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il y revint, l'année suivante, avec le consentement de son père, pour commencer son cours de théologie,

Exact à ses devoirs, travaillant avec conscience et solidité, accomplissant avec la régularité la plus parfaite tous les points de la règle commune, l'abbé de Courson pouvait être cité comme le modèle des bons et pieux séminaristes. Mais sa modestie était si grande et son humilité si profonde, qu'il réussit à jeter comme un voile sur ses qualités les plus précieuses, et qu'il passa inaperçu, pour ainsi dire, de la plupart de ses confrères qui ne purent remarquer ni ses talents ni même son admirable piété. Un petit nombre de séminaristes, qui eurent occasion de le voir de plus près, devinèrent seuls, sous cet extérieur si simple, un riche fonds de vertus et de grandes espérances pour l'avenir. M. l'abbé Jacquemet, aujourd'hui Evêque de Nantes, faisait partie de ces derniers, et il conçut dès cette époque, pour M. de Courson, une estime et une affection qu'il a su exprimer naguère d'une manière bien touchante, dans une lettre adressée au clergé de son diocèse.

A mesure que M. de Courson voyait approcher le terme de ses premières études ecclésiastiques, il s'appliquait de plus en plus sérieusement à connaître la manière dont Dieu voulait qu'il le servit dans l'Eglise. Il consulta son attrait, il eut recours à la prière, il prit conseil des guides les plus éclairés, et, après un mûr examen, il arriva à la conviction que nulle situation ne lui pourrait mieux convenir que celle de directeur de séminaire. Il s'en ouvrit donc à M. Duclaux qui lui permit d'entrer à la solitude.

Cependant, Mgr de Guérines, Evêque de Nantes, à qui M. de Courson avait dû faire part de ses desseins pour obtenir la permission de les réaliser, Mgr de Guérines pensa qu'une décision aussi grave exigeait de longues réflexions, et il exprima à M. de Courson le désir qu'il vint attendre, dans le diocèse de Nantes, que Dicu lui manifestât plus clairement sa volonté.

M. de Courson, l'un des hommes de ce temps-ci, assurément, qui aient le mieux compris et pratiqué la vertu d'obéissance, n'hésita pas un instant à se conformer à la volonté de son Evêque. Il quitta sa chère solitude d'Issy, et se rendit à Nantes où le prélat l'accueillit avec une affection paternelle. Nommé grand-vicaire, M. de Courson fut associé par Mgr de Guérines à l'administration de son diocèse. Il assistait à tous les conseils de l'Evêque, le suivait dans ses visites pastorales, et avait mission, la plupart du temps, de traiter les affaires les plus délicates. Mgr de Guérines ne négligeait aucune occasion de former son jeune grand-vicaire qu'il croyait destiné à rendre un jour de grands services à l'Eglise.

La confiance qu'avait Mgr l'Evêque de Nantes en M. de Courson était telle, qu'il n'hésita pas à lui confier la direction générale des petits séminaires et autres établissements ecclésiastiques du diocèse: Aucun ministère ne pouvait mieux convenir à ses goûts et à l'attrait

qui le portait à s'occuper des jeunes gens destinés à la vie cléricale. Aussi, se dévoua-t-il à cette œuvre avec une ardeur et un zèle admirables, et qui furent couronnés d'un succès éclatant. L'autorité que M. de Courson avait exercée, enfant, sur ses condiciples du petit séminaire de Nantes, il l'exerça bientôt sur les supérieurs et professeurs des établissements ecclésiastiques du diocèse. Il était leur ami, leur confident, leur conseil. Rien ne se pouvait faire qu'il n'eût donné préalablement son avis. C'est ainsi que se préparait l'influence que M. de Courson devait un jour exercer sur le clergé.

Cependant, ni les affaires nombreuses dont il était surchargé, ni même le succès que Dieu accordait à toutes ses œuvres, ne lui faisaient oublier Saint-Sulpice. De temps en temps il renouvelait ses instances à Mgr de Guérines, qui consentit enfin à ce qu'il entrât dans la Compagnie, mais à une condition toutefois, c'est qu'il demeurerait à Nantes et ne se séparerait point de lui.

M. de Courson vint alors habiter le grand séminaire de Nantes, et il se démit, aussitôt qu'il lui fut possible, de ses fonctions de grandvicaire pour s'occuper exclusivement de la direction des jeunes gens et des ecclésiastiques qui s'adressaient à lui. Il fut chargé de faire les diaconales et reçut enfin la direction spéciale des études de philosophie. Les jeunes gens qui suivaient ce cours habitaient alors le grand séminaire. Mgr de Guérines ayant trouvé quelque inconvénient à laisser ces élèves avec ceux qui étudiaient la théologie, la fondation d'un établissement spécial fut décidée, et M. de Courson fut naturellement désigné pour en être le supérieur.

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Tout en séparant les philosophes des théologiens, le nouveau supérieur voulut que le régime du nouvel établissement se rapprochât de celui des grands séminaires. Tous les jeunes gens admis dans la maison des philosophes, devaient être indistinctement soumis aux mêmes règlements. Mais la sagesse du supérieur sut toujours discerner ce qui convenait aux jeunes gens destinés à vivre dans le monde ou à ceux qui avaient une vocation ecclésiastique. Il ne les dirigeait pas tous dans la même voic. Pour les premiers, il avait beaucoup plus de condescendance; avec les autres il usait d'une plus grande fermetê, sans toutefois laisser entrevoir cette différence, ce qui aurait pu nuire au bien commun.

Grâce à ce mélange de douceur et de fermeté, dont M. de Courson savait tirer un merveilleux parti, les élèves laïques se formaient au respect et à l'amour de la vie chrétienne, dans laquelle la plupart d'entre eux ont heureusement persévéré, et les élèves ecclésiastiques, en sortant de la maison de philosophie, se trouvaient tout préparés à la direction du grand séminaire.

Il ne nous appartient pas, et ce n'est pas ici le lieu d'examiner la valeur de cette méthode; mais, ce qui est certain, c'est qu'il a fallu que M. de Courson fût doué d'une sagesse, d'une douceur et d'un tact bien admirables, pour que de tous ces jeunes gens placés sous

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sa direction, pas un seul n'ait cessé de le vénérer et de l'aimer comme un père. Les élèves du séminaire des philosophes, de Nantes, quelque carrière qu'ils aient embrassée, n'ont jamais cessé de considérer comme un père leur ancien supérieur. « Mes enfants, disait-il avec bonheur, me consultent bien souvent; ils ont oublié toutes mes sévérités à leur égard: ils ne se souviennent plus que de ma tendresse pour eux et de l'affection que je leur porterai jusqu'à mon dernier jour! »

Personne, nous disait naguère un vaillant officier que l'abbé de Courson appelait quelquefois « l'une de ses gloires, » personne ne possédait comme le supérieur du séminaire des philosophes de Nantes, le secret de tempérer l'expression d'une sévérité nécessaire par l'accent d'une affection toute paternelle.

Il attendait toujours le moment convenable pour adresser des avis ou des réprimandes, et il avait coutume de dire qu'il fallait écarter l'empressement même dans le bien. « Ah! s'écriait-il quelquefois, la sainte Vierge et la patience, que de choses cela arrange! »

Fort de cette confiance, aucun obstacle ne le déconcertait. « Si tel sujet, disait-il, ne fait pas tout ce que l'on pouvait attendre de lui, mettons-le du moins en état de faire le plus de bien possible. »

Les professeurs des maisons ecclesiastiques du diocèse de Nantes n'excitaient pas la sollicitude de M. de Courson à un moindre degré que leurs jeunes élèves. Il se multipliait pour leur venir en aide dans toutes les circonstances où ils faisaient appel à son concours. Un jour, un supérieur de l'un de ces établissements étant venu consulter M. de Courson sur une mesure dont plusieurs personnes s'étaient plaintes avec raison, cet ecclésiastique fut blâmé avec quelque sévérité par son excellent ami. Etonné de ce langage dans la bouche d'un homme d'une douceur si inaltérable, le supérieur se laissa aller à un léger mouvement de vivacité, et il demanda à M. de Courson s'il voudrait, lui, être traité de la sorte par son supérieur. A ces mots, M. de Courson se jeta aux pieds de son ami, et, les yeux remplis de larmes, il lui demanda humblement pardon, et le supplia d'oublier « une sévérité à laquelle il n'avait eu recours qu'en faisant violence à son cœur. » Ces paroles rappelèrent le supérieur à lui-même; il reconnut le double tort dont il s'était rendu coupable; il se promit de prendre toujours, avant d'agir, les conseils de M. de Courson, et plus tard il répétait sans cesse à ses confrères qu'il ne s'exposerait plus, à l'avenir, à se faire demander pardon par un ami si dévoué et par un père si tendre !

AURELIEN DE COURSON.

(La suite à un prochain numéro.)

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Paris, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2.

MARDI 7 MAI 1850.).

(N* 5040.)

L'AMI DE LA RELIGION.

Nécrologie.

NOTICE SUR LA VIE ET LA MORT DE M. LOUIS DE COURSON,
SUPÉRIEUR-GÉNÉRAL DE SAINT-SULPICE.

II.

Nous avons dit le but et l'esprit de la fondation du séminaire des philosophes, à Nantes. Les familles chrétiennes du département de la Loire-Inférieure et des départements voisins conserveront éternellement le souvenir des bontés et du dévouement admirable du supérieur de cette pieuse maison pour leurs enfants. Ceux-ci, de leur côté, se sont toujours montrés pour M. de Courson des fils pleins de tendresse et de reconnaissance. Prêtres et laïques se plaisent aujourd'hui à raconter les vertus et les travaux de l'homme que nous pleurons. Ces vertus si actives, ces travaux si persévérants étaient d'autant plus méritoires, qu'ils exigeaient de l'abbé de Courson une lutte perpétuelle contre sa nature douce, nonchalante, amie du repos et de la tranquillité. Le pieux supérieur disait lui-même que Dieu en le surchargeant de tant d'affaires, l'avait pris par son côté faible.

M. de Courson ne se contentait pas de consacrer son temps et ses soins les plus assidus à l'œuvre des écoles cléricales. Il leur consacrait, en outre, la plus grande partie de sa fortune, employant ses revenus à payer les pensions des enfants pauvres ou à pourvoir aux dépenses d'entretien et de réparations des maisons affectées à ces écoles. Ce qui lui restait était employé à d'autres bonnes œuvres. Pour y subvenir autant qu'il lui était possible, M. de Courson s'était réduit, lui, à la plus sévère économie. C'était tout à la fois, chez lui, charité, zèle pour le bien de l'Eglise, amour pour la pauvreté. Le vénérable supérieur portait toujours les habits les plus simples. Il fallait lui soustraire les vieux objets à son usage pour qu'il se décidât à en prendre de neufs. Il se refusait même les choses les plus indispensables. Ainsi, pendant tout le temps qu'il a passé à Nantes, il s'est privé de montre, parce que l'argent qu'il y aurait employé pouvait servir à payer la pension d'un séminariste pendant une grande partie de l'année. On raconte qu'ayant été forcé, une fois, de faire quelques réparations dans l'une de ses terres, il se décida, entre deux plans qui lui avaient été soumis, pour celui qui devait entraîner la dépense la plus considérable. Quoique cette dépense fût nécessaire et nullement exagérée, la seule pensée d'avoir pu sacrifier à une L'Ami de la Religion. Tome CXLVII. 34

alfaire de goût une somme qui aurait pu être employée au soulagement des pauvres, cette pensée inspira de si vifs regrets à M. de Courson, qu'il ne pouvait plus visiter sa terre ni entendre parler des réparations qu'on y faisait, sans gémir amèrement et sans concevoir des craintes sur le compte qu'il serait obligé de rendre à Dieu.

Que de traits nous pourrions citer de cet amour de la pauvreté, de cette tendre et inépuisable charité pour les pauvres ! Ces dispositions se manifestaient dans les moindres circonstances. Un jour, par exemple, qu'on voulait mettre une croix d'argent à son chapelet, pour remplacer celle qu'il avait perdue, il s'y opposa avec vivacité, et rien ne put vaincre sa répugnance.

Mon enfant, disait-il à l'un de ses jeunes amis, ma plus grande « consolation c'est de penser que ces sacrifices que je m'impose m'ob<< tiendront une douce mort: car j'ai toujours remarqué que les âmes a détachées des biens de la terre reçoivent une assistance spéciale de « Dieu à ce dernier moment. »>

Cependant, les travaux dont M. de Courson était comme accablé avaient fini par altérer gravement sa santé. Il fit, en 1814, une maladie qui donna les plus vives inquiétudes et qui le mit dans l'impossibilité absolue de continuer ses fonctions. Pendant quelque temps, le vénérable supérieur, atteint d'une névralgie chronique qui menaçait de se changer en une affection cérébrale des plus intenses, essaya de surmonter, par l'énergie de son âme, la maladie qui affaiblissait tous ses organes; mais les médecins déclarèrent que sa vic était en danger, et qu'il lui fallait faire trève à toute tension d'esprit et changer immédiatement de climat.

M. de Courson luttait encore. Il fallut l'intervention de l'Evêque et de ses supérieurs pour décider le pieux malade à quitter le poste où il voulait servir jusqu'à la fin. M. de Courson se rendit d'abord à Paris. Mais M. le supérieur de Saint-Sulpice, pensant avec raison que rien ne contribuerait plus que le changement d'air au rétablissement de celte santé si chère, voulut que M. de Courson entreprit quelques voyages. Il parcourut, en effet, plusieurs provinces de Erance. A Lyon, il espérait revoir l'un de ses enfants les plus tendrement aimés, M. l'abbé Arondineau, autrefois élève, puis professeur dans la maison des philosophes de Nantes, d'où il avait été envoyé comme professeur de dogme au séminaire de Lyon. Mais ce jeune directeur venait de mourir, et son père spirituel n'eut d'autre consolation que d'aller répandre sa douleur et prier sur la tombe qui renfermait les dépouilles mortelles du disciple enlevé, si jeune, à son affection. On enteadit alors M. de Courson répéter, avec un accent plein de foi et de soumission, ces paroles de Job: « Mon Dieu, vous me l'aviez donné, vous me l'avez ôlé; que votre saint nom soit béni ! » Souvent l'abbé de Courson, dans ses causeries familières, se plaisait à dire qu'après sa ville natale, Rome et Jérusalem étaient les

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