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deux seuls lieux de la terre qui lui présentassent quelque intérêt ef qu'il eût aimé à visiter. « Volontiers, ajoutait-il en souriant, je m'acheminerais vers ces contrées, à pied, un bâton d'une main, un chapelet de l'autre, comme les pèlerins du moyen âge ! »

L'occasion s'offrit naturellement d'accomplir une partie de l'un de ces pieux désirs.

Au sortir de Lyon, M. de Courson prit le chemin de l'Italie, passant par Avignon, Aix et Marseille, et il se rendit directement à Rome, où Mgr de Hercé, Evêque de Nantes, l'avait chargé de présenter au Souverain-Pontife l'état de son diocèse. Le pape Grégoire XVI reçut M. de Courson plusieurs fois en audience, et il lui fit don d'un crucifix qu'il a conservé avec un pieux respect jusqu'à la fin de sa vie. Plusieurs cardinaux l'accueillirent avec la plus grande bienveillance.

Mgr Garibaldi, qui l'avait en grande estime, voulut bien le conduire lui-même dans la visite qu'il désirait faire des communautés religieuses. Son but, dans ces visites comme dans toutes ses excursions en Italie, était de s'instruire et de nourrir sa piété. Son attachement profond pour les ordres religieux, le désir de recueillir toutes les observations dont il pourrait tirer parti en France lorsqu'il serait consulté au sujet des congrégations religieuses, ces auxiliaires si précieux pour l'Eglise, tout cela le portait à faire de ces institutions une étude approfondie et toute spéciale. Il ne s'appliquait pas avec noins d'ardeur à connaître tout ce qui avait rapport au clergé sécu lier dont il avait tant à s'occuper en France.

Toutes les personnes qui ont eu occasion de s'entretenir avec M. de Courson, depuis son retour d'Italie, sur les affaires de ce pays, l'état général du clergé, les observances monastiques, la situation des esprits et les événements qui se préparaient, ont été surprises que,

peu de temps et au milieu de toutes les distractions inséparables d'un tel voyage, M. de Courson ait pu si bien observer les choses et connaître si bien le caractère des hommes les plus marquants. A l'entendre parler des affaires de Rome, des membres du sacréCollége, des tendances politiques de certains personnages, on aurait cru qu'il les avait longtemps fréquentés.

Après quelques mois passés en Italie et consacrés à de pieux pèlerinages, M. de Courson revint en France. Ses bons amis de Nantes le rappelaient avec toutes sortes d'instances plus pressantes les unes que les autres; mais les médecins qu'il consulta à Paris l'engagèrent à entreprendre un autre voyage en Allemagne. A son retour, M. le supérieur de Saint-Sulpice le chargea de diriger le séminaire d'Issy. On pensa que la direction de cet établissement, qui rappelait à M. de Courson de si doux souvenirs de jeunesse, et qui n'exigeait pas des occupations trop fatigantes, lui conviendrait parfaitement. On ne se trompa pas sa santé s'y remit parfaitement. La Providence prépa

rait ainsi cet homme si dévoué et si humble au gouvernement de la Compagnie de Saint-Sulpice.

III.

Le vénérable et docte abbé Garnier venait de mourir. Les assistants durent se réunir pour procéder à l'élection d'un nouveau supérieur, conformément aux constitutions de la Compagnie. La haute capacité de M. de Courson, ses vertus éprouvées, son expérience du monde, des affaires, de l'administration ecclésiastique, ses relations avec les plus illustres personnages de l'Eglise, étaient autant de titres qui le désignaient au choix du conseil. C'était, en effet, sur l'humble supérieur d'Issy que tous les suffrages devaient se porter. Mais lui, ne soupçonnait pas que personne pût songer à lui, tant son mérite était caché à ses propres yeux. Aussi l'un de ses amis, avec lequel il avait les rapports les plus intimes, lui ayant dit, sur le ton de la plaisanterie, qu'on pourrait bien le nommer supérieur-général, il jeta sur lui un regard d'étonnement, et lui dit : « Etes-vous devenu fou? » Cependant, dès le lendemain du jour où les assistants s'étaient réunis, le choix avait été fait, et ce choix ne put demeurer longtemps secret.

Les jeunes séminaristes, en examinant la physionomie des membres du conseil, à leur sortie du lieu de l'assemblée, devinèrent sur qui leur choix s'était porté. Ils observèrent, en effet, que tous avaient l'air calme, tandis que le seul M. de Courson paraissait triste et comme abattu: ils ne doutèrent pas qu'il ne fût leur supérieur.

Il est impossible de dépeindre la profonde tristesse de M. de Courson lorsqu'il apprit qu'entre ses mains était remise la direction du séminaire et de la Compagnie de Saint-Sulpice. Plus ses confrères, les plus anciens comme les plus jeunes, s'empressaient de lui témoigner leur satisfaction, lui promettant de faire tous leurs efforts pour alléger, par leur obéissance et par leur concours, le fardeau de la supériorité, et plus M. de Courson, qui s'estimait tout à la fois incapable et indigne, se désolait de son élévation. On le vit alors éprouver un tremblement dans tous ses membres, et quand il voulut parler, ses sanglots éclatèrent.

Ce sentiment de son insuffisance n'a jamais abandonné M. de Courson. Jamais il n'a pu s'expliquer à lui-même comment MM. de SaintSulpice avaient pu, sérieusement, faire choix de lui pour supérieur, tandis que d'autres, suivant lui, avaient tant de titres, qui lui manquaient, pour remplir une telle charge. Dans les derniers jours de sa vie, il disait encore à un ecclésiastique qui était venu le voir et · dont nous tenons ce trait : « Mon cher ami, depuis que je sais que ma maladie est mortelle, j'en ai remercié Dieu pour le séminaire et pour la Compagnie: on sera du moins délivré des embarras que je lui donne. » Et cet ecclésiastique, qui le connaissait d'ailleurs beaucoup, lui témoignant quelque surprise de l'entendre ainsi parler, il ajouta

avec simplicité : « Depuis ma nomination, mon opinion n'a pas changé sur ce sujet. >>

M. de Courson portait en toutes choses cette extrême humilité; elle se manifestait dans son extérieur, dans ses manières, dans son langage. Un jour, qu'une personne de Nantes lui parlait de l'intérêt que tout le monde lui portait dans cette ville, de l'affection profonde que ses anciens élèves lui avaient conservée, il répondit : « Jusqu'à quand ces pauvres Nantais s'abuseront-ils sur mon compte? »

Le nouveau supérieur de Saint-Sulpice ne tarda pas à faire voir, toutefois, que l'humilité la plus profonde se peut parfaitement allier à l'énergie de l'âme, et qu'elle n'est, sous l'action de Dieu, qu'un moyen plus puissant de faire le bien et de remplir, avec un entier dévouement, les obligations qu'impose la Providence. Aussitôt qu'il se vit chargé du gouvernement de la Compagnie, M. de Courson se dévoua sans réserve à sa mission. Depuis longtemps, Dieu l'avait préparé à cette vie de sacrifice. Pendant qu'il était au séminaire de Nantes, il lui arriva, pendant tout un carême, de méditer sur ces simples paroles de l'Evangile : Ligaverunt Jesum, dont il se fit l'application: ils ont attaché mon maître, et moi aussi je suis serré dans des liens; mais je les supporterai par amour!

Profondément convaincu qu'une communauté ne peut faire convenablement l'œuvre pour laquelle Dieu l'a suscitée, qu'autant qu'elle se conserve dans l'esprit qu'il a mis en elle, le premier soin de M. de Courson fut de prendre constamment pour règle les maximes et les traditions que Saint-Sulpice a reçues de tant d'hommes vénérables du temps passé. « Demeurons ce que nous sommes, » répétait-il souvent, car il ne pensait pas qu'il dût se faire dans la Compagnie d'autres changements que les modifications accidentelles qu'amène la suite des âges, et qui sont dans l'ordre de la Providence.

Pour conserver ces précieuses traditions,, pour opérer tout le bien qu'il avait conçu, M. de Courson mit en œuvre divers moyens : la visite des séminaires, la correspondance avec les directeurs de ces établissements, et le bon gouvernement du grand séminaire de Paris.

Chaque année, le supérieur-général de Saint-Sulpice consacrait plusieurs mois à la visite des séminaires. Il s'informait avec le plus grand soin, auprès du supérieur local et des directeurs, de l'état de ces établissements, de l'observation des règlements. Il tenait à ce que, dans les classes de théologie, on ne s'écartât pas de l'ordre, des méthodes approuvées; il voulait qu'on y parlât latin. Ce dernier point, et personne n'en sera surpris assurément, lui semblait de la plus haute importance.

Pendant toute la durée de sa visite dans un séminaire, M. de Courson suivait régulièrement les exercices de la communauté. Il assistait aux récréations et aimait à se mêler aux séminaristes. Les direc

leurs étaient spécialement l'objet de ses soins. Rien de ce qui les concernait ne lui était étranger; il entrait volontiers dans le détail de leurs affaires et compatissait à toutes leurs peines de famille. Nous avons entendu dire, qu'un jeune directeur lui témoignant sa surprise et sa reconnaissance de ce que, au milieu de tant d'occupations qui se multipliaient incessamment, il eût la bonté de s'occuper encore des affaires privées d'autrui : « Eh! mon ami, répondit M. de Courson, laissez-moi compatir aux peines de mes confrères; c'est la seule chose que je sache faire ! » Le caractère du saint prêtre ne se peint-il pas au vif dans ces paroles si pleines de tendresse et d'humilité?

La direction que M. de Courson donnait aux jeunes gens était on ne peut plus simple: il conduisait chacun d'eux d'après la connaissance qu'il avait de son caractère et de sa vocation. Quand il parlait à tous, l'objet le plus ordinaire de ses avis était la simplicité, l'éloignement des maximes et des habitudes du monde, l'amour du travail et de la prière, le dévouement à l'Eglise et l'esprit de religion. Sa parole n'était ni facile ni éloquente; elle se ressentait de l'extrême simplicité de son caractère; mais quand il était ému, quand il senfait le besoin d'inculquer fortement quelque chose dans l'esprit de ses auditeurs, son langage s'élevait et il remuait profondément les

âmes.

Nous avons résumé les traits principaux de la vie si sainte et si bien remplie de M. de Courson. Nous dirons, maintenant, avec l'un de ceux qui l'ont mieux connu, « qu'il est bien rare de trouver dans « le même homme tant de qualités réunies pour faire un bon supé« rieur, tant de simplicité dans les manières, tant d'élévation et de « délicatesse dans les sentiments, tant de justesse et de pénétration « dans le coup d'œil, tant de dévouement pour l'Eglise, tant d'é«nergie pour suivre un dessein, tant de douceur et de bonté pour a tous ceux qui l'approchaient. »>

Jamais esprit ne fut moins exclusif que celui de M. de Courson. Quoique ce digne supérieur consacrât son zèle et sa vie tout entière à l'œuvre si importante dont il était chargé, il s'intéressait on ne peut plus vivement à tous ceux qui, dans la sainte Eglise, pouvaient contribuer à la gloire de Dieu. De là, l'estime singulière qu'il professait pour les ordres religieux et pour les communautés. Il en parlait sans cesse, il ne négligeait aucune occasion de leur être utile; il n'était jamais plus heureux que lorsqu'il pouvait, par ses conseils, ou autrement, leur rendre quelque service. Il était associé de prières avec plusieurs couvents, entre autres avec celui des Trappistes de la Meilleraye, et il témoignait, en toute circonstance, un attachement spécial pour la Compagnie de Jésus, qu'il vénérait comme une Société de vrais serviteurs de Dieu. L'an passé, il accueillit avec joie les RR. PP. Capucins qui venaient le consulter sur le projet qu'ils avaient conçu de fonder un établissement à Paris. Il approuva forte

ment cette idée et les encouragea à la mettre à exécution, en leur indiquant le moyen qui, suivant lui, devait contribuer le plus efficacement à les rendre populaires. Ce moyen, c'était de s'établir dans un faubourg, auprès d'un cimetière, avec une chapelle ouverte au public. Cette idée parut d'abord extraordinaire, bizarre même à ces bons religieux. Mais, lorsque M. de Courson leur eut fait observer que le peuple de Paris avait conservé pour les morts un respect qu'il fallait cultiver, et dont on pouvait tirer un parti avantageux pour le ramener à des idées de foi, à des pratiques pieuses, les bons Pères prêtèrent aux idées du vénérable supérieur l'attention la plus sérieuse.

« Le peuple de Paris, disait M. de Courson, ne voit qu'avec peine « les morts portés au cimetière sans qu'il y ait un prêtre qui vienne « bénir leur tombe et faire sur elle les dernières prières (1). Eh bien! « que l'un de vous soit toujours prêt à prendre une étole, à se mêler « au convoi du pauvre, à l'accompagner dans le cimetière. Là il « dira les prières d'usage. Ce sera une consolation pour les familles « de ces pauvres gens. Par là, vous commencerez à réaliser un bien « réel, vous vous ferez connaître à la population des faubourgs, et, dans peu de temps, votre ministère fera germer, dans cette popualation, des fruits de salut. »>

Les Pères Capucins, profondément touchés des bontés de M. de Courson, se retirèrent pleins de confiance dans ce qu'ils venaient d'entendre; ils soumirent l'idée de M. de Courson à Mgr l'Archevêque de Paris, qui l'approuva tout aussitôt. Lorsque tout fut arrêté, les bons religieux retournèrent auprès de M. de Courson pour le remercier de ses excellents conseils, et lui apprendre qu'ils allaient immédiatement prendre des mesures pour s'établir auprès du cimetière du Mont-Parnasse. Mais ils trouvèrent le vénérable supérieur étendu sur son lit de douleur, c'était la veille de sa mort, et ils ne purent que lui demander sa bénédiction, qu'il leur donna dans toute la tendresse et l'effusion de son cœur.

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AURÉLIEN DE COURSON. (La suite au prochain numéro.)

Le Moniteur publie le rapport et le décret suivants :

RAPPORT

A M. LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE.

Monsieur le Président,

Par un décret du 11 mai 1807, les bâtiments de l'ancien collége d'Ancenis,

(1) La trop juste réflexion de M. de Courson n'exprime pas un blâme, mais un regret. Il savait quelle est la position du clergé de Paris. Surchargés d'occupations dans d'immenses paroisses, les prêtres en se sacrifiant tout entiers à leur sainte mission ont peine à faire face aux nécessités les plus urgentes. Les catéchismes, les confessions, la visite des malades, les cérémonies de l'église, l'administration des sacrements, l'accomplissement des devoirs personnels au prêtre, en voilà assez pour absorber tous les instants, et on en est réduit dans les paroisses à ne remplir le pieux ministère dont parle M. de Courson, que quand les familles en font la demande expresse.

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