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On a dit au peuple que, pour corriger tous ses maux, il avait entre les mains le suffrage universel. Le peuple a pris ces paroles au sérieux. Il s'est pris de tendresse pour la législative. Il a jeté au loin le fusil et la cartouche; il s'est armé du bulletin; il a tendu la main au soldat et au bourgeois.

Cette alliance sacrée a triomphé au 10 mars. Qu'a fait alors le pouvoir? A-t-il félcité le peuple de ce qu'un esprit nouveau soufflait sur ses délibérations? Non, on a puni le peuple de son amour pour la légalité.

M. MICHEL s'écrie que les barricades de juin ont été relevées dans le collége électoral de la Seine le 28 avril.

M. LE PRÉSIDENT. Je ne puis laisser passer les paroles qu'a prononcées tout à l'heure l'orateur sans lui demander une explication. (Très-bien ! très-bien!)

Quand il a dit que les barricades de juin avaient été relevées dans les colléges électoraux, qu'a-t-il voulu dire? Il faut qu'il s'explique. (Très-bien !) Il n'est pas possible de laisser dire ici qu'un homme qui a été candidat aux dernières élections... (Exclamations à la Montagne.) Non, tant que j'aurai l'honneur d'être président de cette Assemblée, je ne laisserai pas dire qu'un citoyen qui a fait son devoir en défendant les lois a relevé les barricades. (Triple salve d'applaudissements à droite.)

Ceux-là seulement sont des factieux qui attaquaient les lois de l'autre côté des bar. ricades. (Nouveaux applaudissements.)

Après quelques paroles contradictoires et illogiques de MM. G. de Beaumont et Lefranc, l'urgence est mise aux voix et votée à une immense majorité.

VARIÉTÉS.

Troisième Lettre à M. V..., Représentant du peuple, sur les Jésuites.

Monsieur,

(Voir les numéros 4981 et 5014.)

Après avoir rappelé la vie austère et le zèle apostolique du précur seur de Jésus-Christ, de cet humble et saint prophète, dont le panégyrique fut prononcé, non par un simple mortel, mais par un Dieu, I'Evangile nous montre l'ange du désert sacrifié par la faiblesse d'Hérode aux fureurs adultères d'Hérodiade. Le dix-huitième sièclea reproduit cette sanglante histoire. Une Hérodiade nouvelle, qui, sur la foi des Provinciales, avait cru pouvoir trouver dans la célèbre Compagnie des casuistes accommodants, s'étonnait qu'un Jésuite eût l'insolence de ne pas sanctionner, comme parfaitement conforme à la plus pure morale de l'Evangile, ce que les grands philosophes de l'époque se gardaient bien de censurer, ce qui ne les empêchait pas d'adorer son crayon divin, et de faire monter vers elle l'encens de leurs poétiques adulations. Un nouveau Jean-Baptiste avait osé dire non licet, et la compagnie de Jésus tout entière était complice de ce crime de lèse-majesté. Pour la punir, il fallait que les Pères fussent exilés, que la Compagnie fût dissoute; et l'on vit les diplomates se liguer avec les courtisans pour accomplir cette œuvre; et les ministres de France et d'Espagne semblèrent se disputer le triste honneur d'être les exécuteurs implacables des vengeances d'une Pompadour.

Déjà le créateur et le président du tribunal de l'inconfidence,

l'ordonnateur et le signataire de l'assassinat juridique de dona Eléo-nor, des familles d'Aveyro et de Tavora, avait redemandé aux contrées les plus lointaines de l'Ancien et du Nouveau-Monde les zélés propagateurs de la civilisation chrétienne, les incomparables modèles de la plus tendre, de la plus héroïque charité. Déjà les flammes du bûcher avaient fait expier au P. Malagrida les témoignages de vénération donnés par le peuple et par les princes à son rare mérite et à ses éminentes vertus.

Arrachés, par les ordres de Pombal, aux travaux des missions, ainsi qu'à la culture des sciences et des arts, aux établissements dont ils étaient les fondateurs, et aux peuples dont ils étaient l'amour, les apôtres de Goa, du Brésil, du Moragnon, avaient été entassés par milliers sur les vaisseaux portugais, puis abandonnés sur des plages inconnues, ou ramenés en Europe pour être jetés, sans livres, sans vêtements, presque sans nourriture, dans des cabanons infects, pour être condamnés à périr de faim et de misère dans d'obscurs et humides cachots. Les adorateurs de Jeanne de Pompadour et le ministre d'Espagne ne voulurent pas se montrer moins ardents que Pombal à diffamer, à emprisonner, à persécuter les Pères, à réclamer la destruction de la Compagnie, et à l'exterminer sur toute la surface du globe. Alors parut cet arrêt du 6 août 1762, qui expulsait brutalement plus de quatre mille Français hors de leurs maisons et de leur patrie; cet arrêt, que Lally-Tolendal appelait une persécution barbare, l'acte le plus tyrannique et le plus arbitraire qu'on pût exercer; cet arrêt, dont M. de Monthyon, le fondateur des prix de vertu, nous révélait en deux mots l'odieux caractère; cet arrêt, tellement extraordinaire que, pour en faire justice, il suffit de l'exposer à tous les regards; cet arrêt-monstre qui, armé de pompeuses dénonciations et de quatre-vingt-quatre censures, condamnait les Jésuites sans les entendre, comme notoirement coupables d'avoir enseigné en tout temps et persévéramment, avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux, « la simonie, le blasphème, le sacrilége, la magie et le maléfice, l'astrologie, l'irréligion de tous les genres, l'idolâtrie et la superstition, l'impudicité, le parjure, le faux témoignage, les prévarications des juges, le vol, le parricide, l'homicide, le suicide, le régicide, comme favorisant l'arianisme, le socinianisme, le sabellianisme, le nestorianisme..., comme favorisant les luthériens, les calvinistes et autres novateurs du seizième siècle..., comme reproduisant l'hérésie de Wicleff ; comme renouvelant les erreurs de Tichonius, de Pélage, des semi-pélagiens, de Cassien, de Fauste, des Marseillais..., comme favorisant l'impiété des déistes...; enfin, comme enseignant une doctrine injurieuse aux Saints-Pères, aux apôtres, à Abraham.>> En vain, dans les diverses provinces de France, et particulièrement dans les villes de Rennes, de Rouen, d'Aix, de Toulouse, de Perpignan, de Bordeaux, un grand nombre de magistrats avait-il ré clamé les droits de la justice violée; en vain, les cours souveraines

de Franche-Comté, d'Alsace, de Flandre et d'Artois avaient-elles refusé de condamner l'innocence; en vain les magistrats de Lorraine avaient-ils déclaré que, dans les fils de saint Ignace, ils aimaient à reconnaître les plus fideles sujets du roi de France, et les plus sûrs garants de la moralité des peuples. On enjoignit aux Pères de renoncer aux règles de leur institut; on exigea d'eux, sous peine d'exil, un serment qu'ils ne pouvaient prêter sans trahir leur conscience, sans accréditer les accusations imaginaires portées 'contre la Compagnie; et quand on vit qu'ils n'hésitaient pas entre le bannissement et le déshonneur, les arrêts de proscription revendiquèrent les victimes, dont l'immolation était résolue; les consolateurs et les instituteurs des peuples et des princes, se virent arrachés à l'exercice d'un ministère de paix et de charité, à d'importants travaux, à des études fécondes, dans leurs humbles cellules, dans les modestes asiles de l'érudition ou de la science, dans la cabane du pauvre, et jusque dans la demeure des rois.

L'entreprise que les parlements venaient d'accomplir en France après de longs débats, et en luttant contre d'honorables résistances, d'Aranda voulut en Espagne l'exécuter d'un seul coup. Mais, craignant de rencontrer dans la foi des peuples et dans la piété du souverain, des obstacles invincibles, si son projet venait à être découvert, il résolut de l'envelopper d'un profond mystère, et de préparer dans l'ombre le coup de foudre qui devait anéantir la Compagnie de Jésus :

Depuis 1764, dit un célèbre historien et diplomate, le protestant Shell, le duc de Choiseul avait expulsé les Jésuites de France; il persécutait cet ordre jusqu'en Espagne. On employa tous les moyens d'en faire un objet de terreur pour le roi, et l'on y réussit enfin par une atroce calomnie... Il se laissa arracher l'ordre d'expulser les Jésuites. »

Le dessein de d'Aranda n'était connu que de quatre confidents: Manuel de Roda, Monino, Campomanes et d'Osma, sur lesquels il pouvait compter. Tout fut concerté entre eux, et l'on employa comme copistes des enfants incapables de comprendre ce qu'on leur faisait transcrire. On minuta dans le cabinet du Roi les ordres adressés aux autorités espagnoles dans les Deux Mondes. Ces ordres, contresignés par d'Aranda, étaient munis de trois sceaux. Sur la seconde enveloppe on lisait: Sous peine de mort, vous n'ouvrirez ce paquet que le 2 avril 1767, au déclin du jour. La lettre était ainsi conçue :

« Je vous revêts de toute mon autorité et de toute ma puissance royale, pour, sur-le-champ, vous transporter avec main-forte à la maison des Jésuites. Vous ferez saisir tous les religieux, et vous les ferez conduire comme prisonniers au port indiqué, dans les vingt-quatre heures. Là ils seront embarqués sur des rais seaux à ce destinés. Au moment même de l'exécution, vous ferez apposer les scellés sur les archives de la maison et sur les papiers des individus, mettre à aucun d'emporter avec soi autre chose que ses livres de prières et le linge strictement nécessaire pour la traversée. Si, après l'embarquement

sans per

il exis

tait un seul Jésuite, même malade ou moribond, dans votre département, vous seriez puni de mort. ▸

Les autorités militaires et civiles exécutèrent cet ordre, sans le comprendre; et tandis que, sur le sol attristé de l'Espagne et de ses colonies en deuil. les habitants éplorés, vieillards, femmes, enfants réclamaient à grands cris, leurs amis, leurs consolateurs et leurs pères, les Jésuites poussaient l'abnégation jusqu'à l'héroïsme. Le cœur brisé par la souffrance, mais résignés, mais intrépides, ils obéissaient sans murmurer. Le front ceint de la double auréole de la science et de la vertu, ils se dérobaient aux témoignages d'affection qui leur étaient prodigués, aux bénédictions qui les poursuivaient; ils détournaient les yeux pour ne pas laisser amollir leur courage par le spectacle déchirant des douleurs et du désespoir des peuples, pour ne pas laisser voir les larmes que leur arrachaient, non leurs propres infortunes, mais la désolation profonde à laquelle leur départ allait réduire une terre arrosée de leurs sueurs, fécondée par leur génie et par leurs immenses travaux.

En rendant compte de cette opération, Roda écrivait le 7 avril à son correspondant à Rome :

Du mercredi au vendredi, on a exécuté l'opération césarienne dans toute l'Espagne. Dès le 6 mars, de semblables ordres furent donnés dans toutes les Indes. »

L'auteur de la lettre ajoutait qu'on ferait cadeau à Rome de tous les Jésuites ainsi recueillis.

Pour réaliser cette annonce, on enjoignit aux bâtiments, qui portaient les Pères entassés les uns sur les autres, de faire voile pour Civita-Vecchia; puis, lorsque les nobles proscrits, dont beaucoup périrent épuisés par la fatigue et par les privations les plus cruelles, eurent, pendant plusieurs semaines, crré sur les mers, on les ramena en Corse et on les déposa sur le roc aride de San Bonifacio. Mais Choiseul ne voulut pas permettre qu'ils se reposassent même sur un rocher. La république de Venise venait de céder l'île de Corse à la France. Expulsés par l'ordre du ministre, les Jésuites furent transplantés à Gènes, puis à Bologne, puis à Ferrare, et vinrent ainsi augmenter, dans les Etats de l'Eglise, le nombre des proscrits que la persécution y avait jetés.

L'œuvre de proscription était accomplie en France, en Espagne en Portugal: Naples et Parme allaient s'y associer. Bientôt d'Aranda put se glorifier d'avoir, dans le Napolitain Tanucci, un servile et fidèle imitateur. Après avoir arraché au roi de Naples un édit contre lés Pères, Tanucci fait investir, pendant la nuit, les maisons et les colléges de la Société. On enfonce les portes, on brise les meubles, on embarque les Jésuites à la hâte, puis on les abandonne sans nourriture, presque sans vêtements, sur la côte de Terracine. Enfin, après avoir confisqué leurs biens et dévasté les églises de la Compagnie, Tanucci les poursuit jusque sur le rocher de Malte. L'année 1768 vit les Pères successivement bannis des Etats de Parme, puis de l'île

infortunée, qui, après avoir été la forteresse avancée et le boulevard inexpugnable de l'Europe chrétienne, était condamnée à élever désormais, au milieu des mers, un front déshonoré; et les peuples de l'Europe s'étonnèrent de voir la plus sainte des causes trahie par ceux-là mêmes dont le devoir était de la défendre'; ils s'étonnèrent de voir les apôtres du Christ, les zélés propagateurs de l'Evangile proscrits par le chef et le guide de ces mêmes chevaliers qui avaient juré de vivre et de mourir sous l'étendard de la Croix.

Ainsi fut consommée cette longue et cruelle persécution dont l'inexorable histoire livrera le récit aux méditations des siècles à venir. Ainsi s'achevait le drame sanglant où l'on vit l'Europe civilisée s'acharner à détruire dans tout l'univers les monuments de cette civilisation qui était son ouvrage; où l'on vit des magistrats, des législateurs, des ministres, ceux qui devaient être les gardiens de la justice et des mœurs, ceux que le ciel avait chargés de défendre l'innocence, de protéger la société contre les passions déchaînées, poursuivre, dans les ordres religieux, l'esprit de charité, de dévouement et de sacrifices, décréter des supplices contre l'héroïsme, fulminer des arrêts de proscription contre la science jointe à la vertu, et jaloux de transmettre à la postérité la plus reculée des preuves manifestes d'un si incroyable délire, imprimer à ces arrêts un caractère d'évidente partialité, qui fût resplendissant comme la lumière du jour, éclatant comme le soleil. Ainsi s'exécutèrent les décrets arrachés par des courtisans avides ou par des femmes sans pudeur, à des princes, au nom desquels on osait proscrire, comme enclins à la révolte, comme fauteurs de rébellion et d'anarchie, les prédicateurs de la morale la plus pure, ceux qui enseignaient aux peuples le respect des lois et de l'autorité, non-seulement par leurs discours, mais aussi par leurs exemples; ceux qui, sans proférer la moindre plainte, se laissaient dépouiller, torturer, emprisonner; ceux qui, acceptant avec joie la persécution, se laissaient traîner d'exil en exil d'un bout du monde à l'autre, et fiers de marcher sur les traces de leur divin Modèle, se montraient obéissants jusqu'à la mort.

Tels sont les faits que les ennemis des Jésuites osent bien encore invoquer aujourd'hui contre eux! Ne sont-ce pas, au contraire. autant de titres de gloire?

A. CAUCHY,

Membre de l'Institut.

BOURSE DU 8 MAI.

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Actions de la

Le 5 p. 100, 88 25 à 88 55. Le 3 p. 100, 55 00 à 55 20. Banque, 2,069 00. Obligations de la Ville, 1,270 00.- Nouvelles Obligations, 1,125 00. —5 p. 100 belge, 98 114. — Emprunt romain, 79 1[4.

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Pavis, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 9.

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