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encore les grâces accordées, daignait ajouter: qu'il affectionnait cette institution d'une manière toute particulière.

Il ne faut pas s'étonner qu'un grand nombre de NN. SS. les Evêques se soient empressés de l'établir dans leur diocèse en s'affiliant à notre archiconfrérie. De plusieurs endroits on a demandé ses statuts; les îles lointaines et les royaumes étrangers les ont aussi réclamés. C'est ainsi que cette petite famille, comme dit l'Ecriture, s'est augmentée jusqu'à mille personnes; et, de peu considérable qu'elle était, elle est devenue une grande nation. C'est ainsi que le grain de sénevé a produit un grand arbre, où les divers oiseaux du ciel sont venus se reposer.

Cette comparaison appliquée par notre divin Maître au royaume de Dieu, ne convient-elle pas à une OEuvre qui remet, tous les jours, sur le chemin de la céleste patrie, plusieurs âmes dévoyées. Ses rapports annuels ont souvent signalé des conversions nombreuses, des israélites, des protestants à qui elle avait fait connaître la vérité, et des incrédules et des pécheurs qu'elle avait ramenés à la foi et à la

vertu.

Pour assurer à une OEuvre aussi importante sa stabilité et augmenter ses ressources, Mgr le Cardinal de Cheverus ordonna une quête annuelle à son profit dans toutes les églises de Bordeaux et dans toutes les paroisses du diocèse où elle aurait placé un dépôt de livres. De son côté, M. Barault, voulant lui donner son complément nécessaire, publia deux manuels, l'un pour les associés et le second pour les directeurs et les bibliothécaires.

L'intérêt le plus bienveillant pour l'Euvre des bons livres semblait être un héritage que se léguaient les augustes pontifes qui ont occupé le siége de Bordeaux. Lorsque le pieux fondateur se présenta devant Mgr Donnet : « Avant d'être à Bordeaux, lui dit Sa Grandeur, « j'ai toujours envié l'institution que vous avez créée; soyez certain « que mon concours ne lui manquera pas. » Promesse que l'illustre Prélat a tenue, et dont le directeur actuel ne cesse de ressentir les effets; car si ses vénérables prédécesseurs ont tout fait pour établir et organiser cette œuvre, Mgr l'Archevêque ne néglige rien pour consolider et favoriser ses progrès. Agréez, etc.

J. H. TAILLEFER,

la

Chanoine-directeur de l'archiconfrérie des Bons livres.

BOURSE DU 4 AVRIL.

Actions de la

Le 5 p. 100, 89 00 à 89 60.- Le 3 p. 100, 55 20 à 55 50. Banque, 2,170.- Obligations de la Ville, 1,272 50.-Nouvelles Obligations, 1120.5 p. 100 belge, 98 718. - Emprunt romain, 78 114.

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Paris, imp, BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2.

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SAMEDI 6 AVRIL 1850.

(Nos 5009.)

L'AMI DE LA RELIGION.

Du fatalisme chez les chrétiens.

Ces jours passés, un honnête homme, un citoyen paisible, modéré s'il en fut jamais, se préparait à quitter sa boutique pour déposer dans l'urne du scrutin la liste de l'Union électorale, quand il s'arrêta quelques instants pour lire un article d'un journal honnête, modéré, vertueux, chrétien même. Le journal lui démontrait que la société était perdue, irrémissiblement perdue, que les plus forts, les plus courageux n'y pourraient rien. « Bah! dit-il, la société est perduc. Et moi qui me dérangeais pour la sauver! Puisqu'il n'y a rien à faire, • ne faisons rien. Je laisse la société se perdre, puisqu'elle y est absolument décidée, et je retourne à ma boutique. »

Ce raisonnement ne finira-t-il pas par devenir le nôtre, et ne faitil pas déjà, dans une certaine mesure, le compte de notre somnolence et de notre paresse? On a tant dit et dit avec tant d'éloquence, et dit avec des variations si admirables et si constantes, que le monde marche à sa ruine; que la société est en voie de perdition absolue, nécessaire, inévitable; que les barbares sont là; que le socialisme grandit comme le soleil levant; qu'il faudrait être Josué pour arrêter sa marche, ou plutôt que Josué lui-même ne l'arrêterait pas; on nous a tant dit et si bien dit cela, que nous avons fini par le trouver assez commode. Il est toujours si commode de se croiser les bras! Ne sommes-nous pas comme un homme qui chemine pendant la nuit, à cheval, à travers les précipices, que le sommeil engourdit, malgré lui, et qui se dit, tout en se laissant tomber assoupi sur le cou de sa monture : « Après tout. la nuit est noire; je n'y vois «rien; je n'y peux rien. Ma vie dépend du pied de mon cheval. Dor

« mons. »

Malheureusement pour nous, le cheval que nous montons n'a pas le pied sûr, et heureusement aussi, malgré les raisonnements de notre désespoir et de notre paresse, la nuit n'est pas si noire, que nous n'ayons à nous remettre en selle, à tenir les rênes, et que nous ne puissions éviter un faux pas. Nous ne sommes ni des malades aussi désespérés que nous voulons le croire, ni des médecins aussi déchargés de tout effort que nous prétendons l'être.

Il y a dans ce langage, devenu aujourd'hui presque banal, un certain fatalisme pratique qui est entré plus profondément et plus anciennement que nous ne croyons dans nos habitudes. L'esprit philosophique et politique du dix-huitième siècle avait exagéré à l'excès, sinon dans la théorie, du moins dans l'appliL'Ami de la Religion. Tome CXLVII.

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cation, le libre arbitre de l'homme. Lisez tous les publicistes, tous les historiens, tous les politiques, tous les législateurs, tous les constituants de cette école. Il vous semblera que l'homme peut tout, que sa volonté gouverne à elle seule les événements de l'histoire, forme les peuples, façonne les institutions, police, civilise, régente le présent et l'avenir à son gré, sur les seuls rêves de son imagination, ou sur les seules spéculations de son intelligence. Nul ne s'avise de soupçonner que le bon Dieu puisse avoir dans la vie des peuples, dans leurs destinées, leur formation, leur constitution, leur ordre intérieur, une part quelconque d'influence. La Providence est tout à fait supprimée. Les peuples n'ont qu'à vouloir, ils se font ce qu'ils veulent. C'est à partir de cette époque, que, par un des nombreux solécismes que la corruption des idées a introduits dans notre langue, on a appliqué aux œuvres de l'homme le mot créer, qui ne devrait s'appliquer qu'aux œuvres de Dieu. L'Assemblée Constituante. ce suprême écho de toutes les erreurs et de toutes les outrecuidances du dix-huitième siècle, n'est pas partie d'un autre principe elle aussi a voulu créer; elle a voulu faire un monde, et le faire de rien ; car elle prétendait le faire sortir du néant de ses propres idées. Elle a voulu une société tout autre que celles qui vivaient sur la face du globe, et elle a cru l'avoir faite.

La Providence a répondu par une grande leçon à l'insulte du dixhuitième siècle. Dieu est descendu cette fois encore pour voir cette tour que les hommes édifiaient à leur propre gloire, et il a de nouveau mêlé leurs langues, et l'œuvre inachevée s'est encore appelée Babel, c'est-à-dire confusion.

Les faits eux-mêmes de la Révolution ont été une éclatante réponse à cette prétendue toute-puissance de l'homme sur les institutions et sur les événements. Jamais aussi l'impuissance de la volonté humaine ne se révéla d'une manière aussi manifeste. Jamais œuvre commencée avec d'aussi brillantes espérances n'aboutit à de telles amertumes; jamais rêves ne furent ainsi déçus, calculs ainsi déjoués, lois humaines ainsi anéanties, proclamations solennelles ainsi tournées en risée. Cette félicité universelle vers laquelle on avait cru marcher, de chute en chute, de malheur en malheur, de crime en crime, de fatalité en fatalité, se trouva n'être que la plus abominable catastrophe dont les annales humaines aient conservé le souvenir. Tout le monde, l'un plus tôt, l'autre plus tard, vit le fleuve dévier de son cours, chercha à l'arrêter, s'y épuisa en vain, fut entraîné, et s'y noya. Les plus habiles, les plus sages, les plus éloquents, les plus courageux s'y perdirent. A cette triste époque, tout sembla devoir tourner à mal pour cette nation condamnée. Il n'y eut pas un répit, pas un temps d'arrêt, pas une entreprise honnête qui n'avortât, pas une légitime espérance qui ne fût déçue, pas une réputation d'homme qui tint parole, pas un succès, même momentané, pour le bien. A cette heure-là il semblait presque qu'il fût permis à l'homme

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de dire qu'il était fatalement et irrévocablement condamné, et que nulle puissance n'était faite pour lutter contre la destinée.

Faut-il s'étonner que cette terrible épreuve ait fait pencher nos esprits dans un sens opposé à leur pente première, et que nous soyons devenus dans nos jugements sur les institutions et sur l'histoire, aussi fatalistes que nous étions éloignés de l'être? Nous avions tout accordé à la puissance de l'homme : nous ne lui avons plus rien accordé. C'est au nom du fatalisme, il ne faut jamais l'oublier, que nous sont venus les apologies, les panégyriques, les apothéoses de 1793. On a trouvé légitime tout ce qui s'était fait pour satisfaire au destin. On a trouvé impie tout ce qui s'était fait pour le combattre. C'est encore dans le fatalisme, que le 1793 futur prépare son apologie. Vous ne laissez pas que de rencontrer des révolutionnaires béuins qui vous disent, comme il arrivait parfois à Robespierre et à Saint-Just: Il y aura des malheurs affreux, des crimes, des catastrophes épouvantables; mon cœur en frémit; mes yeux s'en remplissent de larmes. Mais que voulez-vous? il le faut! Cela est nécessaire pour que le grand œuvre s'accomplisse. L'homme n'y peut rien. Dieu le veut. » Et leur conscience tranquillisée par ces larmes qu'ils ont données aux victimes futures, ils se remettent à pousser à la roue du char révolutionnaire. Ils nous chassent de toute leur force vers cet avenir qui leur paraît si affreux. Ils s'apprêtent douloureusement à faire sur l'autel de la patrie, comme leurs pères en 1793, le sacrifice de leurs larmes, de leur sensibilité, de leur réputalion, de leur conscience, de leur humanité, de leur cœur.

Ce fatalisme révolutionnaire n'est pas le seul qui ait ainsi faussé, en l'exagérant, la grande leçon de 1793. Les ennemis de la révolution, comme ses panégyristes, sont tombés dans cette erreur, toujours difficilement évitable après les grandes catastrophes. On disait dans un camp que la révolution avait dû fatalement s'accomplir pour le bonheur du genre humain. On a dit dans l'autre que la révolution avait dû fatalement se faire pour le châtiment du genre humain. Je rencontre ici le nom d'un homme d'un génie incontestablement supérieur, mais dont notre admiration, à nous catholiques, a voulu faire, je dirai volontiers comme l'Evangile, « un prophète et plus qu'un prophète. » M. de Maistre est le père de l'Eglise des temps modernes; chacune de ses paroles est un oracle, et le saint respect dans lequel nous avons été élevés pour son génie, nous interdit toute réflexion lorsqu'une fois il a parlé. S'attaquer à lui est une bien grande hardiesse. Elle n'est permise qu'à ceux qui, comme moi, dans le cercle étroit où ils vivent et dans une obscurité qu'ils bénissent, ont pris la mauvaise habitude de la franchise.

M. de Maistre me paraît un des premiers coupables de ce fatalisme pratique qui règne aujourd'hui parmi nous. Lisez tout ce qu'il a écrit sur l'histoire et sur les institutions humaines. Que ressort-il de ces pages magnifiques, si ce n'est l'impuissance absolue de l'homme à

fonder quoi que ce soit? L'homme ne peut rien sur le sort de l'humanité; la nation ne peut rien pour l'avenir de la nation. L'homme n'établit rien, l'homme n'institue rien; l'homme (M. de Maistre le dit même quelque part), l'homme ne nomme même pas il n'a pas donné un seul nom. On sent là l'excès qui, presque toujours, répond à l'excès. On reconnaît l'avocat de la Providence qui, en face des outrecuidances de l'homme qui a cru pouvoir tout effacer, tout refaire, tout reconstituer, et, comme il a osé le dire, tout créer,-l'écrase par la démonstration de son impuissance, l'humilie jusqu'à terre et lui inflige la conviction de son néant. Non-seulement l'homme n'est qu'un instrument de la Providence, mais c'est un instrument toujours aveugle qui ne sait jamais ce qu'il fait, qui n'accomplit jamais ce qu'il veut, qui ne veut jamais ce que Dieu veut.

Mais, avec cette impuissance complète de la volonté humaine, n'arrivons-nous pas tout de suite au fatalisme pratique, à l'oisiveté mahométane? Quand M. de Maistre nous dit que « rien ne réussit à qui s'oppose à une révolution une fois décrétée, et que tout réussit à qui veut la faire, » un Turc aurait-il mieux dit? Si en définitive nous ne pouvons jamais ce que nous voulons, à quoi bon, dans l'ordre politique et social du moins, l'effort, la peine, le labeur? Que reste-t-il à faire sinon, tout au plus, de voir dans la pente naturelle des événements le signe de la volonté de Dieu, et de pousser dans le sens de cette pente, de pousser le genre humain dans la voie où il marche, quelque mauvaise qu'elle apparaisse à notre faible intelligence; de pousser l'arbre du côté où il penche, si déplorable que sa chute puisse nous paraître, de chercher la voix de Dieu dans la voix du peuple, et de crier avec le peuple? Les Montagnards ne font pas autre chose, et, l'impuissance absolue de l'homme une fois démontrée, c'est là ce qu'il a de mieux à faire, s'il veut avoir quelque chance d'aider à la volonté de Dieu.

Oui, sans doute, l'homme est bien souvent un instrument aveugle, une force dont la Providence se joue et qu'elle fait travailler en un sens lorsqu'il croit travailler en l'autre. Mais, ériger en dogme cette vérité de fait, transformer en impuissance absolue cette fréquente débilité de nos efforts, c'est éteindre dans la vie des nations tout labeur, tout effort, tout bon vouloir. Loin que l'homme soit sans aucune puissance sur les événements, loin qu'en fait de politique et d'institution il ne sache jamais ce qu'il fait et ne fasse jamais ce qu'il veut, il est clair, au contraire, en lisant l'histoire et en la lisant chrétiennement, que la part de l'homme et de certains hommes sur les événements a été souvent considérable, et que la Providence, qui gouverne le monde et le conduit en définitive selon ses vues, laisse néanmoins une latitude immense à notre libre arbitre. Qu'il ait dépendu de tels ou tels de faire un grand bien ou un grand mal à l'humanité; que Constantin, Charlemagne, saint Louis, Napoléon, aient tenu dans leurs mains quelques-uns des fils les plus puissants qui

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