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les premiers tressaillements de cette vocation irrésistible qui le poussait à défendre nos vieux édifices et à les sauver?

Avec quelle habileté, avec quelle persévérance il a mené cette admirable croisade qui devait remplir toute son existence! au prix de quels efforts il est arrivé au but! aucun de vous ne l'ignore, Messieurs. Il fallait une volonté peu commune et un grand courage pour réagir alors contre le sentiment public. Notre architecture du moyen âge, notre merveilleuse architecture nationale, était l'objet de préjugés tellement absurdes que nous avons peine à le croire aujourd'hui. Non seulement on ne regardait pas les monuments dus au génie de nos ancêtres, mais, même pour les hommes les plus cultivés, ils ne comptaient pas; on les méprisait; ils étaient bafoués! Le terme d'architecture gothique, par lequel on les désignait, était, dans l'esprit de ceux qui l'employaient, synonyme d'architecture barbare.

M. de Caumont n'était pas homme à se laisser arrêter par les obstacles. Il était Normand; les combats ne l'effrayaient pas; il se souvenait qu'il appartenait à une race de conquérants. Sa conviction était faite; il la soutint avec l'ardeur la plus vive; il lutta par la parole, par la plume, en payant sans cesse de sa personne, en donnant partout l'exemple d'une activité qui ne se lassait jamais. Il fonda les Congrès archéologiques qui répandirent la bonne doctrine dans toute la France et qui vous procurent aujourd'hui tant d'agréables moments; il retourna l'opinion publique et ces édifices, si dédaignés avant lui, devinrent l'objet du respect universel. On comprit leur grandeur et leur poésie, on admira la science et le talent de leurs constructeurs. Le gouvernement qui, jusque-là, s'en était désintéressé, les prit sous sa protection: leur cause était gagnée!

Le triomphe de M. de Caumont était complet; il devint éclatant. La meilleure récompense de ses nobles efforts fut de pouvoir assister, avant de mourir, à la diffusion de ses idées et de sa doctrine. Les disciples qu'il avait formés, animés de son esprit, continuèrent son œuvre et nous avons le droit de la glorifier aujourd'hui, au moment où nos édifices du moyen âge ont, plus que jamais, besoin d'être secourus et sauvés.

Inclinons-nous, Messieurs, devant ces murs témoins d'un grand labeur et aussi parfois de cruelles angoisses, car une

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œuvre comme celle de M. de Caumont ne réussit pas sans rencontrer de sérieuses difficultés. Apportons à cette grande mémoire le tribut de notre respectueuse reconnaissance, le tribut de notre admiration. Un Congrès qui commence si bien laissera assurément dans vos esprits de nombreux souvenirs ; aucun ne sera plus durable que celui de cette pieuse démonstration devant la maison de votre maître, du fondateur de vos réunions, du meilleur et du plus désintéressé des Français.

Enfin, notre confrère M. Bigot, doyen de la Faculté des Sciences de Caen, évoque le souvenir des études géologiques de M. de Caumont :

Messieurs,

Si toutes les sociétés, si toutes les organisations créées par Arcisse de Caumont, si toutes les œuvres auxquelles il a collaboré avaient délégué un représentant pour prendre la parole en leur nom devant cette plaque que vous inaugurez, nous aurions assisté à une récapitulation de tout ce qui a constitué l'activité intellectuelle pendant les cinquante ans que s'est exercée l'influence du fondateur de la Société française d'Archéologie et de l'Association Normande.

La portée des œuvres de décentralisation et la valeur des travaux archéologiques d'Arcisse de Caumont ont fait tort à ses travaux géologiques et ont fait oublier la part qu'il a prise dans la création d'œuvres purement scientifiques. Permettez-moi de vous enlever, pendant un instant très court, à la science qui est l'objet de vos études habituelles pour essayer d'exprimer les sentiments que doivent inspirer les études géologiques d'Arcisse de Caumont.

Quand on veut juger sainement la valeur d'un savant, il faut tâcher de le situer dans le milieu où il a vécu. Votre éminent directeur évoquait hier les difficultés que devait rencontrer au XIX siècle un archéologue qui partait à la découverte, malgré la difficulté de communication, en dépit de l'indifférence et de la défiance des habitants du pays. C'est dans des conditions iden

tiques qu'Arcisse de Caumont explorait les départements du Calvados et de la Manche.

Sachez maintenant que grâce à lui, alors qu'il n'avait que vingt-sept ans, ces deux départements furent dotés des premières cartes géologiques départementales qui aient été publiées en France, sachez que sa carte et la description qui la commente sont le canevas dont nous travaillons depuis soixante-dix ans à perfectionner la broderie, et sachez enfin qu'en 1825 la géologie venait de naître avec Brongniart et Cuvier, que Lyell n'avait pas encore écrit ses Principes, et vous trouverez naturel que l'œuvre de Caumont excite encore l'admiration des géologues.

Nous savons déjà par M. de Caumont lui-même quelle ardeur il avait apportée aux explorations géologiques; les carnets sur ses observations et qui nous ont été conservés par la piété de M. Travers nous apprendront comment son activité s'est orientée vers l'archéologie, mais M. de Beaurepaire a déjà fait remarquer que quand il quitta l'étude de la nature pour celle des monuments il porta dans ce nouveau domaine les qualités de précision que donnent l'esprit et la connaissance des sciences exactes et, enfin, les qualités d'observation que développe l'étude des phénomènes naturels. De son contact avec la nature, M. de Caumont retira d'autres avantages. En face des grands phénomènes qu'évoquaient ses recherches s'affirmait en lui la notion des relations du présent avec le passé, la solidarité des êtres, l'enchaînement des faits, préparant la confiance dans l'avenir. Cette confiance dans l'avenir, cette ténacité, cet esprit de suite qu'il apportait dans ses œuvres, font de M. de Caumont un exemple pour tous les temps. «Semons toujours, disait-il, récoltera qui pourra ».

Cette belle parole doit demeurer la devise de ceux qui sont les héritiers de sa pensée et les continuateurs de ses œuvres; elle leur permet d'espérer avec confiance le progrès indéfini d'institutions qui ont tant contribué à enrichir le patrimoine intellectuel de notre pays et qui assurent à Arcisse de Caumont une place d'honneur parmi les illustrations scientifiques du XIXe siècle.

SEANCE DU MERCREDI 24 JUIN

PRÉSIDENCE DE M. E. LEFEVRE-PONTALIS

La séance est ouverte à 9 heures du soir.

M. l'abbé Corbierre, président de la Société française de Sigillographie, lit un appel pressant aux érudits normands pour compléter les recherches de M. Demay sur les sceaux de leurs archives.

M. le Président fait remarquer l'utilité que présente cette étude, notamment pour l'archéologie du costume à laquelle elle fournit des témoins ayant la date certaine et l'authenticité des documents auxquels ils sont apposés. Il s'agit de pièces éminemment fragiles, qui s'effritent de plus en plus. Les Archives nationales continuent à enrichir leur magnifique collection de moulages; il est donc essentiel de leur signaler les sceaux qui n'ont pas été encore étudiés ou même moulés.

M. le chanoine Porée communique une intéressante description de l'église abbatiale de Bernay, l'un des plus importants édifices de l'époque romane primitive en Normandie, puisque la plus grande partie peut en être datée du premier quart du XIe siècle.

M. E. Lefèvre-Pontalis remercie M. le chanoine Porée : il pose à nouveau la question de l'influence prétendue de l'école lombarde sur l'architecture normande. Cette théorie de Ruprich-Robert paraît absolument fausse. Sur les bords du Rhin et en Bourgogne on peut voir des influences lombardes, mais pas en Normandie, et l'action personnelle que l'on attribue à Lanfranc ne s'exerce précisément pas ici, où elle s'expliquerait historiquement.

Sur l'invitation du président, M. Enlart, s'excusant de ne s'être pas préparé à cette discussion, s'associe à M. E.LefèvrePontalis pour repousser la théorie du commandeur Rivoira

sur la filiation lombarde de l'école normande. Il accepte certaines analogies entre les écoles germanique et normande. mais ces affinités sont assurément plus marquées entre les écoles lombarde et germanique.

M. Fage hésite à voir des influences aussi lointaines. Il faut cependant admettre certaines ressemblances : les chapiteaux cubiques et les chapiteaux à godrons et peutêtre surtout cette bande normande bien voisine de la bande lombarde, qui cherche dans le même procédé de construction un même élément décoratif; en renforçant avec économie le mur auquel elle s'applique, elle en corrige en effet le nu. Or, en Normandie comme en Lombardie, on trouve ces arcatures retombant sur les mêmes contreforts peu saillants, sans chapiteaux ni bases. En Normandie, toutefois, ces bandes se trouvent généralement à l'étage inférieur d'une série d'arcatures superposées et les bandes supérieures admettent des colonnes avec bases et chapiteaux.

M. E. Lefèvre-Pontalis cite des exemples de ce système à Saint-Étienne et à Saint-Contest, et résume la discussion en montrant combien un esprit de système trop absolu peut rendre dangereuse une précieuse documentation comme celle du commandeur Rivoira.

M. des Forts fait une intéressante étude de l'église de Bernières, illustrée par de belles projections des clichés de M. Heuzė.

La séance est levée à 11 heures.

SÉANCE DU JEUDI 25 JUIN

PRÉSIDENCE DE M. ÉMILE TRAVERS

La séance est ouverte à 9 heures 1/2.

M. le Président prie le public de vouloir bien excuser

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