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portation destinée à remplacer la peine de mort, laquelle a été abolic en matière politique: les condamnés devront être relégués dans une enceinte fortifiée, et ils seront soumis à des règlements de police et de surveillance spéciale. La seconde déportation sera celle dont parle l'article 17 du Code pénal, et elle aura lieu dans une île dont le territoire entier sera libre pour les condamnés.

La discussion a porté, au commencement de la séance, sur le degré de la peine et sur la nature de discipline à imposer aux déportés de la première catégorie. M. Rodat, au nom de la commission, a expliqué que cette discipline serait bornée aux points nécessaires pour assurer la garde des condamnés. Du reste, ils pourront être accompagnés de leur famille, et on leur fournira du travail s'ils le réclament. Ces explications n'ont pas fait rentrer dans l'esprit de M. Em. Arago le discours qu'il avait annoncé hier. M. Arago est un orateur de redites : il n'a pour lui que l'inconvénient de répéter moins bien et de déclamer plus haut. L'Assemblée n'a pas été sensible à ses efforts. Elle n'a pas voulu entendre M. Bouhier de l'Ecluse, qui proposait un amendement, et M. Charles Lagrange n'a trouvé grâce qu'à cause de son excentricité. Encore, s'est-on bien vite lassé de ce langage incohérent et de ces gestes indescriptibles. M. de Lamartine s'était annoncé. On l'attendait il devait s'opposer à la fixation du lieu de la déportation. Les îles Marquises lui semblent trop loin. Au fond, ce n'était qu'un prétexte pour faire un discours. Les lauriers de M. Victor Hugo, empêchaient de dormir l'auteur des Girondins. Il est donc monté à la tribune. Jamais sa versatilité n'a été plus complète, plus déplorable. Jamais aussi l'inspiration ne l'a plus radicalement abandonné. Semblable à un vieux barde épuisé, il ne trouvait même plus les cordes de sa harpe: son œil terni ne reflétait plus que de vagues lueurs, et ses poses théâtrales suppléaient en vain à l'inanité de la parole. Hésitant d'abord, cherchant à droite et à gauche les applaudissements et quêtant en quelque sorte les bravos de la galerie, pour sé mettre en haleine, il a essayé d'émouvoir la majorité par quelques sonores déclamations. Peu à peu, et sous la froideur de l'accueil, il a glissé vers l'opposition, à regret d'abord, il faut le dire; puis, comme la gauche, ressaisissant avidement cette proie, le berçait de ses cris et de ses approbations, le poëte, cette « chose si légère » s'est laissé entraîner tout à fait; et au sortir de la tribune, mécontent de soi, mécontent d'autrui, il a trouvé pour récompense le sourire caustique de M. Jules Favre et les poignées de main protectrices de M. Victor Hugo!

:

Ce spectacle nous a fait peine évidemment M. de Lamartine était arrivé avec un désir meilleur et une ambition plus haute. Il s'imaginait qu'il allait planer dans un de ces nuages humanitaires où il aimait à égarer sa jeune renommée. Il se croyait revenu aux premières années de sa carrière, alors qu'il inaugurait d'une façon si inoffensive ce qu'on appelait « le parti social. » M. de Lamartine

avait compté sans la juste sévérité de l'histoire. Ce qui lui a nu, aujourd'hui, c'est que l'Assemblée se souvenait et qu'elle ne consentait pas à entendre chanter, au lendemain de la révolution, le poëte qui a « doré la guillotine, » et ouvert sous les pas de la France l'abîme du socialisme.

Peut-être y a-t-il eu un peu trop d'amertume dans ce souvenir. M. de Lamartine l'a senti, et il s'en est pour ainsi dire vengé par le seul beau mouvement oratoire qu'il ait trouvé, par le récit de l'abolition de l'échafaud politique. Il a eu en cet instant un élan magnifique. Mais il l'a compromis par un accès de mauvaise humeur, prétendant qu'on ne voulait pas lui laisser développer ses pensées, et quittant la tribune avec un puéril mécontentement.

Nous aurions voulu que quelque orateur de premier rang répondit à M. de Lamartine, notamment pour relever la théorie d'excuses qu'il apportait en faveur des crimes politiques et pour rétablir la doctrine du vrai et du juste en cette grave matière.

Le débat est descendu terre à terre. M. de Lamartine n'avait pas présenté d'amendement it avait vaguement désigné Cayenne ou les plateaux de l'Algérie comme lieu de déportation. Quelques mots de M. l'amiral Cécille ont rétabli la vérité pratique, et l'Assemblée a voté la vallée de Waïthau, comme le demandait la commission.

A la fin de la séance, M. Girard a présenté, au nom d'un grand nombre de ses collègues, une proposition tendante à affecter comme secours aux familles des malheureux soldats du 1er bataillon du 11 léger, les 200,000 fr. demandés pour la célébration de la fête du 4 mai.

M. Prosper de Chasseloup-Laubat a été nommé rapporteur du projet de loi sur le cautionnement des journaux.

Il paraît que la commission introduit de profondes modifications dans le projet ministériel.

M. de Laboulie a été nommé rapporteur du projet de loi sur la nomination et la révocation des maires.

Le comité central de l'Union électorale vient de décider à la presque unanimité :

Premièrement, qu'il n'y aurait pas de scrutin préparatoire;

Secondement, que le Comité de l'Union acceptait la démission offerte par M. Foy;

Troisièmement, que M. Leclerc serait le seul candidat du parti de l'ordre à l'élection du 28 avril.

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Le numéro de la Voix du Peuple de ce matin, mérite de fixer l'atten

tion. M. Proudhon annonce formellement une insurrection si le candidat du parti socialiste échoue :

« Bourgeois de Paris, acceptez cette candidature, et vous sauvez votre « repos, votre honneur, vos libertés, vos FORTUNES.

a Acceptez-la, vous dis-je, et si surprenante qu'elle paraisse au prea mier abord, à l'Europe attentive, elle deviendra bientôt, par l'union « de la bourgeoisie et du peuple, l'acte de la plus haute raison, la base << d'une politique nouvelle, le gage de la paix et de la prospérité pu« bliques.

« P.-J. PROUDHON. »

Ainsi, il faut que nous votions pour le blasphémateur de notre foi, pour le romancier qui a étalé aux yeux de la foule tous les mystères du crime, si nous voulons échapper à la mort et au pillage! Citoyen Proudhon, vous croyez faire peur et vous faites pitié!

Bulletin de la politique étrangère.

SUISSE.- Un mouvement bien prononcé de l'opinion se manifeste dans plusieurs cantons et surtout à Berne. En voyant où les a conduits le régime actuel, beaucoup de ceux qui l'appuyaient ou même avaient contribué à l'établir, se rattachent au parti de l'ordre : ils veulent rester républicains, mais refusent de laisser leur pays en proie aux folies et bientôt aux fureurs de la démagogie.

ROME. On donne pour certain que les Etats pontificaux vont former cinq grandes divisions, à la tête de chacune desquelles sera placé un Cardinal. Les provinces renfermées dans ces divisions seraient gouvernées par un fonctionnaire séculier. Le ministère de l'intérieur reprendrait son ancienne dénomination: Secrétairerie d'Etat pour les affaires de l'intérieur, et serait confié à un cardinal.

AUTRICHE. — Le voyage du général de Hess, chef d'état-major de l'armée autrichienne, sur les frontières de la Silésie prussienne et en Bohême, continue à occuper les esprits. On assure qu'en passant par Ollmutz, ce général a laissé les ordres nécessaires pour l'établissement d'un camp considérable dans la vallée de Hanna. Il a pris, en même temps, des dispositions qui annoncent de grands mouvements de troupes entre Teschen et Toeplitz.

On parle aussi de la formation d'une armée austro-bavaroise sur les frontières du Wurtembourg. Des régiments autrichiens ont déjà reçu l'ordre de se porter dans cette direction.

Le temps fixé pour la durée de la commission fédérale provisoire de Francfort expirant le 1er mai prochain, le gouvernement autrichien a proposé de le remplacer, à cette époque, par un congrès de plénipotentiaires de tous les Etats allemands. Ce congrès doit représenter toute l'Allemagne vis-à-vis de l'étranger, et travailler à résoudre la question de l'organisation intérieure de la confédération

entière. La Prusse n'aurait élevé aucune objection contre ce projet, qui ne serait qu'une restauration de la diète germanique.

ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

Séance du 19 avril. - PRÉSIDENCE DE M. DUPIN.

L'ordre du jour appelle la snite de la discussion du projet de loi sur la déportation. M. RODAT, rapporteur, annonce que la commission a adopté pour l'article 1er une rédaction nouvelle ainsi conçue :

«Dans tous les cas où la peine de mort est abolie par l'article 5 de la Constitution, cette peine est remplacée par celle de la déportation dans une enceinte fortifiée, désignée par la loi, hors du territoire continental de la République, et où les condamnés seront soumis à un régime disciplinaire.

« Un règlement d'administration publique déterminera les conditions de ce régime. « L'enceinte contiendra un terrain assez étendu pour que les déportés puissent y jouir de toute la liberté compatible avec la nécessité d'assurer la garde de leur per

sonne.

«La disposition du paragraphe 2 de l'article 20 du Code pénal leur sera appli

cable. >>

La commission propose aussi une rédaction nouvelle pour l'article 4, qui a une corrélation étroite avec l'art. 1er. Cet article 4 serait ainsi conçu :

«La vallée de Vaithau, aux îles Marquises, est déclarée licu de déportation pour l'application de l'art. 1er de la présente loi. »

M. E. ARAGO prononce un long discours que personne n'écoute.

M. le général DE LAMORICIERE. Je demande à développer l'amendement que j'ai présenté.

Il y a trois questions distinctes d'abord la déportation dans un lieu hors du territoire continental de la République. Ce premier point, nous demandons qu'on le discute d'abord. On discutera ensuite si la détention devra avoir lieu dans ce qu'on appelle une enceinte fortifiée.

Hier, quand je demandais des explications sur ces mots, on m'a renvoyé à l'article 4 du projet, et on m'a dit qu'on entendait par enceinte fortifiée la vallée de Vaithau. Nous vous demandons de renfermer ces dispositions dans un seul paragraphe.

Enfin, il conviendra de poser la question du régime des déportés.

Nous pensons que les mots de régime disciplinaire sont trop vagues, et qu'il faut que le régime soit nettement indiqué par un règlement.

En résumé, je demande qu'on discute d'abord le premier point, celui de la substitution de la déportation à la peine de mort; qu'on s'occupe ensuite du lieu où la peine sera subie; et qu'enfin la question du régime des détenus soit examinée.

M. ROUHER fait remarquer que l'ordre de délibérations demandé par M. le général de Lamoricière, laisserait irrésolue la question d'un degré nouveau de déportation, non pas seulement hors du territoire continental de la République, mais encore dans une enceinte fortifiée.

M. DE LAMORICIÈRE insiste.

Après quelques explications de M. Bazo, l'article 1er de la commission est mis aux voix par division, afin de laisser à chaque opinion toute sa liberté.

L'amendement de M. le général de Lamoricière, consistant à supprimer de l'article les mots << dans une enceinte fortifiée, » cet article est mis aux voix jusque et non compris ces mots; il est adopté.

M. LE PRÉSIDENT. Maintenant je consulte l'Assemblée sur les mots « dans une enceinte fortifiée. »

Une première épreuve est douteuse.

M. le général Cavaignac, qui s'est levé pour le commencement de l'article, se lève contre ces mots; M. Dufaure, au contraire, se lève pour.

L'épreuve est recommencée et les mots sont adoptés, ce qui implique le rejet de l'amendement de M. le général La«.oricière:

M. le général LAMORICIÈRE renonce au surplus à son amendement si la commission consent à substituer dans la rédaction les mots de «régime de surveillance» à ceur de régime disciplinaire.

La commission consent à cette modification, et le surplus de l'article 1er est adopté. Le scrutin ayant été demandé sur l'ensemble de l'article, il y est procédé.

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M. DE LAMARTINE. Messieurs, le caractère rigoureux et salutaire de la loi est, selon moi, dans le choix du lieu où la peine de la déportation sera subie. Je demande donc à l'Assemblée quelques instants d'attention pour l'examen de cette question.

Je ne suis pas conduit à cette tribune par un esprit d'opposition radicale sur cette question. Je n'accuse ni les intentions du gouvernement ni celles de la commission, et il y a déjà de longues années que je parlais à une autre tribune dans le même sens qu'aujourd'hui.

Je reconnais, et tout le monde reconnaîtra avec moi, qu'à mesure que les codes se sont adoucis les mœurs se sont adoucies.

On a successivement passé de la peine de mort à l'ostracisme, à la déportation et au bannissement, et il n'est pas nécessaire de remonter bien haut dans l'histoire pour être convaincu que si la peine de la déportation avait existé à d'autres époques, s'il y avait eu un système de bannissement établi, ni les massacres de la Saint-Barthélemy, ni les crimes de 93 n'auraient eu lieu.

L'orateur se livre à une glorification poétique des crimes politiques.

Arrivant à la question de la vallée de Waïthau, M. de Lamartine trouve ce lieu de déportation trop éloigné, et défavorable aux facilités de communication avec les familles. Il demande le renvoi de la question à la commission.

L'Assemblée repousse le renvoi à la commission demandé par M. de Lamartine et adopte ensuite à une très-forte majorité l'amendement de M. de Lamoricière, auquel s'est ralliée la commisslon. En conséquence, la vallée de Waïthau est désignée comme lieu de déportation.

La séance est levée à six heures et demie.

Chronique et Faits divers.

Le procureur de la République a fait saisir à la poste et dans ses bureaux le journal la Voix du Peuple, à l'occasion de la publication d'un article signé Proudhon, intitulé: Election du 28 avril-A la Bourgeoisie, et relatif à la catastrophe d'Angers.

Le gérant du journal et l'auteur de l'article sont poursuivis pour 1° excitation à la haine et au mépris du gouvernement de la République; 2o excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres: 3° provocation adressée aux militaires de l'armée de terre dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs.

- Une affiche intitulée : Hier, orgies, turpitudes, etc. Il faut er. finir, etc. — Imprinée par Bonaventure et Ducessois, ayant été placardée malgré l'avertissement donné au nom du procureur de la République, des poursuites sont intentées contre les imprimeurs et l'afficheur, et l'affiche sera arrachée par les soins de M. le préfet de police.

- D'après des renseignements particuliers, que nous avons lieu de croire parfaitement exacts, le nombre des individus arrêtés pour vagabondage et mendicité aux abords des casernes, depuis samedi dernier 13, s'élevait ce matin à 252; le délit de mendicité qui leur est reproché n'est pas basé sur l'acceptation

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