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auxiliaires du Comité, que chaque année il veut bien déléguer à ce Congrès le président de la Section d'archéologie pour vous exprimer la haute sympathie dont il honore vos travaux. Aije besoin d'ajouter que ce délégué a pris la douce habitude de venir au milieu de vous et qu'il accepte toujours avec joie l'agréable mission dont il est chargé.

Votre programme scientifique est très vaste, Messieurs. Il comprend tout ce qui peut contribuer à faire avancer la science de nos antiquités nationales. Vous accueillez avec une faveur égale les travaux relatifs aux époques préhistorique, gauloise, romaine ou mérovingienne; il est cependant visible que toutes vos préférences sont pour le moyen àge et en particulier pour notre vieille architecture française. Vous ne m'en voudrez pas cependant de vous rappeler que la Normandie était à l'époque romaine, comme elle est encore de nos jours, un des pays les plus riches de la Gaule et que l'état brillant de sa civilisation aux premiers siècles de notre ère, attesté par mainte découverte, y a préparé un éclatant développement des sciences et des arts pendant les siècles qui suivirent. C'est sa richesse même, c'est la fertilité de son sol, c'est l'apre labeur de ses habitants qui ont été les causes de la disparition des monuments romains.

La cité des Viducasses, dont l'emplacement est connu à quelques kilomètres d'ici, au village de Vieux, mais dont les ruines mêmes ont péri, était alors florissante; c'était la capitale et le centre commercial de cette région; plusieurs grandes voies romaines y aboutissaient, la mettant en communication avec les principales villes de la Gaule. Sous Louis XIV, un célèbre intendant de la généralité de Caen, Foucault, secondé par son ami l'orientaliste Galland, s'avisa de pratiquer des fouilles à Vieux. Il y découvrit plusieurs édifices, il y trouva quelques documents épigraphiques. Malheureusement, les inscriptions. recueillies par Foucault furent envoyées dans sa maison de campagne d'Athis, près de Paris: elles sont aujourd'hui perdues. Par bonheur, un insigne monument, découvert au même endroit vers la fin du XVIe siècle et que Jacques de Matignon, qui commandait alors en Normandie, avait fait transporter dans son château de Thorigny, nous a été conservé. Après de nombreuses vicissitudes, le célèbre marbre de Vieux a trouvé aujourd'hui un

asile à la mairie de Saint-Lo, où il sert de piédestal au buste de l'astronome Leverrier. Vous savez quels précieux renseignements il fournit pour l'histoire de la Gaule romaine, quelle importance il a pour votre histoire provinciale et de quelle juste renommée il jouit auprès des savants de l'Europe entière. Si les inscriptions latines sont peu nombreuses en Normandie, on doit reconnaître du moins que la qualité y remplace la quantité.

Ce n'est pas seulement au point de vue épigraphique que la Normandie a procuré des émotions aux amis de l'antiquité romaine. Le Musée de la Société des Antiquaires, les Musées de Rouen et d'Évreux leur réservent mille problèmes à résoudre et ces musées possèdent quelques monuments figurés d'un mérite exceptionnel. Je ne veux en rappeler qu'un seul, le magnifique Jupiter en bronze, sorti des fouilles du vieil Évreux, qui compte parmi les plus nobles et les plus majestueuses représentations du maître des dieux que l'antiquité nous ait laissées. Une autre statue de bronze, découverte en Normandie, est entrée dans les galeries du Louvre : le temps n'a pas altéré la dorure solide et brillante qui recouvre les formes de l'Apollon de Lillebonne et qui donne un intérêt spécial à cette représentation divine de grandeur naturelle.

Mais tout cela n'est rien, Messieurs, auprès d'une trouvaille extraordinaire faite le 21 mars 1830 aux environs de Bernay par un cultivateur normand, nommé Prosper Taurin. En soulevant une tuile romaine qui gênait sa charrue dans un champ qu'il venait d'acquérir récemment, ce laboureur tomba sur une cachette renfermant soixante-neuf pièces d'argenterie, ornées de reliefs, d'une conservation exceptionnelle et du travail le plus délicat, La plupart de ces objets sont d'un prix inestimable. Grâce à un concours d'heureuses circonstances, l'État put devenir propriétaire de la totalité de cette trouvaille pour une somme relativement modique. Les trop rares visiteurs de notre cabinet des médailles et antiques à la Bibliothèque nationale s'arrêtent, saisis d'admiration, devant la vitrine où sont exposées aujourd'hui les riches offrandes apportées jadis au temple de Canatonnum par les fidèles qui venaient implorer la protection de Mercure ou remercier le dieu d'avoir favorisé leurs entreprises. Aiguières élégantes décorées de sujets inspirés par les données homériques et

empruntés à l'histoire d'Achille, canthares ornés d'emblèmes bachiques au milieu desquels s'agitent des Centaures et des Amours, vases à boire offrant des scènes de divination, coupes et patères portant des images de divinités, statuettes de Mercure, ustensiles de tout genre, rien ne manque à cet ensemble merveilleux d'argenterie sacrée qui n'a son pendant dans aucun autre musée. La richesse de la matière, la variété des compositions, l'importance, la vigueur et le charme des reliefs, mettent cette découverte au premier rang. Le croiriez-vous ! Messieurs, ce Trésor de Bernay, dont il a été si souvent parlé et dont la célébrité est universelle, n'a pas encore été l'objet d'une publication complète et définitive. Il attend toujours un éditeur. Puisse-t-il le trouver bientôt parmi vous !

Vous me pardonnerez cette boutade archéologique qui n'est pas inscrite au programme. Les souvenirs laissés par les Romains en Normandie m'ont toujours frappé; ils m'ont paru si intéressants et si variés que je n'ai pas su résister au désir de vous en rappeler quelques-uns. Ces belles découvertes du passé nous autorisent à espérer que l'avenir en réserve d'autres encore aux chercheurs habiles et aux savants consciencieux.

Les excursions auxquelles vous allez prendre part ne vous conduiront pas au milieu des ruines romaines: vous visiterez surtout des églises et, pour vous guider au milieu de ces vénérables édifices, pour en retracer l'histoire, pour en expliquer la structure dans ses détails parfois les plus compliqués et les plus insaisissables, vous aurez à votre tête ce directeur infatigable dont vous admirez chaque année davantage la vaillance et le dévoûment. Grâce à l'ardeur héroïque de M. Eugène Lefèvre-Pontalis, grâce à son zèle d'apôtre, votre Société a pris un développement qui en double les forces et qui en multiplie les ressources. Félicitons ce directeur modèle, Messieurs, remercions-le de se donner ainsi sans compter et souhaitons de le conserver longtemps au poste d'honneur où l'ont appelé vos suffrages et qu'il était si digne d'occuper. Constamment sur la brèche, il a multiplié cette année les excursions et les conférences: vous savez tout ce qu'on apprend quand on marche à ses côtés et qu'on sait profiter de son enseignement. Si M. de Caumont pouvait soulever la pierre qui recouvre son sépulcre et paraître un instant au milieu de

vous, il vous dirait, Messieurs, avec l'autorité qui lui appartenait pour apprécier de tels mérites:

« C'est bien là le continuateur de mon œuvre et de ma pensée, <«< c'est bien là le successeur que j'avais rêvé ! »

M. le vicomte de Ghellinck apporte au Congrès le salut du gouvernement et des sociétés belges.

MESDAMES, MESSIEURS,

Nous voici de nouveau réunis pour une de vos grandes assises archéologiques et cette année l'intérêt est plus grand encore que lors des années précédentes, car vous fêtez le 75° anniversaire de la fondation de votre Société.

Je suis donc doublement heureux de me retrouver parmi vous; d'abord, à cause de l'accueil toujours si cordial que vous faites chaque année aux archéologues belges que vous voulez bien admettre dans vos rangs; ensuite, parce que cette réunion de Caen marquera dans l'histoire de votre Société comme une réunion jubilaire, où l'on célébrera le long cycle des années écoulées et où l'on se souhaitera une nouvelle période de vitalité, de grandeur et d'expansion.

Fondée en 1834 dans cette ville par Arcisse de Caumont, la Société française d'Archéologie s'est toujours accrue et développée. Demain nous irons à Bayeux inaugurer une plaque sur la maison natale de son illustre fondateur; cette plaque commémorative perpétuera pour les générations futures l'esprit d'initiative, le grand talent, l'apostolat archéologique d'Arcisse de Caumont.

Sa statue s'élève déjà à Bayeux. Son souvenir est partout. Semeur de la première heure, il a vaillamment accompli sa tâche.

La semence est tombée en terrain fertile, elle a levé puissamment, et après soixante-quinze ans, splendide est la récolte archéologique et les zélés successeurs d'Arcisse de Caumont ont été dignes de leur maître.

La ville de Caen était bien le cadre qu'il fallait à l'essor, à l'expansion de l'archéologie naissante. Caen, cette ville si riche en monuments, en souvenirs historiques de toutes les époques. Entre l'Abbaye-aux-Hommes à l'ouest et l'Abbaye-aux-Dames à l'est, entouré d'une splendide ceinture d'églises remarquables, telles que Saint-Pierre, Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Nicolas, le vieux Saint-Sauveur et le vieux Saint-Étienne, là devait être le berceau de cette Société appelée à un si grand avenir.

Le nom de Caen était primitivement Cadhom (Cadomus). Cette finale saxonne hom ou ham se retrouve encore dans Ouistreham, dans Étreham, entre Bayeux et Trévières, et dans Le Ham, près de Cambremer. En Angleterre elle a été conservée dans une foule de noms: Durham, Birmingham, Nottingham. Elle est à rapprocher de la finale allemande heim et de la finale flamande ghem. Toutes indiquent l'habitation, la maison.

Mais le Cadhom, ancien depuis longtemps, s'est transformé en Caen, nom moderne qui n'a plus rien conservé de son vieux nom d'autrefois.

Caen est tout plein des souvenirs de Guillaume le Conquérant el après les victoires du Val-des-Dunes et de Varaville, après la conquête de l'Angleterre, Guillaume le Conquérant fit de Caen un point stratégique en raison de sa proximité avec la mer et d'où il pourrait surveiller les populations vaincues et s'élancer à la répression de révoltes probables. C'est ce qui motiva la fondation du château, bâti peu de temps après la victoire de Varaville, car Falaise était trop éloigné des bords de la mer et devenait par conséquent moins utile.

Nous verrons, au cours de ce Congrès, une foule d'intéressants monuments et nous remercions' d'avance les organisateurs d'un programme si bien conçu et si bien combiné; il nous promet un festin archéologique pouvant amplement satisfaire les plus gourmets.

Tachons de profiter des excellentes explications qui nous seront données par notre cher directeur et en nous quittant, mercredi prochain, nous emporterons tous chez nous un souvenir charmant et inoubliable de notre séjour dans cette ville, qui fut le berceau de la Société française d'Archéologie.

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