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La parole est à M. Darblay aîné, pour développer l'amendement suivant qu'il a pré- senté avec MM. Lecomte (Yonne), Bouhier de l'Ecluse et Viard :

<< Provisoirement, le chemin de fer de Paris à Avignon sera achevé jusqu'à Châlon par l'État. »

M. DARBLAY développe son amendement.

M. BERRYER. Le projet de loi qui vous est soumis présente les questions les plus difficiles et les plus graves, en même temps que les plus intéressantes pour le crédit public et le crédit privé en France.

Il y a douze ans que, sans m'écarter un instant de cette pensée par l'expérience faite jusqu'ici sur différents chemins de fer, j'ai toujours persisté à dire que la ligne la plus importante était celle qui unirait la Méditerranée à l'Océan.

Aujourd'hui, je monte à la tribune pour y défendre la pensée de la majorité de la commission, pensée contraire à l'amendement de M. Darblay. Je veux circonscrire la question et ne traiter que le côté spécial en examinant le caractère de l'amendement, ses conséquences et ses graves inconvénients. Et je le répète, je suis l'organe de la majorité de la commission.

Avant tout, je dois appeler l'attention de l'Assemblée sur certaines erreurs et certaines exagérations de M. Darblay.

On se livre en cetfe matière à beaucoup de calculs, à beaucoup d'illusions, et cependant combien d'espérances n'ont pas été trompées depuis que nous faisons des chemins de fer en France!

Quelle sera la dépense pour la section de Tonnerre à Dijon que M. Darblay veut charger l'Etat de terminer? Le savant ingénieur Julien ne veut pas le dire au juste. Mais il évolue à 39,500,000 fr. la dépense nécessaire pour rendre cette section praticable, et il déclare qu'à cette somme il faut ajouter 13 millions pour achever de donner à la ligne de Paris à Dijon toutes les conditions nécessaires de viabilité.

Quels sont les revenus du chemin? ou plutôt quels seront-ils? Je n'en sais rien. A ce point de vue nous, examinerons plus tard l'amendement de M. Darblay. Mais quels sont-ils aujourd'hui ces revenus? Nous n'avons pas encore une donnée d'expérience. Dans les premiers jours de l'exploitation, le revenu a été de 25,000 fr, par jour de Paris à Tonnerre.

Cette recette a diminué depuis quelque temps. On a ajouté un convoi de marchandises à petite vitesse. Et la recette est aujourd'hui de 18,000 fr. par jour. Il y a des jours où l'affluence est plus grande. Mais enfin, la moyenne est de 130,000 fr. par semaine. Voilà les recettes actuelles. Cela nous donne par an 6,700,000 fr. Voilà la recette brute.

A gauche Nous sommes dans les mauvais mois, dans les mois d'hiver.

A droite On vous parle d'une moyenne.

M. BERRYER. Si nous nous plaçons en dehors des incertitudes des évaluations qui nous ont tant trompés, qui ont trompé les plus habiles calculateurs des ponts-et-chaussées, qui ont trompé les calculateurs des compagnies; si nous voulons nous informer dans les données positives, nous trouvons pour neuf mois d'exploitation, car nous n'avons encore que neuf mois d'exploitation, nous trouvons 130,000 fr. par semaine. Voix à gauche: Et le chemin de fer d'Orléans?

M. BERRYER. Je ne refuse pas les interruptions quand elles s'appuient sur des faits qui peuvent éclairer le débat.

On me dit: Et Orléans?

Messieurs, tous les chemins de fer ne donnent pas les mêmes résultats. Il est incontestable que quand le chemin sera fait jusqu'à Lyon et à Avignon, la circulation y sera beaucoup plus considérable.

Le chemin d'Orléans est dans une position plus favorable; il se trouve à un point central; nous ne voulons donc pas comparer les deux chemins.

Et puis, il y a un point de différence énorme. C'est que le chemin de fer d'Orléans est administré par des intérêts privés et non pas pour le compte de l'Etat. On obtient ainsi des produits que l'Etat ne pourrait pas obtenir. Non, jamais vous n'aurez l'activité, l'intelligence et la fécondité de ressources pour augmenter les produits, que réunit une administration privée. (Approbation. Murmures et réclamations à gauche.)

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Messieurs, allons pas à pas dans cette question. L'objection qui m'a été faite pourrait m'entrainer au fond même du projet, et je ne veux pas y aller. Je dis donc que le parallèle n'est pas admissible et je reviens à la question.

Messieurs, que nous propose M. Darblay dans son amendement ? Au fond de tous les amendements, il y a toujours une pensée principale.

L'honorable M. Grévy, on présentant son amendement, voulait l'exécution par l'Etat;

cela était clair.

Il ya douze ans que je combats l'exécution des chemins par l'Etat. Eh bien ! je trouve
le système nettement posé par M. Grévy infiniment préférable à ce que demande
M. Darblay. (Approbation.-Mais oui! mais oui! à gauche.-Rires.)

Voilà donc l'amendement de M. Grévy posant un système très net.
L'amendement de M. Darblay est-il un système? Il pourrait en être un.

Ce système consisterait à exécuter le chemin de Paris à Châlon, et là de profiter de la
navigation de la Saône et du Rhône pour aller à Avignon et ensuite à Marseille par
chemin de fer.

Avec ce système, on dirait à la France: Nous vous donnons ces tronçons de chemins de fer, et c'est assez pour vous. (Bruit à gauche.)

Une voix : Ce n'est pas la question!

M. BERRYER. Comment! ce n'est pas la question! Mais ce système vaut mieux encore que l'amendement de M. Darblay. Et d'ailleurs M. Darblay n'aurait un système que s'il présentait cette idée-là! Il y a là un système; M. Darblay n'en a pas. Ce système est détestable, honteux, ruineux pour la France. (Exclamations à gauche.)

On a dit: Quand le chemin sera fait jusqu'à Châlon, le produit, dans la section de Paris à Tonnerre, s'élèvera probablement de 4 millions à 6 millions. Voilà, je crois, les prévisions de M. Grévy.

M. GRÉVY. Mais du tout, du tout! (Rires.)

M. BERRYER. N'allons pas si vite. (Nouveaux rires.) Il n'y a maintenant qu'une question à examiner : Faut-il ou ne faut-il pas ajourner?

Quant à savoir à quelles conditions le chemin devra être fait, c'est un point dont nous nous occuperons plus tard.

Je dis donc qu'il n'y a aucune raison d'ajourner.

On dit que la section de Paris à Tonnerre donnera de meilleurs résultats quand le chemin sera fait jusqu'à Châlon. Je le crois bien! je crois aussi que le produit sera plus grand quand vous aurez dépensé 39 millions de plus. (Très-bien!)

Mais une fois ces dépenses faites, comment vous présenterez-vous devant une autre compagnie? Cette cempagnie vous remboursera-t-elle vos 40 millions dépensés en plus?

Vous ne savez rien de cela.

Après neuf mois d'exploitation, vous êtes incertains lorsqu'il s'agit de savoir quels sont les produits entre Tonnerre et Paris: il vous faudra donc au moins un an pour savoir quels seront les produits entre Paris et Châlon. Ce serait done encore un ajournement de deux ans! (Approbation.)

On nous dit: Mais il ne vous viendra personne. Votre projet scra non aveuu! S'il ne vient personne, nous serons condamnés au système de M. Darblay. (Rires.)

Si notre proposition n'est acceptée par personne, si nous avons ce malheur et cette honte de voir le crédit public et l'activité privée à ce point énervés en France, nous reviendrons à la proposition de M. Darblay! (Nouveaux rires.) Nous attendrons et nous irons en rétrécissant le travail et en votant un faible crédit pour la continuation du chemin.

Il y a plus; si nous en arrivons là, permettez à la commision du budget de vous parler nettement!

La commission a cru que la combinaison était bonne, qu'elle nous dispensait d'inscrire an budget 29 millions pour les travaux annuels, qu'elle nous dispensait d'emprunter trop vite et trop tôt ! Aussi, qu'avons nous fait ? Nous avons, tout en réduisant les travaux extraordinaires, cru que cette combinaison nous permettait de voter encore quelques fonds pour ces travaux.

Ici, nous avons laissé continuer des routes; là fait construire des ponts. Eh bien tous ces travaux-là, il faudra les retrancher. (Ah! ah!) Il faudra que nous fassions de réductions sur les différentes parties du territoire. C'est évident.

Messieurs, encore un mot. L'ajournement suspend tout; c'est la pire des résolution L'amendement doit être rejeté; il faut que la Chambre ait l'énergie de prendre un résolution, à quelles conditions? C'est ce que vous avez à examiner.

Ces conditions, vous pouvez les régler, comme vous voudrez, après avoir rejeté l'a jonrnement ! Et si vous arrivez à la conviction que vous ne pouvez pas faire un bo cahier des charges, vous rejetterez la loi. Quand vous aurez rejeté la loi, nous seron dans la situation que propose M. Darblay!

Ainsi, en résumé, il n'y a derrière l'amendement de M. Darblay aucun système, o s'il y avait un système, ce serait le pire de tous. Il n'y a rien que l'ajournement. L'a journement ne résoud rien, n'aide à rien, n'améliore rien.

Enfin, si lorsque nous discuterons les conditions, nous ne parvenons pas à vous de montrer qu'elles sont utiles, honorables, bonnes, eh bien! vous voterez contre la loi, alors nous suivrons l'opération de M. Darblay. (Très-bien! très-bien!)

La séance est suspendue pendant quelques minutes.

Après avoir entendu MM. Victor Lefranc et Darblay, l'Assemblée repousse l'amende ment de ce dernier à une majorité de 358 voix contre 314.

Chronique et Faits divers.

Des troubles qui, fort heureusement, n'ont pas eu de suites graves, ont e lieu à Bru (Vosges), à l'occasion des élections. Dans la nuit du 24 au 25 ma dernier, deux individus en état d'ivresse tentèrent de pénétrer par violence da le poste des gardes nationaux préposés à la garde de l'urne du scrutin. Une lut assez vive s'engagea entre eux et le factionnaire, qui s'opposa énergiquement leur entrée. Daus cette lutte, ce dernier a eu sa blouse entièrement déchiré mais force est restée à la loi.

Procès-verbal a été dressé par la gendarmerie de Rambervillers contre les au teurs de ces troubles; ils ont été déférés au procureur de la République, à Ep nal.

La veuve de M. Victor Grandin, mort il y a quelques mois, représentant peuple, vient d'être victime à Elbeuf, d'un affreux accident.

Le 4 avril, entre cinq et six heures, quelques moments après que les femm qui avaient veillé auprès de madame Grandin, malade, venaient de la quitter po aller à la messe du matin, des cris déchirants partirent de la chambre qu'el occupait. Son frère qui habite la même maison, dès que les cris arrivèrent à s oreille, courut, épouvanté, au secours de sa sœur. Mais déja il n'êtait plus temp madame Victor Grandin venait d'expirer, étouffée, brûlée dans son lit.

Il n'y avait point de feu allumé dans l'appartement de madame Grandin; po se rendre compte de l'accident qui à causé sa mort, on suppose qu'elle aura étendu le bras au-dessus d'une lampe de nuit placée près de son lit et que flamme s'est communiquée à ses vêtements. Madame Grandin était enceinte devait accoucher dans une quinzaine de jours, quand elle a été frappée par ces horrible catastrophe.

On devine aisément la part qu'a prise à ce nouveau malheur la populati d'Elbeuf, qui a donné à la mémoire de son ancien représentant des preuves touchantes de regrets et d'affection.

-M. de Jumilhac, ancien gentilhomme de la chambre de Charles X, vient mourir à Caen.

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- BLIDAH.-La sécheresse qu'il faisait depuis le mois de janvier avait con

promis toutes les récoltes; des prières avaient été ordonnées dans tout le diocèse; bien heureusement elles ont été exaucées; la pluie qui tombe depuis quelques jours a tout sauvé, et l'espérance renaît parmi nos colons. Ils s'étaient end surpassés par leurs efforts; chaque année, la culture prend ici du développement et jette un peu d'aisance dans le pays.

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Deuxième lettre à M. V., représentant, sur les Jésuites.

Monsieur,

(Voir le n° 4981.)

Paris, ce 9 mars 1850.

Ma première lettre a répondu en partie aux questions que vous avez posées. Peut-être serez-vous surpris de m'entendre dire que mes arguments se trouvent en quelque sorte résumés d'avance par un des adversaires les plus célèbres de la Compagnie de Jésus, par un des écrivains qui ont coopéré le plus activement à sa destruction. Pourtant les deux propositions que j'ai émises, savoir, qu'on ne peut contester ni la science, ni les vertus des Pères, sont admises comme incontestables par d'Alembert lui-même; car, dans son opuscule sur la destruction des Jésuites, après avoir parlé des difficultés sans nombre opposées dans l'origine à leur établissement, il dit en termes for

mels:

Ajoutons, car il faut être juste, qu'aucune société religieuse, sans exception, ne peut se glorifier d'un aussi grand nombre d'hommes célèbres dans les sciences et dans les lettres. Les Jésuites se sont exercés avec succès dans tous les genres, éloquence, histoire, antiquités, géométrie, littérature profonde et agréable; il n'est presque aucune classe d'écrivains, où leur société ne compte des hommes du premier mérite.

A tous ces moyens d'augmenter leur considération et leur crédit, ils en joignent un autre non moins efficace, c'est la régularité de la conduite et des mœurs. Leur discipline en ce point est aussi sévère que sage; et, quoi qu'en ait publié la calomnie, il faut ajouter qu'aucun ordre religieux ne donne moins de prise à cet égard. >>

Mais, si la science et les vertus des Pères ne peuvent être révoquées en doute, sur quel motif pourrait-on s'appuyer pour conclure qu'il y a nécessité de les proscrire, et quels sont les arguments invoques à l'appui de cette thèse ? Vous m'avez demandé de les discuter : je vais essayer de répondre à votre attente.

Les allégations produites, dans les séances du 23 et du 25 février, contre les Pères de la Compagnie de Jésus, sont de deux espèces. Les unes, si elles étaient fondées, devraient être dirigées, non contre les Jésuites seuls, mais contre une multitude de personnes de tout état, de toute condition, contre les Evêques, contre le clergé, contre les it magistrats, contre les autorités ecclésiastiques et civiles.

Ainsi, par exemple, on reproche aux Jésuites d'avoir pour che spirituel le chef même de cette Eglise dont notre France s'honore d'être la fille aînée, ce Père de tous les chrétiens, qui aime tant la France, mais que l'on semblerait vouloir séparer d'elle en ne lui accordant d'autre titre que celui de souverain étranger. C'est reprocher aux Jésuites d'être catholiques. Or, la profession du catholicisme ne saurait être un titre suffisant à la privation des droits civils, et l'on ne songe pas vraisemblablement à exiler de notre patrie tous les catholiques, c'est-à-dire, à peu d'exceptions près, à chasser de France tous les Français.

Serait-il plus rationnel de proscrire les Pères de la Compagnie de Jésus, sous ce prétexte que, dans les siècles précédents, des Jésuites ont accepté des opinions généralement admises par leurs adversaires mêmes, des opinions adoptées par les magistrats, par la Sorbonne, par les universités, par les parlements; et ne se sont pas révoltés contre les lois et la jurisprudence établies? Pourtant, si l'on examine les choses de près, c'est ici la matière principale des accu sations portées contre les Pères dans les fameux Extraits, où, après avoir reproché aux Jésuites des opinions dont ils n'étaient pas les auteurs, on a encore dénaturé ces opinions, et tronqué ou falsifié les passages cités. Vous n'exigerez pas de moi sans doute que j'entre dans le minutieux détail de toutes les falsifications qu'on y a découvertes. Je n'en aurais pas le temps; et ceux qui voudront les connaître, pourront recourir à une lecture attentive des Réponses aux assertions, publiées en 1765. Les trois volumes in-4° qui contiennent ces réponses, offrent un examen approfondi de toutes les questions soulevées dans les Extraits, et se trouvent dans toutes les bibliothèques publiques.

Je ferai toutefois ici une remarque générale: c'est que, dans les questions controversées de leur temps, les Jésuites, et spécialement les chefs de l'ordre, ont généralement penché pour les opinions qu leur semblaient les plus conformes à la charité, à la douceur évan.gélique. On les en a même blâmés publiquement, et on leur a reproché trop d'indulgence pour ceux qui s'égarent. Si des reproches en sens inverse leur ont été adressés quelquefois, i's sont pour l'or dinaire mal fondés. J'en citerai un mémorable exemple.

Dans le moyen âge, la question de la légitimité, non du régicide. mais du tyrannicide, et surtout du tyrannicide en certaines circon stances, avait occupé les esprits les plus graves. La doctrine du tyrannicide, professée au commencement du quinzième siècle par Jean Petit, docteur de l'Université de Paris, fut reproduite, non sans de notables modifications, par le Jésuite Mariana. Le roi d'Espagne accepta la dédicace du livre de Mariana, qui était son sujet. Mais, suivant la remarque d'un avocat distingué (M. Paul Lamache), le général de la compagnie de Jésus, Claude Aquaviva, fut beaucoup moins tolérant que sa majesté. Il condamna solennellement la doctrine do

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