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l'excommunication venait à frapper une ville, une province, une nation, de son redoutable anathème? L'église, alors hermétiquement fermée aux chants et à la prière, était aux yeux des populations comme un grand tombeau muet qui ne laissait pas sortir de ses flancs le moindre signe de vie. Les inhumations, les baptêmes, les mariages se faisaient aux portes. Les quelques prières permises se murmuraient sous les portiques des temples, devenus silencieux comme la tombe. Les porches alors étaient les seules églises et l'unique intermédiaire entre Dieu et l'homme, entre la terre et le ciel. Deux processions célèbres de l'année chrétienne s'arrêtaient dans les porches et les parvis pour leur station annuelle. L'une était celle des Rameaux, figurant l'entrée triomphante de Jésus dans Jérusalem. C'est là que le prêtre prononçait cet émouvant Attollite portas, qui toute la vie retentit dans nos oreilles d'enfant. C'est là aussi que la procession stationnait le jour de l'Ascension et que deux chantres, montés dans les galeries, adressaient aux fidèles, représentant les apôtres, ces paroles sorties de la bouche des anges: « Viri Galilæi, quid statis aspicientes in cœlum? »

Ce chant du Viri Galilæi avait fait appeler la tribune galerie et le porche Galilée. Ce nom de Galilée se retrouve surtout en Angleterre, et le moyen-âge l'avait appliqué à plusieurs cathédrales et abbayes, notamment aux églises de Durham, de Lincoln et d'Ely. A Caudebec, en Normandie, on appelle Viri Galilæi la galerie où le jour de l'Ascension les chantres entonnaient ce répons célèbre. Le bréviaire des Chartreux de 1560 appelle encore Galilée le parvis qui précède le lieu saint.

Maintenant que nous avons fait connaître les diffé

rents usages des porches, selon les siècles et selon les pays, disons un mot de leur histoire architecturale.

Nous ne savons au juste quand a commencé l'usage des porches proprement dits. Il est vraisemblable qu'ils auront succédé aux parvis ou aîtres, qui furent toujours usités dans l'Église. A vrai dire, nous ne connaissons pas de porche roman. Nous ignorons s'il en existe quelque part (1) et même s'il en a jamais existé. Nous connaissons quelques porches du XIII siècle. Il y en a notamment au côté méridional de l'abbaye de Fécamp, de la collégiale d'Eu et de l'église prieurale d'Auffay. Il en existe au portail nord de St-Nicolas d'Ibermond. Nous pourrions presque considérer comme tel les voussures profondes qui décorent les portails des cathédrales de Reims, de Chartres et d'Amiens, ainsi que d'un grand nombre de basiliques du même temps. Mais le portique de Notre-Dame de Dijon est trop remarquable pour n'être pas cité. Je connais un porche du XIVe siècle au nord de l'église St-Jacques de Dieppe et au midi de l'abbaye de St-Ouen de Rouen. Le mème siècle avait projeté un porche à l'entrée de cette basilique; il fut détruit en 1845. La ville de Rouen montre de charmants porches en pierre sculptée, du XV siècle, à l'entrée des églises de St-Vivien, de St-Maclou et de St-Vincent; n'oublions pas ceux qui se voient aux portes des églises du Tréport et de Harfleur. Mais c'est assurément le XVIe siècle qui a construit le plus de porches dans nos églises. Nous en connaissons de cette époque construits en bois ou en pierre, et qui sont de vrais travaux d'art. Je citerai de ce nombre les porches de Ry, de Bosc-Bordel, de Neufbosc, de St

(1) On nous a cité un beau porche roman à la cathédrale d'Autun.

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Paër, d'Épinay-sur-Duclair et de Hodeng-en-Bray

(Seine-Inférieure).

Le XVII siècle en a élevé un grand nombre en bois sculpté, témoins ceux d'Auppegard et de Bully, en Normandie.

Le XVIII siècle, loin de les détruire, les multipliait encore parmi nous. Toutefois, nous avons à reprocher à l'année 1780 la destruction du porche d'Arques, qui était en pierre.

C'est le XIXe siècle qui a fait aux porches une guerre acharnée et qui la continue jusqu'à extermination. Nous pourrions dresser un nécrologe de tous ceux qui meurent chaque année, et nous aurons toutes les peines du monde à en conserver quelques-uns comme spécimens de coutumes qui ne sont plus et d'une liturgie qui s'en va. Ce ne sera qu'à titre de monuments historiques et avec toute la complaisance de nos confrères que nous conserverons les porches de Rebots, de Ry et de Bosc-Bordel, afin de donner à la postérité une idée de ces monuments que nous regrettons.

Nous terminerons ce travail en décrivant le porche de Bosc-Bordel, dont nous croyons avoir assuré l'existence en le faisant classer comme monument historique et en mettant son entretien à la charge du dépar

tement.

Ce porche est une charpente en bois, recouverte de tuiles. A la base, sont des murs hauts d'environ un mètre et imitant une mosaïque de caillou noir et blanc. La forme de l'entrée présente une abside triangulaire. Les poteaux en bois sont tous décorés de statues. Dans les intervalles, descendaient des ornements découpés et se plaçaient des torsades qui ont disparu. Les poutres transversales qui soutiennent le toit sont décorées de

dragons à la gueule béante. Une vigne élégante, symbole du peuple chrétien, décore la corniche.

Parmi les statues qui soutiennent les poteaux formant colonnes, je distingue saint Nicolas avec ses trois clercs, saint Michel avec son dragon, saint Jean, saint Sébastien, sainte Anne et sainte Catherine.

Mais la partie la plus intéressante, c'est le grand bas-relief sculpté qui décore l'entrée. Malheureusement il a été grandement usé par la pluie et les vents. Malgré cela, il offre un vif intérêt. On y voit, ce qui se reproduisait souvent dans les églises du moyen-âge, une représentation de l'enfer et du paradis, une résurrection générale avec le jugement dernier. C'est là un sujet fréquent sur les tympans de nos grandes basiliques. Pour ne citer que des édifices connus de tous, nous indiquerons les cathédrales de Rouen et de Paris, les églises de Saint-Maclou de Rouen et de Saint-Jacques de Dieppe.

Sur le porche de Bosc-Bordel, on voit les morts sortir de leurs tombeaux à la voix des anges qui sonnent de la trompette. Dans un des angles de cette composition, on remarque une barque où rame, un nocher, passant sur un fleuve les corps ressuscités. C'est là une réminiscence classique de la barque à Caron. Elle se trouve bien à Rome sur le jugement dernier de Michel-Ange. Au milieu du tableau est le Christ assis, prêt à juger le monde. Autour de lui sont rangés les plus grands saints du paradis. Voici de quelle manière M. l'abbé Decorde complète la description de ce bas-relief: « Du sommet de la scène, on voit le souverain juge, plein de puissance et de majesté, ayant à ses côtés deux anges qui réunissent les hommes au son de leurs trompettes.

Dans le bas, est la foule ressuscitée, en proie à

la consternation. Aux pieds du juge, un ange tient d'une main une épée flamboyante, et de l'autre les balances de l'éternelle justice, destinées au pèsement des âmes. Les justes sortent du plateau de droite, sous une forme svelte, et comme spiritualisés, pour aller au paradis. Les réprouvés tombent du plateau de gauche, attirés par un démon, pour aller en enfer. La SainteVierge, à genoux auprès de son divin Fils, lui présente les élus, qui sont reçus à la porte du ciel; et saint Pierre, muni de ses clefs, les introduit dans la béatitude céleste, par le ministère des Anges. Le paradis est figuré par une espèce de palais dans lequel on voit les élus occuper diverses places.

« L'enfer est à gauche. On voit, à genoux, aux pieds de Jésus-Christ, un réprouvé qui demande grâce en rappelant quelques bonnes œuvres qu'il a faites. Mais cette prière trop tardive est repoussée. Satan, muni d'un long croc, préside à la scène de désolation au milieu de laquelle il retrouve ceux qu'il avait séduits. Puis on voit plusieurs démons occupés à recueillir leurs victimes dans la funeste Babylone, où ils ont établi leur demeure. Un de ces démons étreint un damné par le cou et le met dans la hotte d'un autre démon qui pousse une brouette chargée de réprouvés. Il la renverse à la porte de l'enfer, au milieu de plusieurs autres damnés qui frémissent à la vue de leurs supplices. Enfin, on voit, dans le bas, une chaudière remplie d'un liquide bouillant, au milieu duquel se débat la multitude des damnés, confiés à la garde d'un démon, qui retient avec un crochet ceux qui cherchent à sortir de ce séjour, où ils doivent brûler pendant toute l'éternité.

L'abbé COCHET.

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