condamné a été M. Victor Hugo; le second, l'anarchie des premiers jours de la République ; le troisième, M. de Lamartine. A chacun d'eux un supplice différent, supplice à sa taille, et infligé par l'éloquence et par l'honneur.

Voici la scène.

Le chantre de tous les pouvoirs avait sur le cœur ces accusations si vives et si vraies qui l'avaient frappé hier, et auxquelles il s'était dérobé par la retraite. Ce matin, à peine le défilé des pétitions fini, et il a été aussi long que fastidieux, M. Hugo demande la parole pour un fait personnel. Il monte à la tribune lentement, feignant la fatigue et la souffrance, l'œil plein de fiel et de rancune. A peine at-il annoncé la faiblesse de sa voix malade, que le timbre éclate, et que de ses accents les plus vibrants il donne cours à sa colère.

Sa vie passée, il va l'expliquer ses vers, sa prose, il en renie fout ce qu'il a fait jusqu'à 1827. Avant cette date fastique, c'était œuvre d'enfance et de puérilité. Depuis, il ne s'est jamais démenti : qu'on ose lui dire le contraire, qu'on le prouve ; il en jette le défi, à droite, à gauche. Qu'on lise ses œuvres, toutes ses œuvres ! En vérité, ce Trissolin est incroyable! Quel est donc le mortel assez audacieux pour s'engager à lire toutes ses œuvres ! Et M. Hugo descend, au milieu des rires de la majorité.

Il en avait dit assez pour justifier une réplique de M. de Montalembert. Certes, tout le monde connaît le magnifique talent de M. de Montalembert : dans cette improvisation subite, il s'est surpassé. Ja–

mais l'ironie froide et entrant dans le cœur d'un adversaire comme El'acier le plus finement trempé; jamais le dédain le plus sanglant, jamais le fouet le plus cruel de la satire indignée n'ont battu, écrasé, anéanti personne avec cette supériorité et cet éclat. L'orgueilleuse vanité du poëte, la servilité du courtisan, la versatilité honteuse de l'homme politique, ont été flagellées sans miséricorde. Les phrases de M. de Montalembert tombaient comme des coups de foudre, et clouaient M. Hugo à son banc, aux enthousiastes acclamations de la majorité. M. Hugo ne s'en relèvera pas.

«L'honorable orateur, disait M. de Montalembert, nous accusait hier de ne pas distinguer l'orient de l'occident, le levant du couchant : c'est un reproche qu'on ne lui adressera pas. Il sait bien se tourner toujours du côté de l'astre qui se lève pour lui offrir ses banales adulations. Et comme il s'imagine voir apparaître à l'horison l'aurore sanglante du socialisme, il se hâte afin de pouvoir passer après ce triomphe pour un socialiste de la veille!. . . . S'il a oublié son passé, nous nous en souvenons. Nous nous souvenons de l'avoir entendu prodiguer à Louis-Philippe les plus humbles flatteries, et venir ici, à cette tribune, quelques jours après la chute de la monarchie, féliciter le peuple d'avoir brûlé le trône où siégeait ece vieux roi qui avait daigné laisser tomber sur lui le brevet de pair de France! Quant à moi, je lui prédis que si parmi les châtiments que la Providence réserve peut-être à notre malheureux pays, on voyait s'étendre un jour je ne sais quel odieux et sauvage despotisme, un homme s'éleverait sur les ruines de la liberté déshonorée et de la patrie éperdue, pour apporter à ce vil despotisme l'encens qu'il a prostitué à toutes les souverainetés, et cet homme ce serait M. Victor Hugo!» Voilà les traits de feu dont était criblé le malheureux poëte. Effaré, rasé comme un navire que la tempête a battu sans relâche, il s'est encore élancé à la tribune pour essayer quelque réponse et il n'a pu trouver qu'une chose à savoir, qu'il y avait un abîme entre lui et M. de Montalembert, parce que son souverain à lui c'est le peuple, et celui de M. de Montalembert, le Pape! Les huées de la majorité ont mis fin à cette sortie désespérée. La seconde exécution a été celle des premiers jours de Février. M. de Lamartine était à la tribune: le scrutin de division ayant décidé qu'on passerait à la discussion des articles, il avait la parole sur l'article 12. C'était un prétexte, et la lutte générale a recommencé. Se lançant du premier bond dans ces nuageuses considérations historiques, qui prêtent si fort à son imagination, M. de Lamartine en était venu cc lui est un penchant irrésistible mettre en scène et à parler de lui; suffrage universel, révolution de Février, gouvernement provisoire, c'est tout un.

à se

Au beau milieu d'une période fort arrondie, éclate une interruption. De son banc, M. le général Gourgaud s'écrie: « Le gouvernement provisoire a donné ordre de désarmer les soldats, le 25 février!»

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