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II. Dents de scie. Il est aussi impossible d'établir que la dent de scie est un dérivé du bâton rompu que de prouver qu'elle lui est antérieure. Ces deux genres d'ornements procedent du même moyen: la rencontre de deux lignes formant un angle: ils tendent au même but: créer des jeux de lumière sur le fond d'une surface plane. L'angle de la dent de scie est généralement plus aigu que celui du bâton brisé. Le bâton brisé est obtenu par un relief, la dent de scie par une découpure. Il faut ajouter que les dents de scie s'appliquent, de préférence aux bâtons, sur les bandeaux, sur l'intrados des voussures, sur les larges surfaces planes. Il est quelquefois difficile de distinguer ces deux ornements, car les bâtons rompus aplatis et d'une faible épaisseur ressemblent à des dents de scie bordées d'un liséré.

Les provinces du centre et de l'ouest ont fait un emploi assez fréquent des dents de scie pour la décoration de leurs edifices: mais aucune école ne les a appliquées avec autant de profusion que l'école normande. Elles enveloppent l'archivolte d'un portail, à Ifs (Calvados), et encadrent les arcatures du pignon de l'église de Thaon; elles se découpent sur une voussure du portail roman de l'église de Serquigny Eure), et sont formées par les retombées d'une petite arcature en tiers-point sur le glacis du transept de l'église d'Andrieu. Elles décorent les glacis des murs de l'église de Bernières et les archivoltes des fenètres hautes de la Trinité de Caen. Nous pourrions multiplier ces exemples.

A côté de ces dents découpées dans la pierre, nous voyons, comme à Saint-Lo, dans l'archivolte d'un portail latéral, des baguettes brisées, appliquées sur un méplat et dessinant des dents de scie. La même disposition se rencontre sur le portail ouest de l'église de Quillebeuf (Eure), et sur les arcatures du clocher de Sousmont-Saint-Quentin (Calvados). Dans beaucoup d'autres églises de la Normandie, de véritables dentelures sont ainsi formées par les angles aigus de nerfs ou de baguettes.

De même qu'ils ont multiplié les rangs de bâtons rompus. les architectes normands ont superposé des rangs de dents de scie. Ils en ont décoré quelquefois le nu d'un mur. La façade sud-ouest de l'église de Thaon en est tapissée entre le bandeau et la corniche.

Si l'on émousse l'angle aigu qui forme la dent de scie et si l'on sépare chaque dent par un petit arc en plein cintre ou en tiers-point, on obtient les denticules et les imbrications. Ainsi transformée, la dent orne le bandeau qui enveloppe l'archivolte du portail de l'ancienne abbaye d'Ardennes (Calvados), et un bandeau du clocher de Saint-Contest. Sous cette nouvelle forme, elle a joué surtout un rôle important dans la décoration des flèches de pierre, par exemple à Audrieu, à Maizières, à Saint-Loup-Hors-Bayeux, à Saint-Pierre-surDives, à Secqueville. On l'a employée sur des tympans, sur le fond des arcatures, comme à Ouistreham et à Thaon, et plus tard sur les talus des culées d'arcs-boutants à SaintPierre de Lisieux. L'art gothique a fait son profit de ce motif d'ornementation que lui avait légué l'art roman; il a couvert de dents de scie, d'écailles ou de denticules les belles flèches normandes de Norrey, de Bernières et beaucoup d'autres du XIIIe et du XIVe siècle (1).

Constatons, en passant, qu'un grand nombre de corniches normandes ont l'aspect de rangées de dents de scie ou de denticules de grande dimension (2).

III. Frettes crénelées. Plus directement encore que les dents de scie et d'engrenage, la frette dérive du bâton rompu; et je n'entends parler que de sa formation géométrique, car son origine, comme élément de décoration, est

(1) La flèche du clocher de Saint-Pierre de Caen (XIVe siècle) est ornée de dents de scie.

(2) Nous pouvons citer, comme exemples, les corniches d'une absidiole romane à Audrieu et de l'église gothique de Saint-Gilles, à Caen.

incontestablement plus ancienne. La frette est une moulure en forme de boudin qui se brise à angle droit, se relève suivant le même angle, pour se briser de nouveau et dessiner ainsi une série de petits créneaux, aussi bien appropriés à l'ornement des arcs que des bandeaux et des corniches. Nous les trouvons, notamment, sur des voussures de portail à Ifs, à Saint-Gabriel, à Tour (1), à Vienne, à Audrieu (2), à Angerville-l'Orcher et à Duclair. On les voit sur les grandes arcades des églises de Bernières et de la Trinité de Caen, et sur celles de l'église de Bayeux, si étonnantes par la variété de leur décoration géométrique (3). A Thaon, elles entourent les baies du chevet. et à Saint-Étienne de Caen, les fenêtres de la nef.

IV. Billettes. L'école normande, qui a usé sans mesure des bâtons rompus et des dents de scie, a fait un emploi plus discret des billettes. Nous ne les rencontrons pas, dans cette région, beaucoup plus fréquemment que dans les autres parties de la France. Souvent elles sont appliquées sur un seul rang, dans les voussures d'un portail, comme à Pontorson, ou sur les bandeaux qui enveloppent les archivoltes des baies, comme à Saint-Pierre-Langers (Manche). Elles ornent un pied-droit dans l'absidiole du croisillon nord d'Audrieu, et se détachent sur la partie en biseau de quelques chapiteaux des grandes arcades (fin

(1) Le tympan sculpté de l'église de Tour est encadré dans une riche archivolte, avec frette crénelée, double rang de billettes, bâtons rompus opposés et croisés, cordon de quatre-feuilles, bandeau à rinceau, baguettes brisées et dents de scie.

(2) A Audrieu la frette décore une absidiole du croisillon nord et les deux portails latéraux.

(3) Les archivoltes de Bayeux, ornées de frettes et de bâtons brisés, doivent remonter au XIIe siècle. Elles paraissent avoir été doublées au XIIIe siècle par des arcs ornés de boudins, lors de la reprise des piliers et de la reconstruction des bas-côtés gothiques qui ont remplacé les bas-côtés romans.

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