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Le mode de construction de nos enceintes donne lieu aussi à quelques remarques. Dans le département de l'Orne, mais sur les confins mêmes du Calvados, existe à Bierre, commune de Merry, une enceinte préhistorique fameuse où d'énormes amas de blocs de grès bruts forment ceinture autour d'un promontoire. Malgré la proximité géographique et l'abondance de ce même grès, aucune enceinte du Calvados ne reproduit ce mode de construction et on ne trouve pas non plus chez nous de camps vitrifiés comme il en existe plusieurs dans le nord-ouest. Nos remparts sont de terre pure ou de pierrailles. Dans leur état actuel, ils sont couverts d'herbe ou de buissons lorsque leur relief est très accusé. Ils ont l'aspect de simples vallonnements sur lesquels passe la charrue lorsque leur relief est moindre.

Du point de vue de leur disposition générale, les enceintes du Calvados sont, à peu près en nombre égal, des barrages de promontoire, des mottes de type féodal avec retranchements extérieurs ou des enceintes carrées. Plusieurs méritent une mention spéciale.

L'immense retranchement connu sous le nom de Cavalier de la butte d'Escures, entre Bayeux et la mer, près de la sta tion de Maisons, est un des plus imposants qui existent en France. Ses proportions sont celles d'une véritable colline artificielle rectiligne traversant la campagne. Ce retranchement est un barrage de promontoire naturel, mais son utilisation comme moyen de défense demanderait à être exactement étudiée, car le rempart n'arrive par aucune de ses extrémités à la pente du coteau. Les camps de Moult, de Trois-Monts, d'Hottot-les-Bagues, de la Burette (sur Banville) et quelques autres sont aussi établis sur des éperons barrés.

Curieuses à étudier au point de vue de l'utilisation stratégique de leur système compliqué de fossés seraient aussi certaines buttes défensives (mottes féodales) du Calvados. par exemple celle du moulin Ronceux, en Ondefontaine, ou

encore les singuliers vallonnements qui couvrent l'emplacement du vieux château de Beuvron. Tout près de Caen, dans la forêt de Grimbosq, la motte dite féodale d'Olivet est restée, depuis les descriptions classiques de de Caumont, un des types de ce genre de fortification.

Les camps de Campandré et du Plessis-Grimoult sont deux exemples remarquables et en excellent état de ces enceintes rectangulaires, dont la disposition régulière semble le mieux rappeler les principes de la castramétation romaine. Dans la forêt de Grimbosq m'a été récemment indiquée une enceinte de même forme, mais de dimensions tellement minimes qu'on hésiterait, pourrait-on dire, à la prendre au sérieux, si de très petites enceintes du même genre n'avaient déjà été signalées ailleurs dans des conditions ne laissant aucun doute sur leur très haute antiquité. Un type tout différent et vraiment singulier de retranchement défensif vient de nous être révélé par Edm. Hue dans la zone littorale, à Saint-Ursin, près Bernières-sur-Mer. Des fosses irrégulières y circonscrivent un campement où on trouve à la fois de la pierre polie et du gallo-romain. Peutêtre enfin conviendrait-il de rattacher à l'étude des enceintes défensives, dans la même région littorale, celles des singulières cavées, larges et à fond plat entre des talus droits, que l'on voit descendre vers la mer, l'une d'un camp romain différent de celui dont il vient d'être question, et situé aussi à Bernières, l'autre des clos de Roncheville, sur Hermanville-sur-Mer, où elle commence en plein champ sur un point où abondent les tuiles romaines. Peut-être s'agit-il de deux de ces chemins de roulage comme on en a signalé sur la basse Seine, et qui servaient, dit-on, à traîner loin du rivage les bateaux des pirates et les biens pillés.

Ne terminons pas cet aperçu de nos enceintes antiques sans rappeler que le camp de Banville, près Courseulles, fournit, avec une quantité considérable de silex néolithiques, du bronze, du fer gaulois, des stimuli romains et des débris

modernes. Des retranchements de toutes les époques s'y juxtaposent derrière la protection du large fossé néolithique qui coupe le pédicule très étroit d'un éperon naturel du sol. Aucun exemple ne prouve mieux dans notre département la permanence de certains postes défensifs à travers les âges et l'exactitude des idées de de Caumont sur la très haute antiquité de certains camps, qui ne devinrent romains que transitoirement avant de devenir barbares ou saxons.

Les mégalithes.

L'inventaire dressé en 1880 par la Sous-Commission des monuments mégalithiques de France, la statistique publiée en 1894 par A. de Mortillet, la statistique toute récente de Coutil, marquent les trois principales étapes de l'étude des mégalithes dans le Calvados.

La statistique de de Mortillet, qui reste extrêmement précieuse, parce qu'elle résume un ensemble considérable de renseignements jusque-là épars, admettait dans le Calvados un nombre total de 67 monuments mégalithiques, soit encore existants, soit signalés comme détruits. Ce total se décomposait ainsi : 31 dolmens ou tumulus, 31 menhirs. 1 alignement, 4 pierres diverses. De cette statistique en quelque sorte maximale il est intéressant de rapprocher, en la limitant aux mégalithes encore existants, celle de Coutil. qui constate dans le Calvados 10 menhirs, 1 dolmen, 2 tumulus, 16 pierres à légende. La composition de ces listes donne lieu immédiatement à quelques constatations.

Tout d'abord apparaissent comme remarquables l'absence des allées couvertes et des polissoirs et la rareté des dolmens. La Manche, département voisin, n'a pas moins de six allées couvertes existantes auxquelles on peut ajouter l'indication de deux allées détruites. L'absence des polissoirs est inattendue dans le département même où se trouve la célèbre localité d'Olendon. La rareté des dolmens véritables enfin

est un fait singulier, le département de l'Orne en possédant 15 (plus l'indication de 5 autres détruits). Des 31 indications portées sur la liste de de Mortillet, beaucoup, par exemple celles relatives aux pierres de la forêt de SaintSever et de Jurques, avaient trait à des tables de pierre naturelles, et le reste du total aurait pu être inscrit sous la rubrique des tumulus.

Tandis que les dolmens véritables manquent, la présence de plusieurs tumulus néolithiques à galeries, avec chambres rondes en pierrailles, voûtées en coupoles, constitue au contraire pour l'archéologie préhistorique du Calvados une particularité d'un intérêt capital. Le type même de ce genre de constructions se trouve près de Caen, à Fontenay-leMarmion, et la restauration récente, faite par Coutil, de ce très intéressant monument, en rend la visite particulièrement. instructive. Deux autres tumulus du même genre, déjà fouillés, mais d'une façon certainement incomplète, existent encore à Condé-sur-Ifs et à Colombiers-sur-Seulles. Enfin, il est probable que plusieurs des nombreux tumulus détruits au XIXe siècle sur les communes de Chichehoville et de Bellengreville appartenaient au même genre de sépultures, qui semble par conséquent avoir été remarquablement répandu dans la plaine de Caen. A ce propos, une correction nécessaire doit être apportée à la statistique de Coutil, qui signale seulement 2 tumulus subsistants dans le Calvados, alors qu'il y en a en réalité 3: Fontenay, Condé-sur-Ifs, Colombiers-sur-Seulles. Au contraire, dans la statistique des tumulus détruits, Coutil en maintient un à tort sur la commune d'Ernes, cette indication faisant double emploi avec un des deux tumulus de Condé-sur-Ifs. Il faut donc écrire : tumulus subsistants, 3 (au lieu de 2); détruits, 10 (au lieu de 12). Enfin, une rubrique nouvelle doit être créée dans la Statistique générale des monuments mégalithiques du Calvados pour les pierres à cupules, dont plusieurs ont déjà été classées comme monument historique dans d'autres dépar

tements. Les cupules, bien différentes des cavités rondes ou ovales qui résultent du travail des haches polies sur les polissoirs, sont des cavités artificielles, en général plus petites, dont on ne peut mieux comparer la forme qu'à celle de la cavité d'une lampe antique hémisphérique. Le rite des cupules, antérieur à la construction des dolmens, puisque certaines pierres à cupules ont été réutilisées dans cette construction, s'est maintenu ensuite à travers tous les âges jusqu'au gallo-romain, et persiste comme rite superstitieux en beaucoup de régions. Dès maintenant, je peux inscrire comme premiers exemples de pierres à cupules dans notre département les deux menhirs de Colombiers-sur-Seulles et de Reviers, qui sont l'un et l'autre cupulifères. Mais nous devons nous attendre à trouver par la suite d'autres pierres à cupules qui ne seront pas des menhirs.

Devons-nous, à l'exemple de M. Coutil, rayer définitivement de la Statistique des monuments mégalithiques du Calvados les alignements signalés sur la commune de Montchauvet par un certain nombre d'auteurs locaux ? Il semble bien que l'on puisse considérer comme des roches en place naturelle les innombrables blocs qui couvrent le sol dans les prairies du Hamel-Auvray. Leur disposition en certains endroits est cependant singulière et fait songer à la possibilité d'un arrangement artificiel partiel. En ce qui concerne les blocs alignés sur la colline, au hameau de la Plumaudière, il me paraît vraiment prématuré, sans aucun examen exact, de les considérer comme résultant purement et simplement de la dénudation d'un filon de quartz. Tant que la preuve du contraire n'aura pas été faite, les vraisemblances restent en faveur de l'apport humain, et la présence, en tête des pierres alignées, de l'énorme bloc dressé qu'on appelle la pierre du Hu, rend plus probable encore l'origine artificielle de l'ensemble.

Quoi qu'il en soit, et en raison même du caractère un peu problématique des pierres dont il s'agit, l'excursion de

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