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Arabes n'ont rien pu inventer en architecture; cela ne pouvait être dans la destinée d'un peuple, primitivement et pour la plus grande partie, nomade. Les Arabes out d'abord conquis sur les Grecs, et leur première architecture a été byzantine, témoin la mosquée d'Amrou au Caire, ouvrage du VII. siècle, entièrement à plein cintre, sans traces de fer à cheval, et presque sans encorbellement des archivoltes sur les impostes. Dans le commencement du siècle suivant, les Arabes font la conquête du second empire de Perse, et l'architecture des Sassanides devient leur architecture favorite. Consultez les voyageurs anglais qui ont donné le palais de Sapor, et généralement tous les monuments de cette monarchie, et vous trouverez constamment l'arc brisé dans toutes ses applications. Jusque là l'ogive, connue des Grecs anciens, et qu'on retrouve dans les monuments Pélasgiques, dans plusieurs tombeaux Helléniques de la Sicile, à l'ouverture de l'aquéduc de Tusculum, l'ogive n'avait été qu'un accident, un caprice, une irrégularité. Chez les Sassanides, elle nous apparaît, comme règle, comme habitude, comme le principe de goût. L'étude de l'ogive doit donc commencer par des recherches approfondies sur les monuments du second empire de Perse; mais on ne possède encore sur ce point que des données incomplètes ; je ne connais aucuns dessins des monuments de Bagdad, ni de ceux de Damas, dont la mosquée passe pour la plus belle de l'Orient.

« Au Caire, ou à l'influence persane et byzantine vient se joindre celle des monuments si voisins et si frappants de Memphis, la série des monuments à ogives commence par le Meqias, ou nilomètre de l'Ile de Rodah, enceinte carrée sur les parois de laquelle se dessinent ( si je ne me trompe,) quatre ogives, une pour chaque face, interrompant une frise, décorée

d'une inscription cufique. Je ne suis pas à même de vous affirmer rien de certain sur le contenu de cette inscription ; mais ce qui me paraît incontestable, c'est, 1°. que le Meqiâs a été construit vers l'an Soo de notre ère, et refait probablement en partie seulement en 850; 2o que les ogives font partie intégrante et nécessaire de la décoration originale; 3°. que les réparations successives n'ont en rien altéré la décoration trèssimple de ce monument. Mais le Meqiâs nous manquerait, que nous trouverions un argument plus que suffisant, pour nous autres occidentaux, dans la mosquée d'Ebn-Touloun lieutenant des Califes en Egypte, pendant la dernière moitié du IX. siècle; mosquée qui subsiste en son entier, et qui, abandonnée depuis long-temps, et préservée de la destruction par la douceur du climat bien plus que par le soin des hommes, nous présente dans son ensemble le plus riche spécimen du goût des Arabes à la plus belle époque de leur histoire. Cette mosquée est gravée en partie dans le grand ouvrage d'Egypte : il est vrai qu'on n'a conservé que les masses et que l'on a supprimé tous les ornements, probablement le dessin original n'en donnait pas davantage. Mais ici la question de l'ornement n'est qu'accessoire : l'ogive est le point principal, et vous la trouverez nettement écrite, petite et grande, dans toutes les parties de la mosquée de Touloun.

« Pour les époques qui suivent, le classement offre de grandes difficultés; je ne puis donc vous citer avec certitude que la mosquée d'El-Hasar,construite sous les Califes Fatimites; par conséquent dans le cours du XI. siècle, et où j'ai trouvé le premier exemple du surrélèvement des arcs par le prolongement de l'archivolte. Au XII. siècle, nous arrivons aux monuments de Saladin, nombreux au Caire, et dont la parité avec les Eglises du XIIIe siècle (sauf la naïveté qui n'existe

pas en Orient) ne me paraît pas plus contestable que la lumière du jour. Avant donc qu'on puisse rien affirmer de certain, et surtout de complet, sur l'origine de l'architecture à ogives dans l'Occident, il faut que quelqu'un se dévoue à l'étude de l'Arabe : qu'il apprenne non seulement la langue, mais encore les diverses sortes d'écritures, depuis la cufique, uniforme, anguleuse, liée, dépourvue de signes critiques, et où les différentes valeurs de sons se confondent sans cesse les unes avec les autres, jusqu'à cette écriture ornée, enchevêtrée, surchargée, qui décore presque toutes les mosquées. Ces édifices sont remplis d'inscriptions de cette sorte dont un grand nombre sont historiques: c'est par la transcription de ces légendes qu'il faut commencer l'histoire des monuments arabes. La personne qui se sera préparée à cette étude, devra y joindre une grande habitude du dessin, et un œil déjà exercé à la critique comparative des différents styles d'architecture, puis une bonne santé, et une prudence consommée dans l'exécution de son plan (beaucoup de mosquées étant de difficile accès aux chrétiens) il ne faut rien moins que tout cela pour que l'on sache positivement ce qu'est l'architecture arabe. Il existe un portefeuille admirable de M. Coste, architecte français, qui est resté plusieurs années au service du Pacha d'Egypte ; mais le choix de cet architecte, qu'aucune marche historique ne guidait, est précisément tombé sur les monuments les plus riches, il est vrai, mais les plus récents : il y a peu à espérer, pour l'histoire de la publication de ces dessins.

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Quoi qu'il en soit, admettez pour constant qu'il existe en Egypte des ogives du VIII., ou au moins du IX®. siècle; admettez pour constant aussi que des ogives semblables se retrouvent au palais de la Zisa, construit à Palerme par les

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conquérants arabes, dans le courant du Xo. ; que la chapelle Royale, et plusieurs églises de la capitale de la Sicile, bâties par les Rois normands dans la première moitié du XIIe siècle, continuent sans interruption cette chaîne, et montrent l'application de l'ogive aux monuments chrétiens de là aux premières ogives reconnues qui existent dans le Nord il n'y a plus qu'un pas. Je ne parle ni de l'Italie, ni du midi de la France, qui nous offriraient des preuves non moins frappantes ; il me paraît que la Sicile suffit bien, surtout dans ce qui se rapporte à la Normandie. Mais, direz-vous, comment l'ogive a-t-elle passé d'Orient en Occident? Ce n'est point par un fait précis, à jour fixe, c'est par infiltration les voies militaires, religieuses et commerciales, par les étoffes, les meubles, les récits des voyageurs et même les émigrations d'artistes.

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« Maintenant l'ogive d'Orient est-elle identiquement la même que l'ogive classique du XIII. siècle? Pas plus que l'ogive à lancettes de Coutances n'est la même que celle de Cologne. Il y a ici, comme partout, dépôt d'un premier fait, accumulation de traditions sur un seul point, et sur cette base, un édifice neuf, original, complet, réglé surtout, comme l'esprit des peuples occidentaux l'est comparativement à celui des populations africaines et asiatiques.

« Je n'ai pas besoin de vous rappeler combien les objections tirées de l'absence de l'ogive en Espagne, avant le XIII.siècle, ont peu de force. Qui dit maure, ne dit pas arabe ; il y a toute la différence qui existe entre un grec d'Alexandric et un rhéteur de Carthage, entre Callimaque et Apulée, Chrisostôme et Augustin. Le monde latin devait rester, plus long-temps que tout autre, fidèle au plein cintre, le grand instrument de l'architecture romaine. L'Espagne appartenait au monde

romain, je dis plus, c'était le monde de Lucain et de Sénèque. Les Maures, comme toutes les populations d'origine nomade, ont dû commencer par adopter l'architecture du pays dont ils faisaient la conquête. Ainsi, que l'ogive de l'Espagne descende de Westminster où remonte du Caire, peu importe à la solution générale du problème. La question mauresque n'est qu'accessoire. »

Aux observations intéressantes qui viennent d'être si bien présentées par M. Lenormand, j'ajouterai, que si l'ogive était employée en Orient avant le XII. siècle, l'usage n'en était pas général, selon toute apparence, car l'église Saint-Marc de Venise, élevée, dans le XI., par des artistes renommés de Constantinople, les cathédrales de Pise, de Pavie, de Véronne, érigées vers le même temps avec le concours d'architectes étrangers, offrent toutes un style analogue à celui qui régnait chez nous dans le XI. siècle; on n'y voit point d'ogives. D'un autre côté, le style ogival de l'Orient différait sensiblement, je crois, de celui qui régnait chez nous au XIII. siècle : il n'en avait ni la légèreté ni tous les accessoires, c'était, à quelque chose près, l'architecture byzantine avec des arcades en tiers point au lieu de cintres, ou pour me servir d'une comparaison plus frappante, notre architecture de transition avec nos premières ogives du XIIe siècle, telles que nous les trouvons à Fécamp, à Cunault, à St.Nicolas de Blois, etc., etc. (1).

(1) Telle est l'idée qu'on se forme en examinant les dessins qui ont été faits de quelques monuments orientaux à ogives, réputés anciens; à la vue de ces dessins on demeure convaincu que l'ogive d'Orient n'est pas identiquement la même que celle qui régnait au XIII.siècle,dans le Nord et le Nord-Ouest de la France.

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