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<< prouver qu'un homme public doit toujours être plus " circonspect, à mesure qu'il est plus en vue et en

<< nom. >>

Après tous ces orages, et alors que Cousin, le maître et le protecteur de M. Charma, ramenait en définitive la philosophie à la morale, et appuyait la morale sur la religion, et écrivait son livre Du vrai, du beau, du bien, M. Charma donnait ses Réponses de philosophie, ses Études sur le sommeil, sur le langage, et surtout ses Vies de Lanfranc et de saint Anselme. C'est là, dit M. Frère, que l'on trouve le vrai Charma, le défenseur convaincu du spiritualisme et, ce qui plus est, du spiritualisme chrétien.

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Un des derniers écrits de M. Charma est une dissertation sur l'éternité ou la création e nihilo (lettres écrites par M. Charma à M. Henri Martin, doyen de la Faculté des Lettres de Rennes): J'aime, ajoute « M. Frère, à reposer ma pensée sur ce dernier travail « de sa vie : il la couronne si bien. - Il nous laisse de « cet aimable métaphysicien une impression si con« solante de foi, de science, de beauté d'âme ! » — A l'appui de son opinion, il cite le passage suivant de l'ouvrage Faire jaillir, dit M. Charma, la matière « du néant, e nihilo, et par suite, établir définitivement « l'existence d'une force créatrice, d'un Dieu tout«< puissant, qui fait, quand il lui plaît, apparaître quelque chose là où il n'y avait rien, telle est ma «thèse. » Et plus loin : « Ce quelque chose d'éternel, << parfait en temps qu'éternel, est de toute nécesité « encore doué de toutes les perfections; il est parfaiatement intelligent, parfaitement puissant, parfaite«ment libre, il est l'ensemble de tout ce que notre << raison conçoit dans l'être suprême, dans l'être que

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<< nous appelons Dieu, il y a donc un Dieu, et ce Dieu, «c'est l'Éternel. »

« Vous, dit M. Frère, qui l'avez entendu accuser de « matérialisme, n'êtes-vous pas heureux de savoir «< qu'il s'est endormi dans la tombe, ce dernier mot sur « les lèvres, un vrai mot de philosophe chrétien en«trant dans l'éternité ! »

M. Charma, suivant son biographe, n'était pas seulement un philosophe chrétien, c'était aussi un antiquaire, mais pas un antiquaire comme tout le monde: « Il mêlait, dit-il, à toutes choses, même à l'étude des << tombeaux romains ou des vases gaulois, un grain de « cette philosophie analytique qui le suivait partout; « pour lui, l'archéologie n'est pas l'art de piocher aux << bons endroits, mais une science ayant des principes, << un but dans l'ensemble des connaissances humaines; « sa doctrine me paraît très-nettement résumée dans <«< ce mot inscrit par lui au commencement d'une de « ses plus intéressantes recherches : « Étudions ses « détails, mais ne nous y arrêtons pas. » En effet, « c'est bien là sa manière de procéder: soigner l'anaalyse, mais pour la synthèse. Grâce à l'observation « de ce principe, ses travaux archéologiques ne con«sistent pas en une nomenclature fastidieuse; il a « toujours en réserve une vue d'ensemble qui donne à « son style une élévation à laquelle on ne s'attend pas, « à sa pensée une portée qui surprend en pareille << matière. »

M. Charma était encore un biographe distingué: «Ses biographies de Fontenelle et de Condorcet, pour « les théories duquel il est très-indulgent, révèlent, « dit M. Frère, d'éminentes qualités littéraires ; l'his<toire de la vie et des œuvres de Lanfranc, de saint An

«selme, de Guillaume de Conches, sont d'importants « ouvrages qui suffiraient, à eux seuls, pour illustrer la « plume et la pensée qui les ont créés. » Lanfranc, considéré dans sa vie active et surtout comme administrateur, n'est pas, pour M. Charma, un génie de premier ordre, il n'est qu'une cause seconde; « le principe de « son mouvement, dit-il, n'est pas en lui; il ne saurait « y avoir deux grands hommes dans un même sys« tème, pas plus qu'il n'y a deux âmes dans un corps. « Le premier moteur, c'est Guillaume (le Conquérant ). « Mais, ajoute-t-il, je ne voudrais pas non plus l'amoina drir, et c'est quelque chose que d'avoir compris une << haute pensée, et d'en avoir été, pendant près de vingt ans, le digne ministre et l'intelligent inter« prète. »Ne voyant plus en lui l'homme public, mais l'homme de science, et l'étudiant comme écrivain et comme philosophe, M. Charma reconnaît que Lanfranc a contribué par sa leçon à former (et c'est bien là son meilleur ouvrage) un des esprits les plus élevés, un des philosophes les plus profonds du moyen-âge, saint Anselme de Cantorbéry, sur le front duquel brilla du plus vif éclat la double auréole de la piété et du génie.

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M. Frère partage de tout son cœur les préférences de M. Charma pour saint Anselme : « Saint Anselme a pour lui, dit-il, une individualité caractéristique dont le << trait principal est la foi la plus sincère, et en même temps la plus réfléchie. Évêque à un moment où il « était surtout difficile de l'être, il déclarait à Henri Ier, «< ce monarque assez instruit pour mériter le surnom « de Beauclerc, qu'il ne se reconnaîtrait l'homme d'au<«< cun mortel. Je suis chrétien, disait Anselme, je suis « moine, je suis évêque, je veux garder ma foi à tous, « selon ce que j'en dois à chacun. A sa douceur, dit

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« M. Charma, qui naturellement dégénérait en faiblesse, « se substitue, dans sa vie publique, une énergie qui va « quelquefois jusqu'à l'âpreté; son humilité, plus que chrétienne, fait place à une assurance qu'on pren« drait pour de la hauteur ! C'est que, ajoute M. Charma, l'apôtre s'est mis au service d'une loi qui ne fléchit point; c'est qu'il parle au nom des sublimes vérités « devant lesquelles tout n'est que poussière et néant; «< c'est que le dernier vicaire du Christ est encore bien << au-dessus du premier des princes de la terre! il n'est « pas de couronne qui ne s'abaisse devant la main qui «< bénit. >>

Après avoir décrit la vie active d'Anselme, nous l'avoir fait connaître comme un des chefs les plus intrépides de l'Église militante au XIe siècle, il le suit dans. sa vie spéculative; il essaie de démontrer que, si Anselme fut le plus grand prélat de son temps, il en fut encore le maître le plus habile, l'orateur le plus éloquent, l'écrivain le plus distingué, le plus profond philosophe.

C'est avec une intention patriotique, dit M. Frère en terminant, qu'il a passé moins rapidement sur la partie de l'œuvre de M. Charma qui touche spécialement la Normandie. Nous devons l'en féliciter, car, comme il l'a dit si bien a Lanfranc, saint Anselme et l'abbaye du Bec « sont des gloires normandes, et, par ces temps de « mollesse, on doit avoir la fierté de ses gloires régionales, comme d'autres ont la fierté de leurs aïeux. »>

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RENAULT,

Conseiller honoraire à la Cour,

Compte-rendu d'une brochure de M. l'abbé Tapin sur saint Thomas de Cantorbéry, par M. Gaston Le Hardy.

Suivant une tradition recueillie par des historiens que personne n'ose accuser de l'avoir inventée, saint Thomas de Cantorbéry, durant l'exil qui précéda sa mort, passa quelques jours au Val-Richer et à Lisieux, où l'on garde encore aujourd'hui, comme reliques et témoins de son passage, quelques ornements épiscopaux ayant alors servi au futur martyr des libertés de l'Église catholique, immolé aux royaux essais des libertés anglicanes.

Dans la petite brochure dont vous m'avez chargé de vous rendre compte, M. l'abbé Tapin s'est donné la tâche de détruire la vieille tradition lexovienne. Cependant, à l'aide de quelques restrictions plus ou moins nettes et de suppositions plus ou moins hasardées, il prétend disjoindre la question du séjour de saint Thomas au Val-Richer et à Lisieux de l'authenticité de ses reliques.

« C'est ainsi, dit-il, que nous éloignons de nous tout soupçon d'attenter au respect dû aux choses saintes, en même temps que nous sollicitons les esprits sérieux à des efforts dont le résultat doit être d'augmenter la piété, de dissiper des inquiétudes et d'éclairer l'ignorance toujours prétentieuse des contradicteurs.

« Nous n'avons donc plus en présence que cette donnée de la tradition qui affirme que saint Thomas de Cantorbéry a passé au Val-Richer le temps qui s'est écoulé depuis le jour où il fit sa paix avec son roi jusqu'au moment où il se disposa à rentrer définitivement dans son diocèse. »>

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