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abondamment tous ceux qui veulent étudier sérieusement l'histoire du monde depuis l'avénement du Christianisme. M. Villemain, dans ses Mélanges, pub'iés en 1826 et 1827, vint compléter, avec la science d'un historien et la sûreté de goût d'un critique consommé, l'esquisse tracée par la plume du poète. Nous ne dirons pas, avec M. Patin, dans un langage dont on a fait un très-grand abus depuis M. Guizot, nous ne dirons pas que M. Villemain a dépouillé les Pères de leur caractère théologique, et comme sécularisé ces immortels mo numents. Mais nous le féliciterons d'avoir mis en relief, avec un rare talent, les merveilles de la pensée et de la parole chrétienne au quatrième siècle.

II.

Tandis que la société romaine s'écroule sous les coups des barbares, que l'empire, livré aux eunuques, tombe en poussière; quelques hommes, le front ceint de l'auréole de la sainteté et de la couronne du génie, se mettent à construire, fondateurs au milieu des ruines, le grand édifice religieux qui doit remplacer l'empire romain.

Le premier de ces illustres architectes de la société au quatrième siècle, c'est saint Athanase, le défenseur de la foi décriée, le rempart de l'Eglise d'Orient, dont les combats, les écrits, l'indomptable énergie servirent plus à l'agrandissement du christianisme que toute la puissance d'un Constantin.

Un peu plus tard se montrent des athlètes non moins éclatants, Grégoire de Nazianze, Basile, Chrysostôme, Hilaire de Poitiers, elc. L'empereur Julien, dans son orgueil de philosophe, s'était écrié : « A nous l'éloquence et les arts de la Grèce! A vous, chrétiens, l'ignorance et la rusticité!» Et l'apostat, pour arriver à son but, avait interdit l'instruction à plus de la moitié de ses sujets. Mais tous les efforts de cette tyrannie furent vains. Pendant que le César Julien, investi du commandement des Gaules, s'ouvrait par des victoires sur les Germains la route à l'empire qu'il se proposait de ramener un peu plus tard au paganisme; dans la cathédrale de Césarée, devant ses concitoyens réunis, un jeune homme de vingt-sept ans recevait le baptême, et bientôt après, il allait préparer, au fond d'une caverne, les règles d'après lesquelles devaient se diriger les ascètes chrétiens, les vrais régénérateurs de la société qui s'écroulait !

Chrysostôme, l'élève du sophiste Libenius, cet ami si fidèle de Julien, avait, lui aussi, embrassé la foi du Dieu crucifié, et telle était la supériorité de son intelligence, que le vieux rhéteur païen, à son lit de mort, s'était écrié avec douleur : « Hélas! si les chrétiens ne m'avaient ravi Chrysoslôme par un sacrilége, je lui aurais laissé le soin de mon école ! »

Dans ces temps de décadence et de ruine universelles, le christianisme seul soutenait les âmes en proie à d'effroyables angoissés : a Que voyons-nous dans le monde, s'écriait saint Jérôme,

que voyons-nous dans le monde sinon la mort de nos amis, le supplice des citoyens, l'incendie des villes et des maisons de campagne, la ruine des provinces, la captivité de nos proches, naufrage universel qui ne nous offre qu'un appui la foi! »

La tyrannie des empereurs qui se succédaient si rapidement sur le trône, les impôts inouïs, les' famines, les incendies qui désolaient le monde romain, ne faisaient que hâler le développement du christianisme. Les populations se rapprochaient chaque jour des chrétiens, dont les malheurs publics justifiaient les prédictions. La calomnie était forcée de se taire. Effrayés, les philosophes païens comprirent, comme nos socialistes d'aujourd'hui, qu'il fallait se rapprocher, en apparence du moins, de leurs adversaires; le paganisme fut donc in-terprété de manière à ce que les peuples y trouvassent une sorte de mysticisme chrétien. Ce fut l'époque de la thaumaturgie, des sciences occulles, de la croyance aux songes, aux oracles, etc.

Un grand nombre de rhétcurs et de sophistes en arrivèrent à se demander, très-sérieusement, si en combinant toutes les opinions philosophiques, tous les modes d'adoration, tous les rêves des cerveaux malades de ce temps-là, on ne parviendrait pas « à une philosophie définitive de la vie humaine! » On sait que l'empereur Alexandre-Sévère réunissait dans le même culte Abraham, Jésus-Christ, Orphée et Appollonius de Thyane, ce charlatan dont les théories nous rappellent celles de nos thaumaturges actuels.

Le paganisme énervé avait concentré tout ce qui lui restait de force dans les villes. Julien, par les écoles qu'il y fonda, crut avoir porté le dernier coup au christianisme. A la fin du quatrième siècle, un effort suprême fut tenté par les rhéteurs. Mais tout fut inutile. L'éloquence de saint Ambroise l'emporta sur celle de Symmaque.

M. Villemain a peint avec des couleurs admirables la vie des pontifes de ce temps-là, grands saints « dont le génie seul était debout au milieu de la décadence de l'Empire :

On dirait à lire ces récits, dit l'illustre écrivain, que l'ordre religieux et civil était réglé dans le quatrième siècle, comme du temps de Louis XIV, que les hommes vivaient de même façon, et qu'un martyr des premiers temps ressemblait à un Evêque de cour. Mais, dans la réalité, que de différences séparent ces époques! que de tableaux singuliers et nouveaux naîtraient d'une vue impartiale jetée sur ces temps antiques! J'attends cette impartialité de l'imagination, non moins que du jugement, qui consiste, en cherchant la vérité dans les faits, à ne point teindre le récit des couleurs d'une autre époque.

Souvent, j'ai passé de longues veilles à feuilleter les recueils de la doctrine et de l'éloquence des premiers siècles chrétiens; il me semblait que je devenais spectateur de la plus grande révolution qui se soit opérée dans le monde. Lecteur profane, je cherchais dans ces bibliothèques théologiques les mœurs et le génie des peuples. La vive imagination des orateurs du christianisme, leurs combats, leur ardeur, faisaient survivre sous mes yeux un monde qui n'est plus, et que leurs paroles expressives et passionnées semblent nous avoir transmis, bien mieux que ne l'a fait l'histoire. Les questions les plus abstraites se peasonni

fiaient par la chaleur de la discussion et la vérité du langage: tout prenait de l'intérêt et de la vie, parce que tout était sincère. De grandes vertus, des convictions ardentes, des caractères fortement originaux animaient ce tableau d'un siècle extraordinaire, tout passionné de métaphysique et de théologie, et pour qui le merveilleux et l'incompréhensible étaient devenus l'ordre naturel et la réalité.

« A cette existence toute rêveuse et toute idéale venaient se mêler, par un contraste perpétuel, les incidents de la vie commune, les passions, les vices ordinaires de notre nature. Le mélange des civilisations et des peuples que rapprochait une religion cosmopolite, augmente encore la singulière originalité de ce spectacle. Le christianisme agissait diversement, était reçu à divers degrés chez les nations courbées également par le joug romain, mais distinctes d'origines, de mœurs et de climats. Leur caractère primitif reparaissait, à la faveur de l'enthousiasme religieux qui les affranchissait des liens terrestres. Le Syrien, le Grec, l'Africain, le Latin, le Gaulois, l'Espagnol portaient dans leur christianisme les nuances de leurs caractères, et souvent les hérésies, alors si nombreuses, étaient plus nationales que théologiques.

« Les écrits des Pères sont une image de toutes ces vérités. Au milieu des controverses et des subtilités mystiques, on y surprend tous les détails de l'histoire des peuples, tous les progrès d'une longue révolution morale, le déclin et l'obstination des anciens usages, l'influence des lettres prolongeant celle des croyances, les croyances nouvelles, commençant par le peuple, et s'étayant à leur tour du savoir et de l'éloquence, les orateurs remplaçant les apôtres, et le christianisme formant au milieu de l'ancien monde un àge de civilisation qui semble séparé de l'empire romain, et qui meurt cependant avec lui... »

Les tableaux peints avec cette touche de maître abondent dans le livre de M, Villemain. Son pinceau fait revivre, avec leurs populations variées, avec leurs mœurs, leurs usages, leurs monuments, Rome, Constantinople, Athènes, Antioche, Alexandrie. Toutes les additions faites par l'auteur dans cette nouvelle édition, sont marquées au coin d'une sagesse et d'une élévation d'esprit de plus en plus remarquables, M. Villemain n'avait jamais déployé, dans aucun de ses précédents ouvrages, autant de connaissances étendues, de sagacité pénétrante, et, disons-le, d'intelligence chrétienne. Toutefois, le tableau de l'éloquence sacrée au quatrième siècle renferme, au point de vue religieux, un certain nombre d'erreurs, plus ou moins graves, dont il est indispensable que nous fassions ressortir les dangereuses conséquences.

Ce sera le sujet d'un second article.

Aurélien de COURSON.

BOURSE DU 15 AVRIL.

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Le 5 p. 100, 88 20 à 87 80. - Le 3 p. 100, 54 60 à 54 40. Actions de la Banque, 2,140 00.- Obligations de la Ville, 4,270 00.- Nouvelles Obligations, 1,125 00.5 p. 100 belge, 99. Emprunt romain, 70.

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L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

Paris, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2,

MERCREDI 17 AVRIL 1850.

(N° 5020.)

L'AMI DE LA RELIGION.

S. G. Mgr l'Archevêque de Toulouse nous fait l'honneur de nous adresser la lettre suivante sur la loi d'enseignement :

Monsieur le Directeur,

<< Toulouse, 13 avril 1850.

Voilà de tristes divisions au sujet de la loi sur l'enseignement. Je finis par croire qu'il serait utile que les sentiments des Évêques fussent connus. Les hommes graves qui m'entourent me pressent de vous exposer le mien, et cette manifestation pourra être utile.

Notre division sur un tel sujet peut avoir des suites funestes. Toutes les circonstances devaient donner au projet de loi de M. de Falloux, auprès des amis de la religion et de la société, un accueil favorable. Je ne me chargerai pas d'expliquer comment on a vu un assez grand nombre de personnes religieuses s'élever contre ce projet.

«La Providence nous a appris, par une terrible leçon, combien l'éducation chrétienne de la jeunesse était indispensable, non-seulement pour le maintien de la religion, mais encore pour l'existence même de la société. Des hommes très-remarquables par leur talent ont été frappés de cette leçon. Elle a influé visiblement sur la majorité de nos assemblées.

«Quel était, dans nos dernières années, le sentiment irréligieux le plus général et le plus fortement inculqué dans les esprits, si ce n'est la crainte de donner au clergé la moindre influence? La loi qui vient d'être volée nous fait faire dans le bien un pas immense à cet égard. On peut s'en convaincre, en lisant dans le Moniteur la discussion qui ent lieu à la Chambre en 1844 sur un sujet pareil. Dans toute cette discussion, ce fut contre l'influence du clergé que l'on se tint en garde. On aurait frémi, si l'on avait proposé d'introduire un seul Evêque dans un conseil supérieur de l'instruction publique. La loi nouvelle y en place quatre, choisis par leurs collègues. Elle place tous les Evêques dans le conseil académique de leurs diocèses respectifs.

Le curé ou desservant de chaque paroisse, a place dans le conseil

communal.

Combien d'autres améliorations ne trouvons-nous pas dans la loi nouvelle ? Conçoit-on que des hommes qui voyaient la foi s'éteindre si l'état précédent avait continué, déclament aujourd'hui avec violence contre une loi qui améliore à ce point l'état des choses?

Voyez avec quelle inconvenance un simple prêtre somme l'épiscopat français tout entier de lui répondre par oui et par non, sans s'égarer à droite ni à gauche, à toutes les questions qu'il lui plaît de proposer. L'Ami de la Religion. Tome CXLVII.

13

« Cet homme a-t-il une logique assez forte pour s'autoriser à parler avec tant de hauteur!

a Ecoutons sa première question: Par le projet de loi dans l'exposé des motifs et dans les art. 5 et 25, l'Etat ne s'attribue-t-il pas, OUI OU NON, le droit suprême d'enseigner la religion, et le droit plus exorbitant encore d'approuver et de censurer les livres mêmes religieux? Or, je réponds à M. C.: Non.

«Dans sa troisième question, l'auteur va plus loin encore: Ce même projet de loi, dit-il, accorde-t-il, or ou NON, à l'Etat le droit de constituer l'autorité même chargée de surveiller les établissements privés, et de diriger les établissements publics? Le ministre de l'instruction publique ÉGALANT dans l'exposé des motifs, l'ETAT A DIEU luimême, ne proclame-t-il pas hautement cette monstrueuse supériorité? A toutes ces questions je réponds: Non.

« Qui a jamais eu la pensée que M. de Falloux ait voulu donner à l'Etat le DROIT SUPREME d'enseigner la religion? le droit d'approuver et de censurer les livres mêmes religieux? et enfin que M. de Falloux égalant l'Etat à Dieu même, ait prétendu proclamer hautement cette monstrueuse suprématie?

« Ce sont là des exagérations qui se réfutent par elles-mêmes.

« M. de Falloux n'a voulu donner à l'Etat que le droit essentiel qui appartient à un simple père de famille, à un simple instituteur: en effet, un simple père de famille, un simple instituteur, n'a-t-il pas le droit de dire à ses enfants, à tous ses subordonnés : Je ne veux pas qu'il paraisse chez moi un seul livre sans que je l'aie vu, et que j'aie permis de l'introduire. Accusera-t-on ce père de famille de s'attribuer le droit suprême d'enseigner la religion, de censurer les livres religieux?

«M. de Falloux aurait-il mieux fait de permettre que l'on introduisît librement dans les maisons d'instruction soit privées, soit publiques, toute espèce de livres bons ou mauvais?

« Les exagérations et les sophismes de M. C. nous ont cependant moins affecté que l'opposition d'un homme plus éminent par son caractère comme par son talent, qui a défendu avec force, sous le dernier régime, la liberté d'enseignement, et qui était persuadé comme nous que si l'état de l'instruction publique ne changeait pas, humainement parlant, c'en était fait de la foi en France. Eh bien! au moment où il s'opère d'une manière si imprévue un si grand changement, il n'y voit pas la main de la Providence. Il ne veut pas reconnaître que la situation où nous place la nouvelle loi, est infiniment préférable à l'état précédent. Heureusement pour la cause qu'il combat, il est impossible, si l'on examine ses preuves de sangfroid, de n'en pas reconnaître la faiblesse.

« Voici son premier raisonnement: 1° l'Evêque, dans son diocèse, est le juge en matière de foi... C'est pour lui un crime de se dépouiller de cette autorité... Or l'Evêque, par son introduction dans les conseils

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