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moteur des études historiques en France, et dont le nom illustre, l'honneur de notre pays, rallie les opinions les plus divergentes dans un même sentiment de sympathique vénération.

Et comme, par une faveur spéciale de la Providence, M. Guizot conserve la santé de l'âge mur, l'énergie de l'âme et par-dessus tout le feu sacré de l'amour du vrai et du beau, la Conpagnie a eu confiance en son bon vouloir et l'a nommé, pour la deuxième fois, son Directeur pour l'année de son jubilé, se souvenant de la séance qu'il avait présidée en 1838.

Après ce long intervalle de 35 années, la Société est d'autant plus heureuse de ce bienveillant patronage qu'elle a entrepris une œuvre plus importante que jamais.

J'aurais eu, en effet, Messieurs, à vous entretenir de ce qui a fait la préoccupation constante de chacune de nos séances, de cette saisissante « merveille » du Mont-St-Michel que l'on admire d'autant plus qu'on la contemple plus souvent et de plus près; mais nous avons la bonne fortune d'avoir parmi nos confrères les plus autorisés pour en parler pertinemment, le sagace éditeur des chroniques de Dom Huynes et de Dom le Roi, M. le conseiller Eug. de Beaurepaire, qui, voisin et bon voisin du Mont-St-Michel, ne le perd jamais de vue durant les vacances de la Cour.

Aussi, lorsque notre dernier directeur, Mgr Bravard, à bout de ressources, mais non de courage ni de sacrifices de tous genres, de temps, d'argent et de santé même, se vit dans l'impossibilité de sauver tout seul de la ruine les pierres sacrées de la basilique aérienne, lorsque, ne se pouvant résigner au désolant spec

tacle de sa dégradation, il fit appel au concours de la Société des Antiquaires des Normandie, nous fûmes tous d'accord pour confier à M. le conseiller Eug. de Beaurepaire, en lui adjoignant M. Gaston Le Hardy, l'honneur d'être l'avocat et le champion de l'œuvre de la restauration du Mont-St-Michel, et de plaider sa cause devant l'auditoire de la Sorbonne, ainsi que devant l'assistance éclairée de notre solennité d'aujourd'hui.

M. Eug. de Beaurepaire n'ayant pu se rendre au Congrès des Sociétés savantes, ce fut M. Gaston Le Hardy, qui, dans cette même salle de la Sorbonne, où nos devanciers applaudissaient avec enthousiasme les leçons sur la civilisation en Europe, à l'époque vraiment épique du haut enseignement,-sut faire vibrer la fibre patriotique et réveiller en quelque sorte un écho de ces applaudissements du passé, en parlant avec sa conviction de français et de chrétien de cette merveille de l'Occident, « de cette citadelle inexpugnable, qui trente années durant, au milieu de ses grèves, a devait rester vierge de la conquête étrangère et « porter fièrement la bannière française jusqu'au jour << de la commune délivrance (1). »

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Il faut convenir aussi que cette œuvre porte bonheur à ceux qui s'en occupent, témoin ce splendide album que nous devons à la libéralité de Mgr Bravard, et où se trouvent réunies toutes les photographies de chacune des parties de la citadelle et de la basilique, qu'il a fait exécuter par un bien modeste frère de l'abbaye qui se trouve être un véritable artiste.

(1) Léon Puiseux, « Entrée triomphale de Charles VII, à Caen, en 1450. »

Cet album, envoyé par notre Compagnie à l'Exposition d'Alençon, y obtenait une médaille au moment même où notre confrère, M. Corroyer, recevait à l'Exposition de Paris, la grande médaille d'or pour ses dessins dignes du monument dont on lui a confié l'étude et la restauration : c'est dire que le Gouvernement ne pouvait mieux s'adresser au double point de vue du talent et du zèle, car à cette heure même, M. Corroyer surveille les travaux de consolidation entrepris avec les premières ressources obtenues par le crédit de notre illustre Directeur.

Si, des hauteurs du Mont sacré et inviolé, nous descendons dans la plaine de Caen, en voyant nos jolies églises de campagne réparées ou en train de l'être, nous nous féliciterons de ce que, depuis trois ans, notre Société a voix délibérative pour le choix et la désignation des monuments historiques les plus dignes de participer à la répartition des sommes allouées à cet effet par le Gouvernement et par le Conseil général.

Saluons aussi et félicitons M. le Maire de Caen et son infatigable prédécesseur, secondés par le talent des architectes, nos confrères, MM. Auvray, LavalleyDuperroux et Ruprich-Robert pour leur restauration des églises St-Pierre, St-Sauveur, St-Julien, sans oublier la belle nef de l'Abbaye-aux-Dames, dont la réparation sera l'un des titres qui feront le plus d'honneur à l'administration de M. Bertrand.

Mais les Antiquaires ne se bornent pas à admirer, à réparer les débris du passé à fleur de sol, ils le creusent et ouvrant de larges et profonds sillons, ils déterrent des archives lapidaires qui deviennent une mine inépuisable de richesses perdues ou inconnues,

Ici, ce sont des armes, des coutelas, des agrafes, des anneaux, des fibules et des amulettes, comme aux fouilles gallo-romaines et mérovingiennes de Conteville et du Val-des-Dunes, surveillées avec un dévouement si intelligent par notre confrère, M. l'abbé Noël, curé de St-Aignan-de-Cramesnil.

Là, c'est toute une villa et une voie romaine que poursuit avec une ardeur fervente, qui ne se refroidit pas, M. J. Tirard, de Condé-sur-Noireau, auquel nous devrons une carte archéologique du Calvados.

Ailleurs, c'est un pavage en mosaïque dont M. de La Porte, de Lisieux, nous envoie le dessin et la description; là encore, des fouilles importantes que notre confrère, M. Moisy, sans interrompre ses recherches philologiques, pratique avec autant de désintéressement que de modestie; car, c'est par d'autres que nous avons été instruit de la surprise que nous ménage notre généreux confrère; nous ne trahissons pas un secret qui ne nous a point été confié.

De là, des bourriches de pierres, de silex antéhistoriques, de briques romaines, débris de gigantesques travaux, enfouis dans le sol et dans l'oubli, épaves de tous les siècles, monnaies de tous les pays qui nous arrivent de tous côtés, envoyées par MM. Costard, Danne, Paul Drouet, l'abbé Noël, auquel nous devons la belle cuve baptismale, du XIIe siècle, qui ornait l'église de Rocquancourt, et M. Lavalley-Duperroux qui a déblayé, parmi les moellons d'un mur, remontant au XIIe siècle, de l'église de Villers-sur-Mer, un médaillon orné d'une figure coiffée d'une toque que surmonte un as de pique. Nos jeux de cartes ou tarots ne semblent pourtant pas remonter en Europe au-delà du XIIe siècle. C'est une curiosité historique à étudier; cet ornement

singulier est-il antérieur ou postérieur à l'as de pique de nos jeux de cartes ?

Il ne serait ni juste ni même possible de parler de fouilles, sans citer l'exhumateur en titre et défouisseur par excellence, M. l'abbé Cochet, qui nous envoie presque à chaque séance des notes intéressantes sans doute, mais notes imprimées, sur ses exhumations quasi-quotidiennes; aujourd'hui il nous écrit, bien pour nous cette fois : Croyez à tout mon regret de ne pouvoir me mêler « au bataillon sacré de l'archéologie, afin de célébrer « notre première cinquantaine. J'ai vu naître la com

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pagnie et j'eusse été heureux de me réjouir avec « vous de sa durée et de la verte vieillesse de notre « vénéré Directeur. >>

Cette lettre nous ramène sur terre et au moment précis de nos séances, où nous analysons la correspondance; elle a été cette fois plus nombreuse que jamais, car il nous arrive de Belgique, de Suisse, d'Italie, et surtout d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, des lettres qui, toutes, expriment les plus vifs regrets de leurs auteurs de ne pouvoir venir fêter en personne notre cinquantaine, et le témoignage particulier de leurs souhaits pour notre Directeur. N'en citons qu'une seule qui donnera le ton des autres, celle de lord Stanhope, écrite en excellent français :

« Ç'aurait été un bien grand plaisir pour moi de « revoir, après un intervalle de plusieurs années, votre « illustre Directeur, et d'entendre encore une fois cette a voix si éloquente et toujours si prête à s'élever pour <«<le soutien de tout ce qui est noble et utile. >>

Tels sont les sentiments, sous des formes diverses dans la rédaction, que nous retrouverions dans les lettres de MM. Caulfield, Daniel Gurney, Major, Wood et du

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