Page images
PDF
EPUB

quelques-unes de leurs résolutions, de prendre des positions équivoques et glissantes, d'où dérivent presque toujours de graves inconvénients et quelquefois de grands malheurs.

Quoique ce soit là, dans le gouvernement temporel des peuples, quelque chose de fort anormal, on peut dire au moins que ce sont toujours des idées humaines luttant contre d'autres idées également

humaines.

Mais supposons que cela se passe dans l'Eglise de Dieu; supposons que ceux qui en sont les princes, les chefs, les guides, les pères (1), au lieu de se déterminer uniquement selon leur conscience, avec le concours de leurs conseillers canoniques et sous l'inspiration du Saint-Esprit (2), aient devant eux, non plus seulement les puissances de la terre régulièrement constituées, mais cette autre puissance inquiète, parleuse, tracassière qu'on appelle le journalisme, dont le propre est de remuer les masses, de les jeter dans l'esprit de parti, de les tenir toujours en effervescence; et supposons qu'obligés, eux aussi pour éviter de plus grands maux, de compter avec cette puissance qui trouve son intérêt dans la guerre et qui ne relève de qui que ce soit, les Evêques accommodent leur gouvernement spirituel aux nécessités nouvelles qu'elle leur aura faites, n'estil pas vrai qu'il y aurait là l'introduction d'un élément tout profane dans le gouvernement de la société chrétienne? N'est-il pas vrai que ce serait comme la main d'un nouvel Oza portée sur l'arche sainte? Et surtout n'est-il pas vrai que si cette action du journalisme persévérait ainsi dans l'Eglise, si elle s'y étendait, si elle s'y fortifiait, si, comme il arriverait par la nature même des choses, elle poussait ses influences illégitimes jusque sur ce qu'il y a de purement spirituel, le ministère sacré des pasteurs en serait bientôt notablement affaibli, et la foi des peuples ébranlée ?

Car, remarquons bien que l'empire du journalisme religieux s'exerce, non sur les impies ou les indifférents, mais sur les vrais fidèles, et souvent sur les plus pieux; mais sur les prêtres, et souvent sur les plus zélés.

Cet empire, considéré dans sa source, est au fond très-naturel et même très-honorable. Il se fonde sur ce dévouement à la cause sacrée de la Religion, qui se trouve alors commune aux lecteurs et aux rédacteurs du journal. Comment s'étonnerait-on que des laïques pleins de cœur et quelquefois pleins de talents, qui se dévouent sans relâche à une cause que l'on vénère et que l'on aime par-dessus tout, inspirent des sympathies d'autant plus fortes qu'elles ont lenrs racines dans la conscience.

Aussi le journal devient alors comme un ami chrétien, comme un

(1) Qui Episcopus est, hic est minister verbi, scientiæ custos, mediator Dei et hominum... Pater vester... Hic est princeps et dux vester, hic vester rex et præfectus. (Constitut. Apostol. I, 11, 26.)

(2) Prout Spiritus Sanctus dabat eloqui illis. (Act. II, 4.)

[ocr errors]

conseiller nécessaire, et j'oserai presque dire comme un guide spirituel et cet ami, et ce conseiller, et ce guide, c'est tous les jours qu'il vient vous parler dans le silence et l'intimité. Et, par une des infirmités du cœur humain, on le croit d'autant plus qu'il est inconnu, on lui obéit d'autant mieux qu'il a moins d'autorité réelle.

Assurément, c'est là un bien quand le journal n'est que l'écho fidèle de l'Eglise; car il porte la vérité là où souvent la voix des pasteurs légitimes ne parviendrait pas, et il lui donne une sorte de sanction humaine très-efficace dans l'état actuel de nos mœurs, quoique de peu de valeur par elle-même.

Mais si, au contraire, le journal catholique, au lieu d'être le simple dépositaire des pensées de l'Eglise, s'exposait, en tranchant précipitamment des questions qu'elle n'a pas encore résolues, à devenir son contradicteur; s'il arrivait que les premiers pasteurs eussent à donner des décisions qui d'avance auraient été condamnées, ou à blâmer des opinions qui auraient été soutenues par ces feuilles auxquelles on emprunterait d'habitude ses convictions, ne s'ensuivrait-il pas que des âmes d'ailleurs très-sincèrement catholiques, et simples dans leur foi, seraient alors portées à la résistance, et que des prêtres, qui peut-être auraient pris parti pour l'opinion du journal au moment où viendrait une décision contraire, éprouveraient dans lenrs cœurs de ces combats terribles qui ont quelquefois été suivis de si lamentables chutes.

Quand on pense à cet esprit d'insubordination qui ne demande partout que des prétextes pour se produire; quand on se rappelle que les schismes qui ont déchiré l'Eglise ont eu souvent pour origine et pour soutien des influences spécieuses en elles-mêmes, mais qui avaient le tort d'être dépourvues de mission légitime (1), n'y a-t-il pas lieu de s'inquiéter à la vue des entraînements que le journalisme religieux pourrait opérer, précisément parmi les catholiques qui sont l'espoir des œuvres chrétiennes, et surtout parmi les prêtres, qui doivent en être les soutiens, s'il continuait à prendre dans l'Eglise cette attitude tranchante et ces manières de direction, qu'avec des intentions très pures sans doute, et par une erreur tout involontaire, il s'est permis depuis quelque temps.

Vous comprenez, Monsieur et digne ami, qu'en adressant par vous ces graves observations au journalisme catholique, que nous avons tant de fois encouragé l'un et l'autre, je ne retranche cependant rien de ce que j'accordais à l'action des laïques dans mes précédents écrits. Je demeure toujours convaincu que Dieu les appelle plus que

(1) C'est ce qui faisait dire à saint Cyprien : Schismata et hæreses inde adorta esse et oriri, dum Episcopus qui unus est, et Ecclesiæ præest, superba quorumdam præsumptione contemnitur. (Ep. 69.) Et le même docteur (lib. de Lapsis) ajoute : Inde per temporum et successionum vices, Episcoporum ordinatio et Ecclesiæ ratio decurrit, ut Ecclesia super Episcopos constituatur, et omnis actus Ecclesiæ per eosdem Episcopos gubernetur.

jamais à devenir dans sa maison, non plus seulement des enfants dociles, mais des ouvriers actifs et des soldats armés, précisément pour déjouer les manœuvres hypocrites de ce système impie que l'on a deguisé sous le nom d'Etat laïque, de pouvoir laïque, de société laïque ce qui, dans la pensée de ses auteurs, signifierait, Etat, pouvoir, société sans Religion.

:

C'est donc pour prouver au monde que le laïcisme et la Religion ne s'excluent en aucune manière, que Dieu a suscité de nos jours ces armées innombrables de pieux laïques, dont il a fait, dans presque toutes les contrées du monde catholique, et surtout en France, les propagateurs de la foi, les instruments de la charité et les auxiliaires du ministère apostolique.

Sous ce rapport, le journalisme catholique, en restant, comme nous l'en conjurons, en dehors d'un domaine qui ne saurait lui appartenir, et en se tenant sans contrainte sous la main paternelle de l'épiscopat, ne conserve-t-il pas encore une bien abondante moisson de bonnes œuvres et de mérites? Que d'erreurs incontestables à combattre! Que de tentatives manifestement coupables à repousser! Que de scandales à flétrir! Et aussi, grâces à Dieu, que de belles et saintes actions à proclamer! N'est-ce pas un honneur incomparable pour cette œuvre généralement toute laïque, d'être devenue comme un auxiliaire de cette prédication de la parole de vérité que les apôtres mettaient au-dessus de l'administration des sacrements (1), sans doute parce qu'elle avait été la mission spéciale du Fils de Dieu (2). Que d'hommes, en effet, qui ne viennent plus autour de nos chaires sacrées, et qui peuvent encore lire volontiers une feuille sérieuse et chrétienne!

Une autre considération bien encourageante pour les laïques qui travaillent aux œuvres de Dieu, ce sont les succès qu'ils ont déjà obtenus.

Pour ne parler que de ceux qui se rattachent au sujet qui nous occupe, veuillez vous rappeler combien, à l'époque où j'avais l'honneur de vous écrire ma première lettre, le nombre des défenseurs de la liberté d'enseignement était petit. Il faut bien l'avouer, la plupart de ceux qui se montrent si exigeants aujourd'hui, ou restaient muets alors, ou demandaient beaucoup moins que nous ne venons d'obtenir. Ce fut alors, néanmoins, que je me permis de vous faire espérer le succès de cette sainte cause, en vous représentant, ce que du reste vous saviez beaucoup mieux que moi, que des minorités persévérantes peuvent devenir des majorités victorieuses.

Maintenant, quelque opinion que l'on ait sur l'ensemble de la loi

(1) Non est æquum nos derelinquere verbum Dei et ministrare mensis; et ils choisirent parmi les disciples sept diacres, ajoutant: Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus. (Act., vI, 2, 3, 4.)

(2) Aperiens os suum docebut eos. (Matt., v, 2.) Evangelizare pauperibus misit me..... Prædicare, etc. (Luc., IV, 18.)

qui vient d'être votée, on ne peut nier qu'en effet, sur des questions véritablement inabordables en 1844, notre imperceptible minorité d'alors est devenue majorité imposante; et quelque part qu'aient eue à ce triomphe la fermeté constante et les réclamations unanimes de l'épiscopat, j'aime à reconnaître que le concours des laïques y a puissamment contribué. Quand même, comme on les en accuse, ils se fussent montrés trop faciles sur d'autres points, l'Eglise, qu'ils en 5 soient sûrs, les bénira toujours pour cette partie de la victoire.

Mais, il faut que je vous le dise en finissant, leur tâche n'est pas achevée. Après avoir vaincu par la parole, il leur faut vaincre par l'action. Ce qu'ils ont conquis en principe, il faut qu'ils le fassent passer dans le domaine des réalités. Les écoles catholiques, à tous les degrés, sont aujourd'hui un droit, il faut qu'incessamment partout aelles deviennent des faits.

Vous avez été, depuis six ans surtout, le centre de cette lutte glorieuse qui s'est livrée pour la liberté d'enseignement dans le parlement et dans la presse. Demeurez-en le centre, pour que, sans s'intimider des obstacles qui peuvent rester encore, on se hâte de recueillir et de féconder les fruits de cette conquête précieuse, quoique imparfaite; pour que partout des maisons catholiques d'éducation fasesent aux établissements d'instruction publique une concurrence qui jre force ces derniers à s'améliorer, sous peine de périr.

Que le journalisme religieux vous aide de son active propagande; qu'au lieu de rivalités blessantes et de récriminations stériles entre a ceux qui marchent sous le même drapeau, il flétrisse impitoyablesement les vices d'une éducation sans foi partout où ce malheur se

rencontre; et que partout aussi, ce même journalisme encourage le sabien, si faible, si petit, si imparfait même qu'il soit d'abord; qu'il y dait ainsi parmi tous les catholiques une émulation sincère, pacifique, charitable pour les choses de Dieu (1), et je suis convaincu qu'en secondant partout ce souffle de la grâce, qui se fait manifestement sentir sur notre pauvre société agonisante, nous verrons peu à peu slui revenir ce coeur nouveau et cet esprit nouveau, dont il est dit qu'il renouvelle la face des nations (2).

[ocr errors]
[ocr errors][ocr errors][merged small]

Veuillez, Monsieur et digne ami, agréer ce nouvel hommage de mes sentiments bien particuliers en N.-S.

+ P. L. Evêque de Langres.

L'admirable lettre qu'on vient de lire est un des plus hauts enseignements que puisse recevoir la presse catholique. Nous nous empressons d'offrir au courageux et vénérable Prélat qui l'a tracée, le tribut

(1) Sectamini charitatem, æmulamini spiritualia. (1 Cor., XIV, 1.)

(2) Et dabo vobis cor novum, et spiritum novum ponam in medio vestri. (Ezech., XXXVI, 26.) Emittes spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terræ. (Ps., CIII, 30.)

de nos plus respectueuses adhésions et de notre soumission la plus profonde.

Les doctrines que proclame sa haute autorité doivent être la loi de tous les écrivains qui tiennent à honneur de rester fidèles à leur titre de catholiques. Elles ont toujours été la règle de notre conduite et si par malheur et contre notre intention formelle, nous y avions manqué, pour peu que ce fût, nous en exprimerions publiquement ici notre douleur et nos regrets.

Personne, plus que nous, n'est convaincu de la nécessité d'apporter chaque jour davantage dans ce rôle si difficile de la publicité périodique, la gravité, le calme, la modération, le respect. Et certes, nous n'hésiterions pas même, si le recueillement, la méditation, l'esprit de paix et de charité nous semblaient le réclamer, à adopter pour notre œuvre les modifications de nature à la mettre plus en harmonie avec les devoirs étroits et sévères, dont Mgr l'Evêque de Langres définit si justement l'importance et la dignité.

Ce sera pour nous l'objet d'une réflexion approfondie, et, en attendant, nous sommes heureux de protester ici que nous adhérons du fond du cœur à toutes les prescriptions si sages, si justes, si paternelles du pieux et savant Prélat. Nous répétons, ainsi que nous n'avons cessé de le dire et de le pratiquer, que dans les affaires de l'Eglise, c'est au Souverain-Pontife, c'est à l'Episcopat qu'il appartient exclusivement, souverainement, de décider, de gouverner, de prendre l'initiative, de débattre et de résoudre; et qu'il n'est pas permis à des laïques, à de simples fidèles ou à dé simples prêtres de prévenir témérairement, d'engager sans mission ou de tenter de contraindre et d'entraver la liberté de nos pasteurs et de nos juges dans la foi.

Mgr l'Archevêque de Paris vient d'adresser la lettre suivante à MM. les curés du diocèse :

« Monsieur le curé,

Saint-Germain-en-Laye, le 19 avril 1850.

le

« Vous venez d'apprendre, comme nous, l'heureux retour du Pape à Rome. Depuis le jour fatal qui avait amené une séparation à jamais déplorable, nous n'avions cessé de demander à Dieu que ce temps d'épreuve fût abrégé, et que deuil de l'Eglise et la viduité de la ville éternelle finissent bientôt. Dieu vient enfin de nous exaucer. Empressons-nous de lui en rendre de solennelles actions de grâces, et associons-nous à la joie du Souverain-Pontife et à la reconnaissance de l'Eglise entière.

Vous lirez cette lettre, monsieur le curé, après-demain, dimanche, à la messe paroissiale; et le soir, à vêpres, vous chanterez un Te Deum solennel. Recevez, monsieur le curé, la nouvelle assurance de mon bien sincère et affectueux attachement.

MARIE-DOMINIQUE-AUGUSTE,
« Archevêque de Paris. »

« PreviousContinue »