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peut prévoir de résultats avant plusieurs années de laborieuses études.

En dehors de cette activité en quelque sorte officielle, il y a eu des initiatives particulières. C'est ainsi que, tont récemment, un industriel, M. Julien Bernard, saisissait le ministère du Commerce d'une proposition (d'ailleurs déjà présentée à maintes reprises) visant l'institution du brevet international. Le système préconisé par M. Julien Bernard consiste à organiser le dépôt unique par voie postale à ce qu'il appelle un « Central Mondial ». L'inventeur, désireux d'être protégé internationalement, adresserait une demande accompagnée d'une note explicative au Bureau international compétent, lequel procéderait à l'examen de la demande; cet examen unique serait limité à la nouveauté de l'invention et effectué par une commission internationale; une patente de propriété, valable dans tous les pays, serait accordée à l'inventeur (brevet international), mais ce brevet n'attribuerait pas à son propriétaire de monopole exclusif et ne pourrait faire obstacle à la libre exploitation de son invention. dans l'industrie, il percevrait seulement sur les objets fabriqués une redevance déterminée et à charge encore d'en remettre partie à l'Etat (probablement au pays d'origine du demandeur).

M. Julien Bernard prévoit, en outre, pour la perception de cette redevance l'apposition de poinçons et marques sur les objets fabriqués, et la création, pour assurer cette perception, d'une association mondiale de défense des auteurs industriels.

En dehors des difficultés matérielles d'organisation, il est à peine besoin de faire remarquer ce qu'a d'utopique et même de dangereux la conception de M. J. Bernard. Elle lèse les intérêts mêmes qu'elle prétend défendre, puisqu'elle dépouille l'inventeur du droit de disposer librement de son invention et accepte sans réserves le fonctionnement automatique de la licence obligatoire qui constitue une atteinte considérable au droit de l'inventeur et en est en quelque sorte la négation.

Le projet de M. J. Bernard, si intéressant qu'il soit comme tentative de principe pour réaliser une protection internationale à la fois plus facile, plus rapide et moins coûteuse des inventions, n'a aucune chance d'aboutir, malgré la persévérante ténacité de son auteur, plus généreux dans ses

intentions, qu'apparemment compétent pour résoudre une question aussi complexe.

Le brevet unique international est assurément le but que doivent se proposer tous ceux qui s'intéressent à la propriété industrielle, mais il y a loin de la coupe aux lèvres! Il y a des difficultés considérables à vaincre. Il faut d'abord s'astreindre à diminuer les divergences considérables des législations, qui portent sur des points importants du régime des brevets; il y en a d'anodines, mais il y en a aussi de presque insurmontables. C'est ainsi qu'en ce qui concerne le caractère de brevetabilité, les différences de conception et de définition ne présentent qu'un intérêt secondaire, et l'on pourrait facilement arriver à l'admission d'un principe commun: d'ailleurs, à cet égard, les conventions internationales peuvent réaliser immédiatement l'unification1. Par contre, il existe des divergences profondes, notamment dans la conception du mode de délivrance des brevets.

Le brevet international se comprendrait assez facilement avec le système du non examen préalable; mais avec un système d'examen préalable, il faudrait constituer pour cet examen un organisme central extrêmement compliqué et coûteux, et dont les décisions risqueraient fort de ne pas être acceptées sans appel par les différents intéressés.

Le Patentamt allemand, malgré sa puissante organisation, son perfectionnement continu, les énormes crédits dont il dispose, se montre chaque jour plus impuissant à remplir la tâche qui lui est imposée, et cela suffit à souligner les difficultés qu'il y aurait à établir un organe unique d'examen pour les inventions du monde entier.

Il n'y a donc pas lieu pour le moment de tenter la réalisation immédiate du brevet international, ce serait aller à un échec certain; mais, loin cependant d'en abandonner le principe, il faut tout au contraire encourager les associations spéciales (d'ailleurs préoccupées de résoudre cette intéressante question), dans le travail d'unification des lois internes qu'elles poursuivent déjà depuis de longues années. Cette unification par étapes successives conduira fatalement au système du brevet international.

1. Les diverses conventions internationales ont en effet unifié déjà, sur des points importants, les lois des divers pays sur les brevets et tout recemment encore la Conférence de Washington. (V. Journal des Économistes des 15 avril et 15 juillet 1911.)

Il faut aussi attendre avec intérêt le résultat des travaux de la Commission d'études de l'Association internationale pour la protection de la propriété industrielle: ce n'est donc pas avant plusieurs années que l'on pourra, semble-t-il, parler avec quelque précision, de projets de brevet international et il faudra alors les discuter internationalement et se mettre d'accord sur des textes laborieusement établis. On peut dire sans crainte que la réforme est encore d'une réalisation lointaine.

FERNAND-JACQ

LE PROTECTIONNISME HONTEUX

ET LES INDICATIONS D'ORIGINE

Il faut bien reconnaître que les tendances protectionnistes sont un sentiment naturel, instinctif; ce qui ne signifie ni réellement habile, ni réellement généreux (n'en déplaise à l'illustre et superficiel Jean-Jacques). C'est tout comme le sentiment du larcin, de la capture, pour reprendre une expression particulièrement heureuse de M. Yves Guyot. Pendant bien longtemps, hélas! on ne s'est pas douté de cette << harmonie des intérêts légitimes» que Bastiat a si bien mise en lumière, sans ouvrir tous les esprits, tant s'en faut. On confondait, et encore trop souvent l'on confond, un intérêt ou une apparence d'intérêt immédiat avec l'intérêt véritable et durable: et l'on se refuse autant qu'on le peut à reconnaître les avantages généraux et particuliers de la concurrence sous toutes ses formes. Le protectionnisme n'est qu'une manifestation du désir de se préserver de la concurrence, et de pouvoir vivre sans craindre ceux qui font mieux que nous. Et c'est parce que ce sentiment maladroit est parfaitement naturel, qu'on le voit se manifester plus ou moins inconsciemment ou honteusement chez une foule de gens qui ne s'avouent pas franchement protectionnistes. On le rencontre encore sous des formes détournées chez des personnes mêmes qui se figurent ne point être animées de sentiments protectionnistes, el s'élèvent contre les interventions législatives franchement et directement protectionnistes.

C'était, en somme, la tournure d'esprit qui se manifestait en Angleterre quand on a voté la législation sur les brevets imposant l'exploitation de l'invention dans le Royaume-Uni; ou quand on a pris des mesures réglementaires contre certaine immigration; quand on a pris d'autres mesures contre

l'importation des foins, sous couleur d'hygiène, ou contre celle des mouvements de montres, etc. Protectionnisme aussi (et même intérieur et national) que les fameuses délimitations, arrêtées en vue d'une prétendue lutte contre les fraudes alimentaires; protectionnisme que cette campagne faite en Grande-Bretagne, à la suite du livre Made in Germany, contre les produits étrangers qui ne s'annonceraient pas hautement au consommateur ou acheteur comme fabriqués en terre étrangère. Cette campagne, suivie de mesures législatives, a été un des plus beaux exemples que l'on puisse citer de cet esprit protectionniste honteux ou inconscient auquel nous faisions allusion à l'instant. Ceux-là mêmes qui ne réclamaient point l'établissement de droits à la frontière contre ces manufacturés étrangers, voulaient du moins que l'acheteur national fût dans la possibilité de les identifier toujours, une fois qu'ils seraient à la devanture ou dans les rayons d'un magasin; et cela naturellement pour que cet acheteur patriote leur préférât des manufacturés nationaux. On se plaignait que le consommateur ne pût pas savoir que c'étaient des articles étrangers qu'il achetait, que cette production étrangère essayait de se faire prendre pour de la production indigène.

Et nous devons dire que ce reproche, nous le rencontrons dans bien d'autres pays: c'est même la raison pour laquelle il nous a semblé utile de revenir aujourd'hui sur cette question. Il est du reste bien curieux de remarquer que, concurremment à ce reproche de s'infiltrer sous le masque, et en essayant de provoquer la confusion, adressé aux produits étrangers, ceux qui cèdent comme nous l'avons dit à l'esprit protectionniste, ne manquent pas également de se plaindre que le public des acheteurs, trop souvent, se laisse aller à du snobisme, à une admiration aveugle et sans raison pour ce qui vient de l'étranger, en achetant ces produits exotiques. On conviendra qu'il y a là certainement contradiction; car, si les manufacturés étrangers ne se présentaient pas sous étiquette et pavillon étrangers, ce ne serait pas par snobisme pour les modes étrangères, qu'on les acquerrait de préférence. On trouvera des preuves de ces contradictions et de cette mentalité (pourtant atténuée) dans des discussions qui se poursuivent actuellement en Belgique dans le monde de la chaussure; discussions dont rendait compte l'Action économique de Bruxelles, et dont nous reparlerons.

La Grande-Bretagne a donné en ces matières un exemple

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