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XVIIIe siècle, tout l'intérieur de l'église, fournira un dernier argument auquel on ne peut refuser une certaine valeur: au-dessus du chapiteau ancien, le parement du mur apparaît en blanc sur l'enduit, témoin de la place où venait autrefois s'appliquer l'arc transversal, dont les arrachements furent à cet endroit soigneusement ravalés pour l'établis sement des nervures des voûtes modernes. A la dernière pile, on ne remarque aucune surface blanche, car, malgré leur maigreur, ogives et doubleaux de bois cachent entièrement la place qu'occupait la colonne engagée, d'une section évidemment moins considérable que l'arc transversal.

Chapiteau d'un arc diaphragme.

Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que ce mode de construction, dont l'origine peut être recherchée dans les basiliques de la Syrie centrale (1), fut employé assez fréquemment sur les nefs, à l'époque romane, en Italie (2), en

(1) Chaqqa, Tafkha, Qennaouat, Soueidieh, Roueiha. De Vogué : Syrie centrale, pl. xv et xIx. En Asie Mineure, la basilique de KodschaKalessi devait présenter le même système. Strzygowski: Klein-Asien, ein Neuland für Kunstgeschichte, fig. 79-80.

(2) Sainte-Praxède de Rome, Saints-Félix-et-Fortunat de Vicence, Saint-Miniato de Florence, cathédrale de Modène, Saint-Zénon de Vérone, Saint-Celsc de Milan dans son état primitif. F. de Dartein : Étude sur l'architecture lombarde. t. I, p. 118.

Normandie (1) et parfois aussi dans l'Ile-de-France (2). Ruprich-Robert suppose que les Croisés normands, ayant remarqué cette disposition en Orient, l'appliquèrent à leur retour (3), mais la chronologie des Croisades paraît s'opposer absolument à une hypothèse de cette nature. En outre, la présence d'arcs transversaux sur plusieurs basiliques italiennes, antérieures aux édifices de Normandie, rend inutile la supposition d'une influence directe des procédés syriens sur ces derniers. Ces arcs furent, du reste, souvent employés sur les bas-côtés dans l'Ile-de-France (4) et quelquefois aussi dans le domaine de l'école normande (5).

(1) Prieuré de Saint-Vigor-le-Grand, près de Bayeux, détruit à la Révolution. Monasticon gallicanum, éd. Peigné-Delacourt, pl. cm, SaintGeorges de Boscherville avant l'adjonction des voûtes d'ogives. A. Besnard: Monographie de l'église et de l'abbaye Saint-Georges de Boscherville, p. 55; Coutan: Saint-Georges de Boscherville d'après M. A. Besnard, p. 6. Viollet-le-Duc a supposé qu'une disposition semblable existait à SaintJulien-du-Pré du Mans. Dictionnaire, t. IX, p. 242, fig. 2: Dehio et Bezold: Kirchliche Baukunst des Abendlandes, pl. LXXXVI, fig. 4, mais on peut objecter que la nef de cette église n'est pas flanquée de contreforts à l'extérieur.

(2) Villers-Saint-Paul. E. Lefèvre-Pontalis : L'église de Villers-SaintPaul, dans Mémoires de la Soc. acad. de l'Oise, 1886, et Congrès archéol. de Beauvais, 1905, p. 114; Woillez Monuments de l'ancien Beauvoisis, Villers-Saint-Paul, pl. 1, Cerny-en-Laonnais. E. Fleury : Antiq. et mon. du départ. de l'Aisne, t. III, p. 25 et 26, fig. 403 et 404.

(3) L'architecture normande, p. 53.

(4) Dans le Soissonnais: Aizy, Trucy, Urcel, Vorges, Vailly, Bonnes, Glennes, Morienval. E. Lefèvre-Pontalis : L'archit. religieuse dans l'ancien diocèse de Soissons, t. I, p. 120; t. II, p. 111 et 209, et Congrès archéol. de Beauvais, p. 156; dans le Laonnais: Cerny-en-Laonnais, Chivy. E. Fleury, op. cit., t. II, p. 299, fig. 369; t. III, p. 25, fig. 403; dans le Beauvaisis Élincourt-Sainte-Marguerite, Villers-Saint-Paul. Woillez, op. cit., appendice, pl. п; E. Lefèvre-Pontalis, loc. cit. Il en existe encore un exemple à Lavardin (Loir-et-Cher).

(5) Saint-Pierre de Northampton. Ruprich-Robert, pl. LXVII, Gréville (Manche); peut-être Thaon. Ruprich-Robert, p. 136; L. Serbat, Guide du Congrès de Caen, 1908, p. 223.

A l'époque gothique, on peut voir une survivance du système des ares portant mur dans les fausses voùles sexpartites, qu'il serait plus juste d'appeler des voûtes d'ogives sur plan carré recoupées en leur centre par un are diaphragme 1. Enfin, on sait quel parti les architectes du Languedoc 2, du Roussillon (3), de la Catalogne 4 et de l'Italie 5 surent tirer des grands ares en tiers-point tenant lieu de fermes et portant directement la charpente sur leurs reins.

Les bas-côtés de la nef sont couverts de voûtes d'arètes en blocage très grossier qu'on peut rapprocher de celles de Saint-Nicolas de Caen 6. Les travées sont séparées par des doubleaux en plein cintre dont les arètes sont arrondies et qui retombent contre le mur extérieur sur des colonnes engagées dans un dosseret. Les fenêtres.

(1) La Trinité de Caen, Bernières, Saint-Gabriel, Ouistreham dans son état primitif. Ruprich-Robert, pl. LXXVI, LXXVIII, LXXIX et LXXXI, chœur de Creully.

(2) Lamourguier de Narbonne, Caunes, Saint-Hilaire dans son état primitif. Congrès de Carcassonne, 1906, p. 92, 52 et 58.

(3) Saint-Dominique, les Carmes, Saint-Jacques dans son état primitif, La Réal et Saint-Mathieu de Perpignan, abbaye de Valbonne, SaintMichel-de-Cuxa, Millas, Corbère-d'Amont, Canet, Saint-Dominique et église paroissiale de Collioure, Passa, Camelas, Sorède, Le Riquer. Sainte-Marie-de-la-Mer. Congrès de Carcassonne, p. 116, 117, 119 et 150; Brutails: Notes sur l'art religieux du Roussillon, dans le Bull. du Comité des Trav. hist., 1892, p. 589.

(4) Sainte-Agathe de Barcelone, dortoir de Poblet, salles de SantasCreus, château de Peralada, Saint-Jean de Villafranca.

(5) Réfectoire et infirmerie de Fossanova, infirmerie de Casamari, église ruinée près de Randazzo (Sicile), église des Antonins de Piperno. Enlart: Origines françaises de l'architecture gothique en Italie, pl. xx, fig. 1, 2 et 32.

(6) Il faut rappeler que M. Bouet, impressionné par la présence sur ces voûtes de restes de peintures du XVe siècle, les a attribuées à cette époque, mais aucune observation sérieuse n'est jamais venue confirmer son hypothèse.

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moulurées d'un boudin sur colonnettes d'angle, ont été percées à un niveau très élevé dans le collatéral sud, par suite de la présence du cloître de ce côté de l'église. A la dernière travée, l'architecte, voulant éviter que la voûte n'empiétât sur la fenêtre, a dû relever le voûtain tangent au mur, suivant un artifice qui fut également employé dans la cathédrale d'Ely (1). Aux deux travées précédentes, où semblable précaution n'avait pas été prise, la lunette de la voûte empiète sur la fenêtre et cache le tore de l'archivolte.

En présence de cette disposition, évidemment insolite, on serait tenté de se demander si les voûtes étaient projetées au moment de la construction des murs extérieurs. Mais il est préférable de ne pas se laisser séduire par cette hypothèse et d'attribuer plutôt ce vice de construction à une inexpérience de l'architecte. En effet, quand il put, comme du côté nord, user de toute sa liberté, il perça les fenêtres à un niveau normal, comme on peut le constater à la première travée, les fenêtres des deux suivantes ayant été refaites au XVIIIe siècle. La retombée des arêtes paraît bien avoir toujours été prévue sur les angles de la pile et du dosseret, auquel on donna dans ce but une largeur supérieure à celle du doubleau que la colonne engagée supporte. Si Ruprich-Robert a pu supposer que les bas-côtés de la Trinité de Caen n'étaient primitivement couverts que d'une simple charpente (2), c'est qu'ils n'étaient pas surmontés de tribunes comme ceux de Cerisy.

L'existence d'un passage conduisant des tribunes des croisillons à celles de la nef empêche également d'admettre

(1) Ruprich-Robert, pl. LXI. L'inclinaison du voûtain est moins considérable que la coupe ne l'indique. Dans le bas-côté sud du chœur de Gloucester, parce que le sol est notablement plus haut que celui du chœur lui-même, la voûte entière est relevée vers l'extérieur et les chapiteaux des colonnes engagées se trouvent à 0m 69 au-dessus de ceux des piles. (Communication de M. J. Bilson.)

(2) Ruprich-Robert: Sainte-Trinité et Saint-Étienne de Caen, p. 26.

qu'on ait projeté de faire communiquer les collatéraux avec la nef par deux étages d'arcades simulant de fausses tribunes, comme à la cathédrale de Rochester, à Waltham-Abbey. à Châtel-Montagne et, à l'époque gothique, dans les cathedrales de Rouen et de Meaux et à la collégiale d'Eu. Du reste, notre savant confrère M. J. Bilson, qui a bien voulu. avec son obligeance habituelle, me faire part de ses précieuses observations, pense que, dans les deux églises de l'école anglo-normande précédemment citées, Rochester et Waltham, les bas-côtés devaient être à l'origine recouverts de voûtes d'arêtes (1).

Les tribunes qui surmontent les bas-côtés sont ouvertes sur la nef par les arcades déjà décrites. Il faut noter toutefois que la troisième arcade seule est doublée à l'intérieur d'une voussure appareillée. Les tailloirs des chapiteaux forment cordon sur la pile, mais sans contourner le ressaut en saillie qui joue, vers la tribune, le rôle de contrefort intérieur. Un solin horizontal indique l'endroit où venait autrefois s'appliquer le toit en appentis qui, considérablement relevé dans la suite, obstrue maintenant la partie inférieure des fenêtres de la nef.

Le mur goutterot de la tribune méridionale est formé. dans les deux premières travées, de pierres grossièrement taillées et disposées en épi; les fenêtres qui les éclairent. doublées et à arêtes nues, ont l'intrados de leur voussure intérieure orné à l'imposte d'une moulure formée d'un filet et d'un biseau sans onglet. Le mur de la troisième travée,

(1) Le fait que la voussure intérieure des grandes arcades de WalthamAbbey est désaxée vers la nef semble bien prouver que des voûtes étaient projetées sur les bas-côtés (voir la coupe de J.-A. Reeve dans The Architect du 22 janvier 1876). Il devait en être primitivement de même à Rochester, car l'étage actuel des fausses tribunes, avec son étroite galerie de circulation, est le résultat d'un remaniement, sans doute effectué après l'incendie de 1137, comme le prouve l'arrêt à ce niveau des colonnes engagées qui reposent sur le tailloir des grosses piles.

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