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MARDI 9 AVRIL 1850.;

L'AMI DE LA RELIGION.

Des luttes nouvelles en Belgique.

(N° 5012.)

Projet de loi sur l'enseignement moyen. - Rapport de la section centrale.- Note de M. de Decker. Des VICES RADICAUX du Projet de loi de M. Rogier.

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(Voir le n° d'hier.)}

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I.

L'ESPRIT DU MINISTÈRE belge.

On a vu quel est l'esprit qui jusqu'à ce jour a dominé en Belgique dans la Constitution, dans les lois, dans la conduite officielle du gouvernement; c'est un esprit vraiment respectueux pour la religion et pour la liberté.

Quel est l'esprit qui l'emporte maintenant, et qui inspire le cabinet de M. Rogier? C'est un esprit de réaction et d'hostilité contre l'enseignement libre, contre les franchises communales, contre l'Eglise, contre la tradition ancienne et moderne de la Belgique.

Si l'on en doutait, il suffirait de lire l'Exposé des motifs du projet actuel.

Nous avons vu hier comment M. Rogier expliquait son premier projet en 1834. Aujourd'hui, le même M. Rogier le montre sous un autre aspect; il en fait « une première protestation contre les abus de la liberté!

Que ne s'exprimait-il ainsi à cette époque !

Nous supplions nos lecteurs de se reporter encore aux déclarations de MM. Rogier, Lebeau, Liedts et Leclercq en 1840 et 1841. Au même moment où le cabinet soi-disant libéral se faisait si conciliant envers les catholiques; au moment où il promettait de modifier le projet de 1834 pour donner moins d'extension au pouvoir civil et plus de garanties à la foi des familles, il paraît qu'il écrivait des circulaires dans un tout autre but. C'est M. Rogier qui, dans son Exposé actuel, l'avoue enfin ! C'est lui qui rappelle ces actes, en donne la date et en interprète le sens.

Une circulaire du 26 mai 1840, dit-il, « prouve l'intention formelle de l'administration de RESSAISIR sur l'instruction publique une légitime influence.»>

Une autre du 31 mars était encore « un obstacle destiné à empêcher désormais la question de rétrograder, » et un jalon destiné marquer une nouvelle politique.

En un mot, dès cette époque (et nous citons toujours textuelleL'Ami de la Religion. Tome CXLVII.

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ment), on avait voulu « changer l'esprit et la marche du gouverne

ment. »

On le faisait, c'est vrai! mais on ne le disait pas.

C'est précisément parce que la majorité ne s'était pas méprise sur de telles tendances, qu'elle renvoya alors ce ministère. Ce ministère pourtant se disait calomnié. Aujourd'hui, ceux qui l'ont renvers sont bien justifiés : Habemus confitentem reum.

Mais alors le faux libéralisme était faible, et depuis il est devenu fort! Vaincu en 1830, au congrès national, il se cachait en 1834, en 1840. En 1846, au congrès de Bruxelles, il a levé le masque; il le jette en 1850! Le voilà au pouvoir. On peut le juger à ses allures comme

à ses œuvres.

II.

LA CONDUITE DU PARTI LIBÉRAL.

On a dit que le faux libéralisme veut emporter son succès à la pointe de l'épée. Cela est évident. Ajoutons qu'il spécule autant sur les surprises et sur les embuscades que sur sa force numérique.

C'est une remarque que l'on a pu faire dès la discussion préalable, dans les sections ou bureaux de la chambre des représentants.

On sait aussi comment le ministère et la majorité sont parvenus à brusquer le débat public; ils en ont fixé l'ouverture avant même que le rapport de la section centrale fùl terminé et déposé.

Mais ce rapport même, ce rapport, rédigé avec une habileté extrême, quoiqu'il soit censé l'improvisation soudaine de M. Dequesne,

ce rapport, au point de vue parlementaire, n'est rien moins qu'un scandale.

Il a été, de la part de M. de Decker, qui seul représentait la minorité dans la commission, l'objet de la plus énergique et de la plus juste réclamation.

M. de Decker est, parmi les catholiques éclairés et dévoués de la Belgique, l'un des hommes les plus distingués, et aussi l'un des hommes les plus modérés. Plus que tout autre, il a travaillé pour les idées de fusion, de transaction, de conciliation. Par sa brochure intitulée Quinze ans, il a le dernier essayé, contre toute espérance, de renouer l'alliance des catholiques et des soi-disant libéraux, devenus déjà d'une intolérable exigence. Personne n'a plus amèrement que lui déploré la chute du dernier cabinet mixte; il eût aimé mieux alors l'avénement du parti libéral que le retour de M. de Theux et de son propre parti aux affaires.

Et c'est M. de Decker qui a été obligé de protester, et devant ses collègues et par la voie de la presse, contre la manière dont il a été traité par la majorité.

Il a été obligé de déclarer formellement :

1° Que le rapport ne reproduit pas fidèlement l'ensemble et la physionomie de la discussion générale qui a eu lieu dans la section centrale;

2° Qu'il a été émis dans cette réunion des opinions, des amendements, des systèmes que le rapport n'analyse pas, n'explique pas, sur lesquels il ne renferme aucune donnée positive;

3° Que surtout dans le compte-rendu de la discussion des articles, qui a duré huit jours, il ne reste, pour ainsi dire, pas de trace d'une opposition qui a été cependant constante, persévérante, énergiquement soutenue ;

4o Qu'enfin M. de Decker n'a pu introduire dans le rapport un résumé très-concis de ses propres observations et de ses critiques principales, qu'en ayant la précaution de les écrire lui-même, de les remettre au rapporteur sous forme de note et d'en exiger l'insertion, laquelle ne lui a pas été accordée sans beaucoup de pourparlers.

Ainsi, ce n'était pas assez d'avoir pris l'Assemblée à l'improviste; on n'épargne rien encore pour donner le change au pays. On ne veut pas seulement que la minorité soit vaincue; on prétend qu'elle soit opprimée, écrasée, étouffée. On tâche de mettre un sceau sur la bouche des catholiques pour qu'il ne s'en échappe ni un reproche, ni une plainte !

Quand on emploie de tels moyens pour le succès d'une œuvre, cette œuvre est jugée.

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III.

M. LA NOTE DE M. DE DECKER.

Mais non! examinons-la encore de plus près.

lei notre tâche devient facile. Nous avons la note de M. de Decker,' et l'excellente, l'admirable publication qui fait ressortir et flétrit LES VICES RADICAUX du projet de loi (1).

L'honorable auteur de la note prouve que la loi est inconstitutionnelle, contraire à l'esprit général des institutions belges, antinationale, directement hostile aux franchises des communes, aux principes de la liberté religieuse, aux droits imprescriptibles et sacrés de l'Eglise.

Citons seulement un passage où est dénoncé avec énergie le grief fondamental des catholiques :

Contrairement à ce qui est proclamé et pratiqué dans tous les pays, les auteurs et défenseurs du projet de loi n'entendent pas reconnaître que l'enseignement religieux fasse PARTIE INTÉGRANTE et essentielle de l'enseignement public donné aux frais de l'Etat.

• Ils réservent même positivement pour le gouvernement la faculté de ne pas faire donner du tout l'enseignement religieux.

Il en résulte que le gouvernement peut méconnaître l'un des DEVOirs les PLES SACRÉS qui lui soient imposés dans l'intérêt de la société; et cela dans l'organisation de l'instructiou publique, donnée aux frais de l'Etat, c'est-à-dire au nom de toute la société. »

On a vu dans notre dernier numéro la tradition, le langage et les (1) Les vices radicaux du projet de loi sur l'enseignement moyen, à Gand, chez VanHifte.

actes des catholiques en 1830 et 1841, en 1846 et 1847. On a vu aussi la tradition, les actes et le langage des prétendus libéraux, aux mêmes époques. Que l'on dise de quel côté est la vérité? où est le bon droit? où la fidélité aux principes? où la franchise des paroles, la loyauté des intentions et la consistance de la conduite?

Mais revenons à l'ouvrage imprimé à Gand. Il est encore plus digne de notre attention et de notre respect.

Certes, après avoir vu un laïque défendre et venger avec tant de force les droits de l'Eglise, il ne pouvait y avoir qu'un plus beau, qu'un plus consolant spectacle: c'est celui d'un publiciste bien plus autorisé apportant, à une si grave controverse, dans des conjonctures si difficiles, si urgentes, avec toute la prudence et les réserves nécessaires, le poids de son expérience, les lumières de sa sagesse, le zèle et le dévouement de son cœur !

IV.

LES VICES RADICAUX DE LA LOI.

Selon le vénérable écrivain, les trois vices radicaux du projet de loi de M. Rogier sont :

1° Qu'il fonde le monopole et abolit de fait la liberté d'enseignement en Belgique;

2o Qu'il rétablit l'arbitraire ministériel en matière d'instruction; 3° Qu'il renferme une déclaration de guerre à l'instruction et à l'éducation religieuse, et au clergé.

Ces trois points sont établis avec une netteté, une vigueur, une évidence auxquelles il n'y a rien à opposer. Le soin avec lequel sont traités les deux premiers est une preuve de plus, qu'au milieu même des dangers les plus graves et les plus directs pour la religion, la sollicitude de l'Episcopat et du Clergé ne se détourne nulle part des intérêts légitimes de l'ordre civil et politique, et que leur vigilance est la sauvegarde la plus sûre des traditions et des lois nationales comme de l'avenir de la société.

Mais c'est surtout contre le troisième point, relatif à la part de la religion dans l'instruction publique, que le vénérable auteur s'élève avec le plus d'autorité et de force. C'est là, comme il le dit, le VICE CAPITAL de la loi.

Avec quel sentiment profond de douleur et d'indignation il se plaint que l'instruction religieuse ne figure point dans le programme officiel des matières d'enseignement (page 42), et que la loi se borne à adresser aux ministres des cultes une simple invitation qui n'engage en rien l'administration (page 44). » Eh quoi! « si pour quelque motif que ce soit, s'écrie-t-il, les élèves ne peuvent recevoir l'instruction religieuse dans les institutions gouvernementales, ils s'en passeront! » Et il ajoute << Peut-on pousser plus loin l'indifférence, pour ne pas dire le mépris de la partie la plus essentielle de l'enseignement? Un enseignement public qui néglige l'éducation morale et religieuse est évidem

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ment incomplet et défectueux. Il n'offre plus aux familles les garanties qu'elles désirent (page 47).»

Bien malgré nous, il nous faut abréger. Disons seulement que la publication d'où nous tirons ces citations durera plus que la loi de M. Rogier. Elle prédit les conséquences désastreuses d'une telle loi; d'avance aussi, elle en marque le prochain avortement et le terme fatal. Elle fait plus. En en signalant les vices, elle rappelle et remet en honneur les principes salutaires qui doivent servir de base à la législation, sur cette matière, dans tous les Etats catholiques et libres de l'Europe.

Tous y viendront, s'ils ne s'obstinent à périr.

Qu'il nous soit permis, en terminant, de reproduire ce court et éloquent parallèle entre la France et la Belgique :

«En France, dit le vénérable écrivain, on brise le monopole; en Belgique on le fonde.

En France on fait un pas vers la liberté; en Belgique on s'en éloigne, on la renie.

Eu France on proclame la nécessité de l'éducation religieuse; en Belgique on en nie l'importance.

En France, des hommes d'Etat, naguère les plus hostiles à l'Eglise, lui témoignent respect et bienveillance; en Belgique nos hommes d'Etat manifestent envers elle une grande hostilité (1). »

Les voix les plus hautes peuvent donc invoquer, aujourd'hui, en faveur du bien, le nom et l'autorité de cette France qu'on n'a si longtemps invoquée que pour le mal! Pourquoi cette consolante pensée est-elle mélangée d'un triste retour sur la situation de nos voisins? Mais telle est la destinée de l'Eglise. Non! jamais, même ici-bas, les portes de l'enfer ne prévaudront contre elle; mais jamais aussi elle ne remportera de victoire définitive sur la terre, jusqu'à ce triomphe immortel, qui couronnera ses luttes à la fin des siècles.

En attendant, elle est, elle sera militante. Le combat s'apaise ici, il se ranime un peu plus loin. Le joug qu'elle soulève en France est de nouveau suspendu sur sa tête en Belgique. Nos frères ont partagé notre joie; compatissons à leurs douleurs. Notre cause est la même, ou pour mieux dire nous ne faisons qu'un même corps : Multi unum corpus sumus! (2) Qu'on ne s'étonne donc pas de la vivacité et de la chaleur des sympathies qui nous animent! Ah! bien plutôt plaise au ciel que sur ce champ de bataille commun aucune division intérieure ne vienne, parmi nous, glacer une seule âme, l'aveugler sur les grâces que Dieu nous accorde, la rendre indifférente aux épreu

(1) Des Vices radicaux, page 50. Déjà M. de Decker, dans sa note, avait écrit:

« Et cependant l'exemple de la France d'aujourd'hui, éclairée par une funeste expérience, devrait bien nous rendre suspecte une pareille inspiration, puisque la France elle-même, sous le double rapport de la décentralisation et de l'acceptation de l'influence religieuse, VIENT DE FAIRE un mouvement EN SENS INVERSE de celui que le gouvernement nous propose pour la Belgique. »

(2) S. Paul, ad Rom., c. XII, v. 5.

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