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Les maisons particulières rivalisaient avec les monuments publics, et, pour être juste, je dois ajouter, que les monuments publics s'effaçaient devant la parure lumineuse des simples habitations. Notre Halle, vaste édifice dont la façade principale date du xive au XVe siècle, aurait offert un coup-d'œil magique, si l'on avait suivi dans l'illumination, les lignes des ogives et des créneaux. Au lieu de cela, qu'a-t-on fait? Partout on a suivi les tablettes des croisées, partout des lignes droites, des directions horizontales.

On a été mieux inspiré pour l'Hôtel-de-Ville. Gracieux édifice du xv° siècle, il était, dans tous les détails de ses portes et de ses croisées ogivales, éclairé de verres de couleurs, qui s'harmonisaient avec les lignes du monument et laissaient à l'imagination le travail facile de compléter ce qui était dans les ténèbres.

L'hôtel du gouvernement n'offrait rien de bien remarquable; mais il n'en était pas de même du séminaire épiscopal et de l'évêché, qui resplendissaient de lumières.

Dans la rue Haute, les magnifiques hôtels de MM. De Man et d'Ydewalle étaient illuminés de la manière la plus splendide. La maison de ce dernier surtout, remarquable par les admirables vestiges d'antiquités qu'offre sa façade, présentait l'image d'un de ces vieux châteaux du moyen âge, qu'aurait éclairé tout à coup la baguette merveilleuse d'une fée.

Au milieu de toutes ces magnificences, rien de comparable à la maison de madame Decamps sur le Marché aux OEufs. Cette maison, comme une foule d'habitations de notre ville, présente son pignon de face, et ses croisées, autrefois ogivales, sont devenues des croisées modernes depuis bien longtemps. Mais, par un tact dont il faut savoir gré à la propriétaire ou à l'artiste qui l'a inspirée, l'ogive avait été rétablie partout dans l'alignement des verres de couleur, et la façade tout entière rappelait en lignes de lumière, la belle architecture du moyen âge.

A neuf heures du matin, la messe pontificale avait été célébrée à la cathédrale par Mgr de Garsignies, Evêque de Soissons.

A dix heures et demie, le sermon français devait être prêché par le R. P. de Ravignan, qu'une indisposition a empêché de monter en chaire. Il a été remplacé par M. l'abbé Capelle, chanoine de Cambrai.

On voit que la France a tenu une grande place dans ces belles et antiques fêtes de la Belgique chrétienne.

Séance de l'Assemblée.

Le ministère des finances a du bonheur. Il a encore aujourd'hui inspiré M. Berryer de la manière la plus brillante et la plus pratique à la fois. Hier, c'était l'administration centrale à laquelle l'illustre orateur faisait rendre un hommage éclatant. Le service du trésor et l'organisation des recettes ont été à leur tour l'objet d'une admirable défense. M. Sautayra d'abord, M. Mauguin ensuite sont venus s'attaquer à cette branche si importante de l'administration financière. L'ignorance de l'un n'est surpassée que par l'orgueilleux pédantisme de l'autre. Ils ont été tous les deux flagellés de main de maître, et l'Assemblée a applaudi avec enthousiasme aux paroles si claires, aux considérations si élevées, aux idées si justes de son éloquent rappor teur. C'est une bien merveilleuse nature que celle qui se plie aux

moindres détails et monte aux élans les plus vigoureux. La discussion du budget de 1850 a révélé une face nouvelle du prodigieux talent de M. Berryer, et elle sera un des grands honneurs de sa carrière

d'homme d'Etat.

Au milieu de la séance, on a validé sans débat les élections de Saône-et-Loire. MM. Esquiros, Hennequin, Dain, Madier de Montjau, Charrassin et Colfavru ont été proclamés représentants. La recrue est complète pour la Montagne.

M. de Broglie a été nommé président et M. Léon Faucher secrétaire de la commission pour la loi électorale. Rien ne transpire des travaux de cette commission. On pense, toutefois, que le rapport sera déposé promptement. Il faut, en effet, que l'Assemblée soit bientôt mise en demeure de se prononcer définitivement. Que la majorité garde surtout son ensemble et son union. OEuvre éminemment politique, cette loi doit avoir le caractère d'un vote politique et unanime.

M. Napoléon Bonaparte, le cousin du Président, l'ambassadeur 2 rappelé d'Espagne, a plus d'une fois tenté de compromettre le nom qu'il porte. Furieux de voir le gouvernement de son parent repousser toute solidarité dans ses excentricités et ses fautes, il essaie autant qu'il peut, de se rapprocher du parti rouge. Voici la déclaration qu'il a déposée hier sur le bureau de l'Assemblée :

« Attendu que la souveraineté du peuple réside dans l'universalité des citoyens ; «Attendu que la souveraineté est inaliénable, imprescriptible, et qu'aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice;

« Attendu que les représentants du peuple n'ont d'autres pouvoirs que ceux que le peuple leur a délégués ;

« Attendu que le mandataire ne peut anéantir les droits du mandant sans anéantir son mandat;

«Attendu que le droit de suffrage est un droit primordial au-dessus de tous les autres:

"Attendu que le projet de réforme électorale, s'il était converti en loi, priverait une fraction importante du peuple d'une partie de son droit;

«Le soussigné, représentant du peuple, déclare solennellement qu'il persiste dans la ligne de conduite qu'il a commencé de suivre en demandant la question préalable;

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Qu'en conséquence, fidèle aux principes de la souveraineté du peuple et de la Constitution, ne se reconnaissant pas le droit de porter atteinte au suffrage universel, il proteste par son abstention contre une mesure révolutionnaire.

M. Napoléon Bonaparte a en même temps adressé cette protestation à ses électeurs. Mais s'il croit l'Assemblée décidée à violer la Constitution, que ne donne-t-il sa démission de représentant? Cela serait plus net.

Curieux document.

Le National, pour combattre le projet de loi concernant la ré

forme électorale, donne le tableau suivant qui est fort curieux assurément.

On sait que, d'après la loi future, l'inscription au rôle de la taxe personnelle, la garantie la plus simple et la plus sûre du domicile. serait exigée, sauf certaines conditions supplétives, pour l'inscription sur la liste électorale. Le National met en regard, dans dix départements pris au hasard, dit-il, le chiffre des électeurs actuels, celui des contribuables et celui des individus qui votent en ce moment sans prouver d'aucune façon qu'ils ne sont pas mendiants et vagabonds ou qu'ils appartiennent réellement au département dans lequel ils votent.

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Si ce tableau est exact, il prouve que la société a bien le droit de s'inquiéter de l'état présent du suffrage universel, et de le rendre, en le régularisant, plus sincère et plus moral.

Les élections de Berne.

(Correspondance particulière de l'AMI DE LA RELIGION.)

Berne, le 8 mai 1850.

Je vous ai annoncé dans ma dernière lettre le triomphe des conservateurs; alljourd'hui, je suis heureux de pouvoir le confirmer de la manière la plus incontestable, quoi qu'en disent les feuilles socialistes pour consoler leurs partisans.

D'ailleurs, il ne faut pas s'étonner que les hommes qui depuis trois ans vivent aux dépens de nos braves populations, en leur donnant en échange force promesses, aient de la peine à se convaincre de leur défaite. C'est dans la nature même du matérialiste parvenu de lutter le plus longtemps possible contre une réalité qui l'écrase, parce qu'elle lui fait entrevoir son prochain retour dans les bas-fonds d'où il est sorti.

avec

Jamais lutte électorale n'a été plus acharnée : d'un côté, le gouvernement ses agens publics et secrets, avec les clubs d'où il est sorti lui-même, avec le terrorisme de la liberté radicale; usant de tous les moyens bons ou mauvais, renouvelant des promesses qu'il sait fort bien n'être que mensongères, n'épargnant

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ni l'argent ni les menaces; de l'autre, le vrai suisse, avec ce bon sens qui l'éclaire, cette loyauté qui l'élève, cette noble fierté qui méprise la bassesse et fait rougir le crime n'ayant à sa disposition que l'arme de la vérité, la conviction mûre et opiniâtre que trois années d'esclavage lui ont donnée de la mauvaise foi et de la grossiéreté de ses oppresseurs, la foi sincère et grave qui le porte tout naturellement à croire plutôt le bon que le mauvais, enfin et surtout la conscience de sa misère et la certitude d'une décadence prochaine.

Voilà comment la question était posée. Il s'agissait de prouver que les théories funestes du radicalisme loin de créer, comme on le prétend, le bonheur du peuple, ne sont que l'œuvre de quelques hommes sans mœurs qui, dégradés à leurs propres yeux, ne peuvent voir sans jalousie la vertu et la félicité d'autrui; que ces hommes se servent du peuple comme de marchepied pour arriver à une position qui leur permette d'étourdir leur conscience et d'éblouir les autres par l'éclat de leur pouvoir. Il s'agissait aussi de prouver à la France que nous avons imitée d'abord et dévancée ensuite, que le peuple paie cher la confiance qu'il accorde aux adulateurs de ses passions qui conspirent aujourd'hui en son nom, pour l'exploiter impunément plus tard.

Eh bien, c'est ce que les Bernois ont compris.

Tout le monde, les riches comme les pauvres, tous les amis du pays et des li bertés de nos pères, le véritable peuple enfin s'est uni pour s'assurer la victoire et pour empêcher le gouvernement de s'imposer au pays quand même.

Cette victoire, nous l'espérons, aura une influence salutaire sur toute la Suisse; elle est un premier garant d'un avenir meilleur. Ln faible majorité de 122 contre 104 voix (c'est le résultat définitif) ne doit pas nous affliger; elle ne saurait en rien effacer le résultat moral des élections. Car, quiconque connaît la manière d'agir des radicaux, en pareille circonstance, ne peut se méprendre sur la véritable opinion publique. Avoir obtenu cette majorité dans le canton de Berne, où tous les pouvoirs sont concentrés, et où un immense réseau d'administrations de tout genre absorbe et met à la merci du gouvernement deux tiers de la populaJation; où le gouvernement lui-même recrute depuis deux ans avec une constitution et une loi électorale à sa façon, c'est évidemment une preuve que tous ceux qui ne subissent pas l'influence directe voire même forcée du gouvernement (et ceux là ne sont pas dangereux, puisqu'ils votent partout et toujours pour qui paye) que ceux-là, dis-je, en ont assez des libertés radicales. C'est donc, on peut le dire, tout le peuple bernois qui proteste de la manière la plus solennelle contre la tyrannie et les impôts, seuls biens qui lui soient restés des caresses démagogiques, et qui sent le besoin, pour être libre, de rentrer dans la voie de ses pères. Au reste, cette majorité pourra s'augmenter considérablement, car les conservateurs demandent à grands cris l'annulation d'environ seize élections, qui ont été le résultat de quelques misérables stratagèmes et qui imposèrent à la majorité la volonté de la minorité. Le Comité électoral conservateur en a eu communication officielle. Il nous reste en outre six élections à faire dans les villages de Jegenstorf et de Wutlern, où la rage et le désespoir des radicaux sont parvenus à rendre le vote impossible. C'est un bon augure, les candidats seront des nôtres. Pour vous donner une juste idée du sens de nos élections, je vous dirai que les Blosch, les Fischer, les de Reichenbach, de Ganzenbach et d'Aubry, etc., figurent en tête de notre liste. Par ce retour généreux vers ces noms si populaires dans nos montagnes, le peuple a renouvelé l'alliance qui existait entre lui et ses chefs naturels, en punissant de son mépris ceux qui croyaient pouvoir les remplacer.

Les radicaux, il faut l'avouer, sont restés très-conséquents; ils se font repré

senter par Stampfli et Niggeler, deux fabricants de pamphlets mal famés pour lesquels le Bernois se prend d'une généreuse pitié.

P. S. Je présume qu'à Paris comme ici, les socialistes s'efforcent, sinon de nier, du moins de défigurer notre triomphe. Dans ce cas, dites-leur que le gouvernement de Berne avait fait placer une batterie près du café du Mont, pour annoncer, par 101 coups de canon, la victoire dont il se croyait certain, et que tout à coup ces canons ont repris tacitement le chemin de l'arsenal sans avoir senti la poudre !

Serait-ce par hasard de la modestie?

Catastrophe de la carrière de Bab-el-Oued.

Afrique française.

Alger, 5 mai 1850.

Un funeste événement, arrivé hier matin à la carrière exploitée pour les travaux du port d'Alger, est venu attrister la population au moment où elle se disposait à prendre part aux réjouissances de l'anniversaire du 4 mai.

L'explosion d'une mine chargée de 3,800 kilogrammes de poudre, à laquelle beaucoup de personnes étaient allées assister, s'est produite de telle sorte, qu'au Iieu de détacher et de renverser sur place, comme cela avait eu lieu dans les explosions précédentes, une fraction de la montagne a éclaté et lancé dans les airs des quartiers de roche, des pierres de toutes grosseurs qui ont atteint plusieurs personnes.

M. Jourdan, juge d'instruction, est au nombre des victimes. Cet honorable et regrettable magistrat a été frappé avec tant de violence par le projectile, que son corps, littéralement coupé en deux, n'a pas conservé forme humaine.

Trois autres personnes ont été tuées sur le coup. Deux autres ont expiré peu de temps après avoir été transportées à l'hôpital du Dey. L'une d'elles venait de subir l'amputation d'un membre quand elle a cessé de vivre. Le nombre des morts était donc de six hier au soir. On a la crainte qu'il ne soit porté à huit ou neuf. Parmi les personnes blessées plus légèrement, se trouvent M. Walwein, conseiller de préfecture, atteint à l'épaule et à la tête, mais dont l'état n'inspire heureusement aucune inquiétude; le jeune Rouilah, interprète de M. le gouverneur général; M. Dubos, libraire, qui a eu une épaule fracassée.

Les soins les plus empressés ont été prodigués à toutes les personnes atteintes. M. l'abbé Bernardou, curé de la cathédrale, dont la soutane a été déchirée par un éclat de pierre, a porté des consolations aux blessés, et appelé les bénédictions du ciel sur les morts. MM. les officiers de santé de l'armée et MM. les médecins civils ont rivalisé de zèle.

Après un pareil événement, la fête du 4 mai ne pouvait plus conserver le caractère qui lui avait été attribué. M. le gouverneur par intérim a décidé immédiatement que les réjouissances annoncées n'auraient pas lieu, et que les fonds encore disponibles seraient distribués aux familles des morts ou aux blessés indigents. M. le général Pélissier a donné en même temps des instructions pour qu'un de profundis suivît le Te Deum qui devait être chanté après l'office religieux.

Ces dispositions ont reçu leur exécution immédiate.

Toutes les autorités civiles et militaires ont assisté à la messe qui a été célé brée à onze heures et un quart. M. le général de division Bambaud, inspecteur général de l'administration de la guerre, a pris place à l'église à côté de M. le gou verneur général par intérim.

Une souscription a été ouverte pour les familles des victimes.

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