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les compagnies de son âge, comme choses frivoles et vaines, elle promit tout à ce cher frère, ses yeux, ses oreilles, son silence et sa soumission. Catherine aussi l'adopta, charmée sans doute d'avoir entre l'ambition ombrageuse de son fils et ses propres desseins un instrument qu'elle pût former et manier à son aise. « Rendez-vous sujette auprès de moi, lui dit-elle, et ne craignez point de me parler librement, car je le veux ainsi. »

Cependant Marguerite n'aima jamais, même avec ambition, Henri III. Il lui avait été aux premiers jours de leur enfance un mauvais frère, qui la menaçait toujours de la faire fouetter par sa mère, qui lui jetait ses Heures dans le feu et lui donnait à la place des prières huguenotes, n'étant pas lui-même éloigné de l'hérésie. Il lui semblait que sa vue même lui était pénible et de mauvais présage c'était de la superstition; mais enfin, à le voir quand il revint de Pologne, le frisson la prit au milieu d'une grande foule et par une grande chaleur; et, en effet, elle trouva toujours en lui une espèce d'ennemi disposé à l'outrager, à écouter de méchantes langues et à l'accabler d'injures; un prince possédé par de jeunes seigneurs, hardis et effrontés sous son nom, qui composaient autour de lui un conseil de Jéroboam, un tyran qui faisait garder le Louvre avec tant de défiance qu'on regardait au visage tous ceux qui franchissaient le seuil. Il perdait beaucoup quand elle le comparait avec le duc d'Alençon, espèce de persécuté triste et mélancolique avec des élans d'extase. Peut-être a-t-elle vraiment aimé ce dernier; peut-être n'aimait-elle, que Bussy d'Amboise, qu'elle voyait avec tant de complaisance auprès de lui; peut-être dans Henri III haïssait-elle surtout son favori du Guast, qu'elle accuse sans cesse de la poursuivre de ses calomnies.

Au-dessus de ces ambitions secondaires, il faut placer Catherine de Médicis. Il y aurait plus d'un trait à recueillir pour peindre ce génie toujours maître de lui et qui n'a jamais eu d'abandon ni d'oubli, qu'un jour, dans un violent accès de fièvre; mais en rassemblant dans un même portrait

tous les mots profonds que laisse échapper sa fille, selon qu'elle s'en vit caressée, abandonnée et presque maltraitée, on gâterait ce qu'elle a voulu faire. Dans ces mémoires, et je crois, dans la cour des princes ses fils, Catherine était partout; elle ne faisait sentir sa présence nulle part; un portrait lui donnerait plus de place qu'elle n'en voulait avoir. Il lui suffisait, en somme, de faire prévaloir sa volonté, d'être là, selon le besoin du moment, de jouir des victoires. du duc d'Anjou en bonne mère qui ne vit que pour ses enfants, surtout quand ses enfants ne vivent que pour elle; de voir venir à elle, se conformer à sa volonté, se réfugier en quelque sorte sous son génie, Charles IX, pour garantir sa personne des huguenots par les catholiques, et d'emporter comme par surprise l'ordre de l'exécution sur les hésitations du roi, qui aurait voulu pouvoir sauver Téligny, la Noue et la Rochefoucauld; de chercher à pacifier ou du moins à adoucir les rivalités de ses enfants; d'apaiser Marguerite captive et aigrie; de surveiller les emportements de Henri III, quand la nuit il allait, comme un vrai chevalier du guet, avec mille menaces à la bouche, fouiller le lit de son frère, et là, à demi vêtue d'un manteau de nuit, qu'elle avait jeté à la hâte sur ses épaules, d'empêcher qu'il ne fit quelque tort à sa vie ; de rhabiller toutes les rivalités, toutes les haines sans cesse renaissantes avec plus d'inquiétude et plus d'affliction qu'on ne croit; enfin d'avoir des heures de compassion, sinon de tendresse et de naturel, pour cette fille qu'elle savait au besoin abandonner si froidement aux plus cruels hasards et lui dire à propos, comme pour la consoler de la méchanceté des brouillons: «Ma fille, vous êtes née dans un temps misérable. » Les caractères, les événements n'ont rien perdu de leur vérité, parce qu'ils semblent moins grands dans ces mémoires que dans l'éloignement où notre imagination les replace. La Saint-Barthélemy se résout et s'exécute en une même nuit; mais dans ce qui précède et ce qui suit ce conseil étranglé, où un malheureux roi, très-soumis à sa mère, croit sauver sa vie, quelle sombre politique, quel mélange de sang-froid et d'emportement ! Et

bientôt dans la chambre de Catherine, dans celle de Marguerite, quelles alarmes et quelles scènes! La ligue naissante ne tient que peu de place, une page à peine; mais tout d'abord Henri III en conçoit un dépit jaloux : il dit à son frère avec vivacité qu'il y va du hasard de sa couronne et de la religion catholique; qu'il faut se hâter de mettre son nom avant tous les noms; il s'empare de cette arme redoutable, afin de ne pas se voir bientôt effacé; et de ce jour, ce prince faible et violent, qui se faisait jadis un jeu de tourmenter sa sœur au nom des idées nouvelles, ne parle plus que d'exterminer cette misérable religion qui a fait tant de mal. Enfin, ces princes toujours jaloux, qui se trompent les uns les autres; ce Henri de Navarre, frivole et aventurier, qui change et rechange de religion et ne semble pas encore se douter de sa destinée et de lui-même; ces mignons insolents et leurs railleries amères; ces bals où on danse par ordre, où on se montre en vêtements de fête et avec des cœurs obstinément irrités, parce qu'il est plus facile de changer d'habits que de sentiments; ces embrassades à la pantalonne, comme on disait, et ces réconciliations italiennes, qui paraissaient plaire à la reine mère, mais qui affligeaient les sages, perdus parmi cette bande de fous, tout cela, c'est la vraie vie de cette cour. Les rois sont passés, chantait le peuple dans la rue avec un certain dédain; les rois passaient en vérité avec leur misérable cortége de favoris voluptueux, de femmes élégantes, hypocrites et corrompues.

Mais les rois revenaient, et c'est le moment de dire avec Sully Vive le Roi!

SULLY

Les Économies royales, amiables et d'estat, et servitudes loyales, honorables et utiles 1, ont un caractère d'originalité qu'il faut marquer tout d'abord : ce n'est pas Sully qui les écrit, quoique ce soient ses propres souvenirs; et sauf un certain chapitre, le sixième du premier volume, où il avait retracé << tout de sa main, comme un tableau raccourci de ce que ses yeux avaient vu et ses oreilles entendu » pendant le séjour forcé que le roi de Navarre avait fait à la cour du Louvre, il fit écrire pour lui. Le rédacteur est un de ces quatre inévitables secrétaires qui se piquaient d'être toujours auprès de lui, « en tous lieux où son service le requérait et où il y avait << de l'honneur à acquérir. » L'inconnu, qu'il s'appelât Arnaud ou Lafond, peu importe, lui raconte sa vie à luimême, et à nous, par contre-coup, les projets qu'il a conçus pour la gloire de son roi et bon nombre de ses pensées et de ses sentiments, qu'il n'a été permis à personne de pénétrer que par les confidences qu'il en a faites, ou les pièces qu'il a communiquées. Peut-être l'ambitieux ministre, relégué dans une disgrâce plus réelle qu'avouée, mais toujours attaché par l'intérêt au spectacle des affaires qu'il ne dirigeait plus, se serait senti humilié de nous compter en son nom ses glorieux travaux à l'heure où il se voyait condamné à l'inutilité ; il ne disait pas: j'étais ministre, un tiers le lui disait, en ajoutant vous étiez laborieux, dévoué, aimé du roi. C'était moins l'aveu d'un homme qui se survit ; c'était plus un reproche pour ceux qui s'étaient privés de ses services. Il n'est pas défendu non plus de voir là un artifice de composition qui lui donnait plus de liberté avec ses souvenirs; en plaçant

1 Ce joli titre est celui du troisième volume de la première édition.

un intermédiaire entre le lecteur et lui, il trouvait moyen de rendre plus hardiment justice à ses intentions: il ôtait «<le moi, qui est haïssable. »

Rien n'est plus étrange que ces ricochets par lesquels passent ainsi beaucoup d'accidents et de détails très-particuliers, avant d'arriver à nous. Il y a telle circonstance trèssecrète, où le bon rédacteur a bien soin de nous dire qu'il n'assistait pas et qu'il nous conte néanmoins. En 1598, Henri voulut montrer à son ministre, qui devenait alors un favori principal, que les femmes ne le possédaient pas, comme certains malins esprits en faisaient courir le bruit : et il le mena par la main dans une chambre chez la duchesse de Beaufort; il ferma la porte, visita un cabinet voisin, pour qu'il n'y eût personne qui pût entendre. Là, en toute liberté, Gabrielle fut colère, impétueuse, insolente; elle traita Sully de valet et joua la tragédie afin de l'emporter de haute lutte sur lui: le roi fut ferme et vengea le valet, en jurant «< qu'il se passerait mieux de dix maîtresses comme elle, que d'un serviteur comme lui. >> Tout fut secret, intime; et une indiscrétion de Sully peut seule nous révéler une pareille scène d'intérieur. Pourtant, c'est un de ces quatre témoins, impossible cette fois, qui nous fait voir et entendre les larmes, les sanglots, les gémissements, armes si puissantes dans les yeux, la bouche et le cœur de la dame. Ainsi les détails sont venus de Sully: un autre nous les a donnés, avec quelle fidélité, Dieu le sait. Il est juste toutefois de reconnaître qu'il y a dans un grand nombre de ces dialogues, scènes et complaisants devis, beaucoup de naïveté et un air de naturel qui ne se contrefait pas et porte un inimitable cachet; il y a aussi un ton solennel et docte qui sent l'homme de cabinet et d'étude, plus que l'homme d'action. Le lecteur fait facilement deux parts sans craindre de se tromper : le naïf, le spirituel, le vif, parfois un peu colère, est du roi ; sa belle humeur a survécu au double intermédiaire par où elle nous vient; le reste est du ministre et de ses secrétaires : dans la disgrâce où ils vivaient, l'intérêt de la vie ne venait plus presser la parole du maître ni la plume des serviteurs.

II.

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