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dernières villes, le chef de la confrérie prenait le titre d'abbé; à Cherbourg c'était un bailli. En 1554,

le bailli des Cosnards était un nommé Guillaume Simon, fabricant de meules de moulin et fournisseur du manoir du Mesnil-au-Val.

Ailleurs, nous retrouvons la fouace de Bayeux et de Caen, et le simenet de Valognes.

En 1559, nous voyons paraître dans la basse-cour du manoir un coq et une poule d'Inde, alors que nous lisons partout que le premier dindon importé d'Amérique par les Jésuites figura au festin des noces de Charles IX, en 1570.

Pour les chasseurs, le chapitre relatif au gibier offre également un vif intérêt. La grande forêt et les marais qui couvraient la majeure partie de la presqu'île renfermaient de nombreuses variétés d'animaux. Le gros gibier à poil n'y manquait pas et plusieurs oiseaux qu'on y trouvait en ont disparu. Nous citerons une espèce de très-forte bécasse désignée sous le nom de vitecoq et dont les habitudes régulières servaient en quelque sorte d'horloge; on disait, pour indiquer une certaine heure de la journée, il était « vol de vitecoqs. >>

Les moyens de chasse étaient variés aussi. Les armes à feu étaient fort appréciées, quoique le maniement en fût encore très-incommode. Le demi-frère Symonnet était un tireur d'arquebuse ou de haquebutte renommé. Cependant l'arbalète avait été conservée grâce à sa légèreté et surtout à sa discrétion. L'ordonnance d'Orléans du mois de janvier 1560 était sévère, en effet, pour les porteurs d'arquebuse. On en devine la raison l'atmosphère politique et religieuse était chargée de tempêtes; le vent soufflait

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à la sédition; jusque dans la Hague on savait préparer le charbon de bourdaine et affiner le salipêtre pour faire de la pouldre à canon. Dès 1554, on en fabriquait au Mesnil sous la direction de Symonnet l'habile harquebuttier.

Nous ne nous arrêterons pas à décrire tous les genres de chasse énumérés dans le Journal. La chasse au cerf et la chasse au loup avaient une importance particulière ; on se servait, pour forcer ces animaux, d'une race de grands levriers à moitié sauvages et qui, à défaut de cerfs et de loups, s'attaquaient aux bestiaux errant dans la forêt et essayaient de les dévorer.

Nous nous contenterons également d'indiquer les paragraphes relatifs aux fabriques de verrerie et de poterie qui existaient dans le pays, notamment à Brix et à Saulsemesnil, où la seconde industrie s'exerce encore. Nous releverons seulement deux détails qui nous semblent bons à noter: en 1554, on distillait le cidre au manoir; on en faisait de l'eau-de-vie; les alambics venaient de la verrerie de Brix et les récipients, ou, selon l'expression employée, les cuves des alambics venaient de Saulsemesnil. Les flacons de verre de Brix avaient une certaine réputation; Gilles de Gouberville, se rendant à Caen, en 1562, pour solliciter quelque faveur, en offrit une douzaine à M. le trésorier général Novince, dont il avait sans doute besoin. Ajoutons, en passant, que notre voyageur descendit à l'hôtellerie du Pot-d'Étain << sous le château, hors la ville; » c'est-à-dire sur la paroisse St-Julien, et à l'endroit bien connu de tous les habitants de notre ville, où un frais verger planté de pommiers, a depuis quelques années, fait place à

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des chantiers boueux et à des hangars en vieilles planches.

Gilles de Goubervile, vivant au fond de ses bois et de ses champs, était souvent obligé de se suffire à luimême et d'être la providence de ceux qui l'entouraient et dont il était le seigneur et maître; aussi avait-il étudié la médecine et l'art de panser les blessures, de façon à subvenir aux cas les plus pressants. Le chapitre intitulé Science et pratique médicale nous le montre tantôt se servant de la lancette; tantôt composant des onguents, appliquant des emplâtres ou posant des compresses sur une tête compromise dans une querelle ; - dans ce temps-là les épées sortaient facilement du fourreau; - tantôt, enfin, donnant des consultations ou envoyant quérir le chirurgien, le barbier ou le médecin.

M. Tollemer a pu, en rapprochant les notes éparses dans les manuscrits, nous faire connaître l'état de l'art de guérir dans cette partie reculée de notre BasseNormandie, Le médecin qui jouissait le plus de la confiance du châtelain était un missire Raoul Dager qui cumulait les fonctions médicales avec les fonctions ecclésiastiques; il était vicaire à Valognes. Le plus célèbre rebouteur de la contrée était aussi un prêtre, vicaire à St-Vaast. Il y avait, en outre, d'assez nombreux chirurgiens et barbiers à Cherbourg, à Valognes et à Montebourg.

La science ne paraissait pas être sortie encore de la méthode empirique. Le moyen par excellence, et le plus constamment pratiqué d'établir le diagnostic était de porter, dans une fiole, l'estat du malade au médecin. De nos jours, cela s'appelle l'uroscopie; mais notre vieux sire ne savait pas le grec, quoiqu'il eût

appris d'un savant Tourangeau en voyage à tracer quelques lettres de l'alphabet de la langue d'Hippo

crate.

Quant à la pharmacopée en usage elle n'était pas très-compliquée. Le cidre et la bière en faisaient le fond. A ces deux principaux remèdes qui n'étaient pas de nature à inspirer de répugnance à la plupart des malades, s'ajoutaient quelques purgatifs sous forme de bols et spécialement des pillules dites sine quibus, quelques apozèmes et surtout des chaudeaux au vin rosette ou au vin clairet, relevés de cannelles, de rigolice et de gingembre, souverain spécifique contre le rhume et d'un emploi fréquent au manoir, car Gilles de Gouberville confesse qu'il s'enrhumait souvent; il suffisait pour cela d'une salade de pourpier trop froide ou d'un souper trop succulent.

Les chapitres qui suivent celui que nous venons d'analyser traitent de tout ce qui touche l'exploitation agricole du domaine. Nous dépasserions de beaucoup les limites d'un compte-rendu, si nous voulions indiquer même sommairement ce qui nous est appris sur la culture des pommiers, la fabrication du cidre, le jardinage, les labours, les engrais, les instruments aratoires, les ensemencements, la moisson, les bestiaux à l'étable, aux champs et en forêt, le prix des denrées, les foires et marchés du pays, etc., etc. Il y a dans tout cela une mine inépuisable de renseignements ignorés sur un siècle que nous ne connaissons guère que par son humeur turbulente et ses agitations sanglantes. L'impression générale qu'on retire de la lecture de cette partie du livre, c'est qu'à côté de perfectionnements à introduire, il y avait d'excellentes méthodes pratiquées et que, sur certains points, nous

aurions, même à notre époque, d'utiles conseils à recevoir du gentilhomme campagnard qui était un agronome très-intelligent, aussi ennemi des théories téméraires que de la routine, et qui ne dédaignait pas de résider sur ses terres et de diriger lui-même ses laboureurs.

Les occupations domestiques auxquelles il se livrait avec une persévérance que rien ne lassait, n'empêchaient cependant pas le sire de Gouberville d'exercer des fonctions publiques. Il occupait depuis de longues années un grade élevé dans l'administration des eaux et forêts. Il était lieutenant, en la vicomté de Valognes, du grand maître des eaux et forêts de Normandie; il avait succédé à son père Guillaume que l'on trouve dès 1525 muni de cette charge. Mais le fils désirait de l'avancement. Une place de maître particulier au baillage du Cotentin allait être créée; il résolut d'aller lui-même la solliciter. D'un autre côté, une ordonnance du roi Henri II, du mois de février 1554, enjoignait à tous les officiers forestiers de se faire délivrer de nouvelles commissions et, « pour ce, de se retirer par devers le roi. » La Cour, à ce moment, était à Blois. Du Mesnil-au-Val, le voyage était long, coûteux, et fatigant; mais, au XVIe siècle, un solliciteur n'était pas arrêté par un tel obstacle. Gilles de Gouberville, escorté de Symonnet jusqu'à Bayeux, puis accompagné de son homme de confiance Cantepie et de Lajoie, son laquais, se mit en chemin le lundi 20 janvier 1555, et, malgré la rigueur du temps, arriva à destination le 28.

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Nous avons dans le Journal le récit détaillé de ce voyage où tout est noté avec une exactitude minutieuse: chaque étape de la route, le nom de l'au

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