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Mariana, par un décret qui défendait, sous les peines les plus graves, à tous les membres de l'ordre, de soutenir, soit en public, soit en particulier, qu'il soit loisible à qui que ce soit, et sous prétexte quelconque de tyrannie, d'attenter sur la personne des rois ou des princes. Ce décret, du 16 septembre 1610, n'a pas cessé, depuis sa promulgation, d'être relu publiquement une fois chaque année, dans toutes les maisons de la compagnie de Jésus.

Vous voyez, Monsieur, s'il y a la moindre apparence de raison dans le reproche qu'on a fait aux Jésuites, d'avoir, en tout temps et persévéramment, avec l'approbation de leurs supérieurs et généraux, enseigné le régicide. On leur a aussi reproché d'enseigner le blasphème Set la magie. De ces deux allégations, la première n'est pas mieux fondée que la seconde. Ceux qui seraient tentés de les émettre encore devraient bien, avant de les reproduire, se rappeller les actes à jamais déplorables, mais trop certains, auxquels ces accusations fantastiques ont servi de prétexte; les arrêts en vertu desquels, comme l'observe le président de Thou, on emprisonnait, on exilait, on exécutait les Jésuites sans les entendre (1); ces arrêts, dont l'évidente injustice pèsera éternellement sur la mémoire, non des victimes qui les ont subis, mais des juges qui les ont prononcés; le P. Guéret, soumis à de cruelles tortures qui n'ont constaté que son innocence; le P. Guignard, conduit à l'échafaud comme complice d'un homme qu'il ne connaissait pas : ils devraient se rappeler cet autre procès, où, suivant l'expression de Voltaire, l'excès du ridicule et de l'absurdité était joint à un excès d'horreur, ce procès dirigé contre un vieillard qui, après avoir porté les lumières de l'Evangile chez les peuples du Nouveau-Monde, était devenu, dans sa patrie, l'objet de la vénération universelle; ce procès où Pombal, irrité de ce qu'on lui refusait la condamnation d'une victime qu'il d'immoler à ses

tion à de nouveaux juges prices, osa demander cette immola

et à improvisé, à la tête duquel il plaça son propre frère, et fit ainsi punir, à l'âge de 72 ans, sous l'inculpation de blasphème et d'hérésie, le P. Malagrida, dans un auto-da-fé solennel. Ils devraient se rappeler que dans une lettre écrite à son confident, Voltaire lui-même, en parlant de Damiens, s'est écrié: «Mes frères, vous devez vous apercevoir que je n'ai point ménagé les Jésuites. Mais je soulèverais la postérité en leur faveur, si je les accusais d'un crime dont l'Europe et Damiens les ont justifiés. » Y aurait-il plus de réalité dans le reproche qu'on a fail aux Jésuites d'être trop indulgents pour les pécheurs, de professer une morale trop relâchée? Je sais que le roman des Provinciales est devenu souvent, aux yeux des lecteurs séduits par le charme de la diction, une histoire véritable, et qu'ils ont pris au sérieux ces petites lettres que M. de Maistre nommait les menteuses, que M. de

(1) Non servoto juris ordine, neque partibus auditis.

Châteaubriand appelait un mensonge immortel. Mais je sais aus que l'opinion de MM. de Maistre et de Châteaubriand, un peu sévè en apparence, offre pourtant un simple résumé du jugement por par un écrivain avec lequel on les trouve rarement d'accord.

Voltaire écrivait, le 7 février 1746 :

«Pendant sept années que j'ai vécu dans la maison des Jésuites, qu'ai-je vu chez eu « La vie la plus laborieuse et la plus frugale, toutes les heures partagées entre les soi qu'ils nous donnaient et l'exercice de leur profession austère. J'en atteste des millie d'hommes élevés comme moi. C'est pourquoi je ne cesse de m'étonner qu'on puisse accuser d'enseigner une morale corruptrice. Ils ont eu, comme les autres ordres re gieux, dans des temps de ténèbres, des casuistes qui ont traité le pour et le contred questions aujourd'hui éclaircies ou mises en oubli; mais de boune foi, est-ce par satire ingénieuse des Lettres provincirles qu'on doit juger leur morale? C'est assuréme par le P. Bourdaloue, par le P. Cheminais, par les autres prédicateurs, par leurs m sionnaires. Qu'on mette en parallèle les Lettres provinciales et les sermons du P. Bou daloue; on apprendra dans les premières l'art de la railleric, celui de présenter choses indifférentes sous des faces criminelles, celui d'insulter avec éloquence; on a prendra, avec le P. Bourdalone, à être sévère pour soi-même, indulgent pour les autr Je le demande alors: de quel côté est la vraie morale, et lequel de ces deux livres est plus utile aux hommes ? J'cse le dire il n'y a rien de plus contradictoire, de plus i que, de plus honteux pour l'humanité, que d'accuser de morale relâchée des homm qui mènent en Europe la vie la plus dure, et qui vont chercher la mort au bout l'Asie et de l'Amérique. »

Dans le Siècle de Louis XIV, Voltaire dit encore en parlant d Provinciales :

« Tout le livre porte à faux... C'était aux seuls Jésuites qu'on en voulait. On tàch dans ces lettres, de prouver qu'ils avaient un desseia formé de corrompre les mœurs hommes, dessein qu'aucune secte, qu'aucune société n'a jamais eu, ne peut jamais av mais il ne s'agissait pas d'avoir raison, il s'agissait de divertir le public. »

La conclusion à tirer de ce que je viens de dire, c'est que la do trine des Pères est inattaquable, aussi bien que leur science et leu vertus. Pouvait-il en être autrement? Les doctrines des Jésuites sont pas des doctrines qui leur soient propres. Ils se glorifient de pas en avoir d'autres que celles de l'Eglise catholique. Si quelque uns d'entre eux ont émis quelque proposition hasardée, ils font e ception à la règle. Leur règle, écrite dans leur constitution mêm est de suivre toujours la doctrine la plus approuvée, celle qui of le plus de sécurité. (Securiorem et magis approbatam doctrinam.) A. CAUCHY, membre de l'institut.

BOURSE DU 10 AVRIL.

Le 5 p. 100, 89 40 à 89 45. — Le 3 p. 100, 55 50 à 55 70. Actions de Banque, 2,150 00.- Obligations de la Ville, 1,270 00. Nouvelles Oblig tions, 1,155 75.5 p. 100 belge, 98 718. Emprunt romain, 79 314.

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY,

Paris, imp. BAILLY, DIVRY et Comp., place Sorbonne, 2 ¡

VENDREDI 12 AVRIL 1850.

(N° 5015)

L'AMI DE LA RELIGION.

L'Eglise catholique jugée par un diplomate russe et par un ministre anglican.

1.- De la Papauté au point de vue de Saint-Pétersbourg, par un diplomate russe. (Revue des Deux Mondes, janvier 1830.)

II-Journal in France in 1845 and 1848, with letters from Italy, in 1847, of things and persons concerning the church and education, by Th. W. ALLIES, rector of Launton. (London, 1849.)

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Quelle qu'ait été la triste origine de l'Eglise anglicane, quel qu'ait été son acharnement traditionnel contre les catholiqnes, cette Eglise a duré trop de siècles, et exercé sur les destinées d'un grand peuple une trop considérable influence, pour que nous la mettions sur la même ligne que les autres sectes du protestantisme.

Si un jour, selon l'attente de tout cœur chrétien et de tout ami de la civilisation morale de l'humanité, les communions séparées doivent se réunir à l'Eglise universelle, il n'est pas de retour qui cause plus de joie au ciel et à la terre que le retour sollicité par tant de prières, de l'Eglise anglicane.

Or, on peut déjà se livrer aux pressentiments de cette joie. Nous n'en sommes plus réduits aux illusions de nos désirs, ni à des signes incertains, ni à des espérances prises pour des prophéties. Par la grâce de Dieu, l'œuvre de la réunion est commencée; l'œuvre se continue, l'œuvre s'achèvera. L'action de la logique se joint, si l'on ose dire, à l'action de la Providence.

Nous connaissons peu l'Eglise anglicane, et nous tournons le plus Souvent contre elle des accusations qui ne tombent justement que sur les autres communions séparées. De toutes ces communions elle est, il faut le reconnaître sans préjugé, celle qui conserve la plus grande part de vérité à côté de tant d'erreurs. Or la vérité et l'erreur ne peuvent éternellement coexister ensemble. Dans ce monde, elles se livrent une lutte où, selon qu'il plaît à Dieu, l'une ou l'autre triomphe; semblables à la maladie et à la santé qui se disputent un corps dont l'une ou l'autre devient à la fin maîtresse. Le plus communément, le triomphe ici-bas est partagé. L'erreur envahit, entraîne, subjugue certaines âmes, et les détache complétement de la vérité. La vérité attire, possède d'autres âmes et les affranchit de l'erreur. Tels sont, après plus ou moins de siècles, l'état et la fin de tous les L'Ami de la Religion. Tome CXLVII.

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schismes. Arrivés à ce degré, ils n'ont plus qu'à mourir. En vain la puissance publique soutient, dans son propre intérêt, un simulacre d'Eglise; en vain la crédulité des peuples continue à lui rendre un hommage que commande la coutume et non plus le cœur; en vain quelques esprits éminents et de bonne foi essaient de ranimer ce qui n'a plus de vie, et, comme des vestales fidèles, de rallumer la flamme qui s'éteint sur l'autel abandonné. Ce n'est qu'une question de temps; le jour n'est plus loin où tous ceux qui, dans une communion arrivée à cet état d'affaiblissement, voudront conserver une foi religieuse, se réuniront à l'Eglise véritable; comme des naufragés, il leur faudra choisir ou de s'engloutir avec leur pavillon, ou de gagner les rivages immobiles.

C'est le choix qu'ont déjà fait tant d'esprits éminents de l'Eglise d'Angleterre, avec une pureté d'intention, une profondeur de science et de raison, une plénitude de bonne foi qui ont mérité la plus haute admiration. L'auteur du livre que nous examinons n'a pas pris le même parti, et nous ne connaissons ni n'osons juger les conseils qu'il reçoit de sa conscience. Mais il est de ceux qui désirent ardemment l'unité religieuse. Il est peut-être aussi de ceux qui, par une illusion respectable, mais dangereuse, craindraient de retarder cette union, en abandonnant une Eglise que la présence et l'action constante de membres presque catholiques, rapprochent de l'Eglise romaine, en établissant avec elle des points de contact que leur conversion ferait disparaître.

M. Allies prépare cette union, en étudiant séricusement l'action du catholicisme, sans haine, sans parti pris, en admirant ce qui est admirable. « Initium philosophendi mirari,» disaient les anciens. Nous appliquerions volontiers cette pensée aux croyances. « Initium credendi mirari. » Abjurer les préjugés, c'est se préparer à abjurer les erreurs. On est peu éloigné de trouver vrai ce qu'on trouve beau. Admirer, c'est la moitié de croire.

Rien de plus noble et de plus sensé que les paroles par lesquelles M. Allies indique, dans une courte introduction, le but de son voyage:

Peu de voyageurs anglais, dit-il, parmi tous ceux qui parcourent le continent, croient digne de leur attention d'examiner l'action de l'Eglise dans les pays qu'ils parcourent..... Je ne me demande pas si la doctrine romaine est vraie ou fausse, pure ou corrompue, je l'envisage simplement comme un fait. A ce point de vue, il n'y a pas de spectacle si digne de remarque pour un esprit sérieux que l'Eglise romaine. Comme ecclésiastique anglais, je ne pense pas qu'il soit sincère, honnête, chrétien, ni sûr, de fermer mes yeux à un semblable phé nomène. Je crois que c'est un devoir d'en avoir l'intelligence.....

.....

Il y a entre les deux Eglises une prodigieuse ignorance de l'état de chacune.....

Le seul mérite du journal où j'écris, c'est de présenter les choses comme elles sont dans le catholicisme, en dehors de tout préjugé préconçu..... Nous l'avons étudié surtout en France, parce que c'est peut-être la partie la plus inté

ressante du monde catholique en ce moment. Là, le divorce que tous les gouvernements de la chrétienté opèrent maintenant avec l'Eglise, a été accompli avec le plus de dureté, d'outrage et de tyrannie. Les biens du clergé français, qui étaient en rapport avec la générosité de leur pays, ont été saisis par l'Etat qui..... en échange, a accordé au clergé une dotation non permanente, mais annuelle, et si indiciblement petite et disproportionnée, que tout Français de cœur et d'honneur doit rougir en y pensant..... De plus, l'Etat a fait en France ce qu'en Angleterre il ferait aussi s'il le pouvait; il envoie dans chaque paroisse un maître d'école sans foi, pour enseigner aux enfants toutes les connaissances élémentaires, sans une croyance définie, et être l'antagoniste du curé sur son propre terrain. La génération qui existe en ce moment en France a été élevée depuis que l'incrédulité a envahi ce pays.....

«C'est pour ces raisons que nous avons pensé que l'Eglise de Dieu devait être regardée, surtout en France, comme agissant par sa propre force intérieure, sans recevoir du monde aucun secours, mais au contraire des afflictions; enfin comme assez cruellement contrariée, pour que si elle pénètre la société, elle ne le doive qu'à la puissance vivante de l'Evangile..... On doit affirmer que si la France, dans de telles conditions, est un jour rendue tout entière au Sauveur, il n'est pas de condition sociale dont il faille désespérer, et la force de l'Eglise du Christ pour surmonter tout obstacle ne peut plus être contestée.....

On verra suffisamment que je ne regarde pas le dénigrement du bien opéré par la foi catholique romaine comme une qualité nécessaire du caractère d'un ministre anglican. Je suis tout à fait convaincu que la réunion de l'Eglise anglaise avec l'Eglise de Rome serait une bénédiction immense pour toute l'Eglise de Dieu et pour la race humaine. Quelle que soit la séparation, nous ne devons pas désespérer de la réunion. Pour l'obtenir, il faut que des deux côtés tous les cœurs généreux unissent leurs ardentes espérances et leurs prières..... »

On écrit ordinairement un voyage comme on écrit l'histoire, avec le dessein préconçu de se servir des faits pour confirmer un système, el de tout voir comme grossi, amoindri ou modifié par un instrument d'optique qu'on a choisi soi-même. M. Allies et ses amis abordent nos rivages avec une disposition bien différente, comme on le voit par les lignes que nous venons de traduire. Ils sont dans les meilleures conditions pour trouver la vérité; ils la cherchent, ils ne cherchent qu'elle seule, à travers l'Angleterre protestante, à travers la France indifférente, à travers l'Europe révolutionnée, ils la poursuivent, sans autre méthode que d'ouvrir les yeux pour voir, les oreilles pour entendre, et le cœur pour apprécier.

M. Allies écrit comme il a vu. Son journal est une suite de notes de voyage sans autre ordre que la succession des jours; feuilles volantes écrites chaque soir, et où viennent se grouper les faits et les impres sions à mesure qu'ils ont été recueillis, sans art, sans phrases, sans apparente liaison, avec tous les caractères du naturel et de la sincérité.

Dans ce curieux album, les hommes, les choses, les institutions, les monuments, les idées passent tour à tour; nul titre donc ne convenait mieux au livre que le nom de Journal. Rien de plus curieux que les visites que nous fait faire l'auteur à des hommes que

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