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vint s'appesantir sur lui. Il lui fallait connaître la douleur afin de couronner dignement une vie qui n'avait pas cessé d'être agréable à Dieu et aux hommes. Ses dernières années se consumèrent au milieu de vives souffrances nerveuses, qui ne pouvaient être adoucies que par cette religion dont il avait toujours si franchement pratiqué les devoirs et revendiqué les droits. Entouré des soins tendres et infatigables de sa noble compagne, de son jeune fils et de sa fille, mariée depuis trois ans au marquis de Lévis-Mirepoix, il rendit son âme à Dieu le 22 septembre 1847.

Outre les écrits que nous avons déjà signalés, et qui méritent l'attention de tous les amis de la vérité catholique, le comte de Mérode a publié, en 1839, les mémoires très-curieux et très-instructifs de son bisaïeul, feld-maréchal sous l'empereur Charles VI. Il a de plus laissé deux volumes de souvenirs, imprimés seulement pour ses parents et amis, mais qui seront recherchés avec soin et lus avec intérêt par tous ceux qui tiendront à juger notre époque d'un point de vue élevé et bienveillant, et à apprécier un homme fait pour marquer et honorer la transition du passé à l'avenir.

M. LE COMTE DE TASCHER

ANCIEN PAIR DE FRANCE

(1859)

C'était un noble et touchant usage de l'ancienne pairie, comme l'a dit ici même l'un de ses plus illustres membres', que l'obligation de consacrer un hommage public aux pairs de France décédés. Une assemblée politique se rend à ellemême honneur et service quand elle dérobe quelques instants à ses luttes ou à ses travaux ordinaires pour les consacrer à de pieux et pacifiques souvenirs, quand elle entremêle aux préoccupations de la vie courante les fortes et salutaires leçons de la mort. Encore aujourd'hui ses membres dispersés, à mesure qu'ils voient disparaître leurs anciens collègues et s'éteindre une à une des lumières longtemps éclatantes ou secourables, se doivent à eux-mêmes de rendre un dernier témoignage au souvenir d'une si glorieuse coufraternité.

Le Journal des Débats me permettra de remplir dans ses colonnes la tâche que j'aurais certainement essayé d'accomplir, si la Chambre des pairs était restée debout, pour honorer la mémoire de M. le comte de Tascher, décédé le 15 décembre dernier.

Ferdinand de Tascher était né en 1779, d'une ancienne et noble famille de l'Orléanais, qui doit sa principale illustration à l'impératrice Joséphine, mariée à seize ans à M. de Beauharnais, en l'année même où naquit notre regretté collègue. Après son second mariage avec le général Bonaparte, elle fit M. de Barante. Nécrologie du président Boullet.

connaître au futur maître de la France son jeune cousin, et le père de celui-ci dut plus tard à cette parenté d'être appelé au Sénat, après avoir longtemps refusé cette fonction avec le désintéressement et la rare modestie qu'il a laissée pour héritage aux siens. Le jeune Ferdinand de Tascher fut reçu à l'École polytechnique en l'an VIII; mais la vie domestique et civile l'attira plus que la carrière des armes qu'avaient toujours suivie ses pères et où se pressait alors presque toute la jeunesse française. Après avoir passé quelques années au conseil d'État comme auditeur, il avait été chargé, bien malgré lui, d'administrer au nom de la France l'ancien évêché souverain d'Osnabrück. C'était une de ces provinces allemandes qui frémissaient sous la domination impériale. M. de Tascher s'y faisait remarquer et aimer par son équité et par sa modération, lorsque la catastrophe qui termina l'expédition de Russie vint troubler son existence et l'initier de la façon la plus poignante aux épreuves de la vie militaire. Deux de ses frères, plus jeunes que lui, mais déjà signalés par l'éclat de leurs services, faisaient partie de la grande armée. Entraînés dans cette cruelle retraite qui engloutit tant de milliers de Français, ils périrent tous les deux, victimes des blessures et des maladies qu'ils en avaient rapportées. Leur frère aîné, averti bien tard de leurs souffrances, courut au-devant d'eux, et n'arriva que pour recueillir dans un hôpital de Berlin le dernier soupir de celui des deux qui avait pu se traîner jusque-là. M. de Tascher a consigné dès 1814 le récit de ces misères, dont il fut le témoin, dans quelques pages, les seules qu'il ait jamais fait imprimer, et qui, complétées par les lettres que lui écrivait son frère pendant la marche en avant et depuis la rentrée des débris de l'armée en Prusse, ajoutent une nouvelle lumière à toutes celles que des plumes plus célèbres ont versées sur cette page funèbre de nos annales.

A la suite des événements de 1814, il rentrà dans la vie privée et dans l'étude, pour se préparer à remplir les fonctions législatives dont la mort de son père devait l'investir un

il

jour. Entré par hérédité à la Chambre des pairs dès 1823, y fit partie de cette majorité constitutionnelle qui jeta tant d'éclat sur les plus belles années de la Restauration et donna aux délibérations de la pairie une importance et une popularité trop méconnues par le parti libéral, lorsque celui-ci fut devenu le maître. Après la révolution de 1830, le comte de Tascher prêta le plus énergique concours à la tâche difficile et prolongée que s'était imposée le nouveau gouvernement pour concilier l'ordre avec la liberté. Il était de ces hommes comme il en faudrait beaucoup dans tout gouvernement libre, qui défendent avec vigueur et désintéressement le pouvoir, sans briguer ses faveurs, sans lui livrer jamais le droit ou la vérité, mais aussi sans jamais courtiser les passions et les préjugés populaires. On le vit toujours dominé par la conscience et incapable de sacrifier le moindre de ses devoirs au calcul le plus habile ou le plus spécieux. Modeste autant que dévoué, mais animé d'un zèle actif et intelligent, constamment et exclusivement occupé d'accomplir son mandat politique, il nous présentait la fidèle image d'un de ces anciens magistrats qu'on eût bien étonnés en leur parlant de places et de traitements lucratifs, et qui n'envisageaient dans leurs hautes fonctions qu'une charge laborieuse et presque gratuite dont on était responsable envers Dieu et envers la patrie. Le sentiment de ce devoir accompli lui semblait une récompense suffisante ce fut aussi la seule qu'il obtint pendant tout le cours de sa longue et honorable carrière.

Attentif à ne pas dépasser les bornes de la stricte vérité, en parlant d'un homme qui poussait jusqu'au scrupule le respect de cette vérité, je ne chercherai pas à lui attribuer un grand rôle politique qu'il ne rêva ni ne désira jamais. Je ne le suivrai pas non plus dans toutes les discussions importantes où il intervint. Je ne veux relever en lui qu'un seul trait. Il était passionnément épris de l'indépendance et de la dignité du grand corps dont il s'honorait d'être membre; et cette disposition se faisait surtout jour chez lui dans ces

grands procès politiques qui vaudront à la cour des pairs et à son illustre chef, le dernier chancelier de France, une si belle place et une gloire si pure dans l'histoire de la France libre, grâce à son profond respect pour la publicité et la liberté de la défense, grâce aussi à la souveraine équité et à l'inviolable modération de ses arrêts.

D'ailleurs les opinions énergiquement conservatrices du comte de Tascher n'excluaient point chez lui les aspirations d'une âme vraiment libérale. Entre les causes généreuses qu'il se plaisait à défendre, celle de la Pologne, aujourd'hui si oubliée, lui inspirait surtout une vive sympathie, et tant que dura la royauté parlementaire, il ne perdit jamais une occasion de réclamer pour cette nationalité sacrifiée les droits stipulés par les traités de 1815 et si complétement passés sous silence au congrès de 1856.

La discussion de la dernière adresse votée par la Chambre des pairs se termina, le 15 janvier 1848, par l'adoption d'un amendement proposé par M. de Tascher en faveur des Polonais.

Les questions religieuses et charitables excitaient encore plus sa sollicitude; il ne manquait aucune occasion d'y prendre part, et le discours qu'il prononça dans la discussion relative à l'emplacement de l'archevêché de Paris eut l'honneur d'être reproduit en entier par Mgr Affre, d'immortelle inémoire, dans son Traité de la propriété ecclésiastique.

Mais les fonctions législatives étaient loin de l'absorber. Partout où il y avait un service à rendre, un devoir à remplir, un danger à braver, on était sûr de le rencontrer. Quand je le vis pour la première fois, ce fut dans les rangs de la garde nationale, pendant ces jours néfastes de février 1831, où l'émeute profanatrice semblait vouloir à la fois anéantir et déshonorer la nouvelle royauté. Quoique dispensé de tout service, autant par la dignité dont il était revêtu que par son âge et sa santé toujours mauvaise, il avait réclamé le droit de donner à la 10° légion un exemple de courage et de patience que nos ca

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