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veut bien excuser l'espèce d'anachronisme d'une telle expression, appliquée au XIVe siècle, nous l'avons déjà vu en rapport avec plusieurs de ses contemporains, Guilhem et Arnaut d'Alaman, Pey Trencavel, Arnaut Daunis, Guilhem Gras, Guilhem et Jean de Fontanas, Pey de Ladils. Il adresse une épître (A vi) au frère Guiralot, c'est-à-dire probablement Jean Rigaud', l'un des dignitaires de l'ordre de S. François, auprès duquel il tenait, ce semble, à se disculper d'en avoir quitté l'habit. Il avait sans doute connu personnellement Bernart de Panassac, dont il glosa une chanson, et avec lui les autres fondateurs du collège de la gaie science, et les mainteneurs qui leur succédèrent, jusqu'au milieu du siècle environ, puisque nous le voyons fréquentant les réunions du consistoire 2, dont il fut en 1333 le principal lauréat. Cela est certain tout au moins de Jean de Castelnou,

l'aïeul que nous lui supposons, était le fils de Pierre Pelet, duquel il nous reste une tenson avec Guiraut Riquier et Henri de Rodez. (1) Voy. la note sur A vi, 5.

(2) Voy. ci-après A iv, 82, et aussi A xvi, 48, xx1, 56, xxvii, 69-72, où il paraît également être fait allusion à des séances de l'Académie toulousaine.

(3) Par une étrange méprise, déjà signalée dans les Joyas del gay saber, p. 245 et suiv., l'abbé Magi, mainteneur de l'Académie des Jeux floraux, ayant eu occasion de relater la pièce de Cornet qui lui mérita la violette et qui est intitulée Corona (ci-après A XIX), prit ce titre pour le nom du lauréat. Ce n'était là qu'une erreur involontaire; mais que penser de la hardiesse de Dumège, qui, s'attribuant, dans la Biographie toulousaine, la découverte du prétendu Corona, trouva le moyen d'en faire le troubadour servant d'une « Loyse d'Izalguier, de Toulouse », qu'il créa de toutes pièces? Voici l'article:

<< Corona (Raimond), auteur d'un ouvrage singulier intitulé Canso [ce mot n'est point dans le ms.] ab loqual [lis. laqual] conoys om lo astre [lis. cumte] de la luna prima, doit être compté au nombre des troubadours du XIVe siècle. Le 3 mai 1333 il lut dans le jardin du noble consistoire des sept mainteneurs du gai savoir, l'ouvrage que nous venons de citer c'est une espèce de calendrier en vers. Corona obtint la violette d'or, bien que ce poëme, que nous avons encore, soit plus mauvais que beaucoup d'autres cansos publiées à la même époque. Le sujet choisi par Corona ne lui inspira aucune pensée remarquable, aucun vers harmonieux. Il fut plus heureux dans les stances où il célébra

comme il résulte de la lettre qui termine la glose de ce dernier sur le doctrinal de trobar, et où nous lisons qu'il avait donné à Cornet, sans doute verbalement, des conseils que celui-ci rejeta 1.

Raimon de Cornet avait lu certainement les anciens troubadours, car il invoque en plus d'un endroit leur autorité2; mais il n'en cite nominativement que trois : Peire Cardinal3, n'At de Mons, et l'un des Aimeric, peut-être celui de Toulouse, c'est-à-dire Aimeric de Peguilhan. Il a visiblement imité le premier dans sa Versa (A 11) 6, le second dans la première de ses Letras (A 111), comme il s'est inspiré de leur esprit dans plusieurs autres de ses pièces morales et didactiques. C'est un sirventés de Peire Cardinal (Un sirventes novel voill comensar) qui a été le modèle d'un de ses propres sirventés (A XLVII) et d'une de ses tensons (A xxxII) 7.

Loyse d'Izalguier. Sa Canso de la Violette est la meilleure de celles qu'il composa pour cette jeune personne, issue d'une famille illustre dans Toulouse, et qui, toujours zélée pour la prospérité de cette ville, rechercha et obtint quarante-neuf fois la magistrature municipale ». Autant de mots, autant de mensonges!

(1) Ci-après, p. 239. Ce refus de Cornet d'obtempérer à l'invitation de Castelnou ne fut peut-être que le dépit momentané d'un auteur piqué. Il semble en effet s'être ravisé plus tard, car la pièce iv, malheureusement si mutilée, de notre ms. A, paraît être justement l'« altre scrit » que Jean de Castelnou l'engageait à composer, sur un sujet qu'il avait, selon lui (et nous ne le contredirons pas), traité d'une façon insuffisante et obscure. Il reste incertain si ce second doctrinal fut écrit avant ou après la glose de Castelnou. On serait surpris, dans le premier cas, que ce dernier ne l'eût pas connu, ou qu'il eût feint de l'ignorer. Nous sommes portés cependant à le croire antérieur.

(2) A iv, 31; A x1, 31; p. 211, v. 411.

(3) P. 211, v. 410.

(4) A III, 75.

(5) A x1, 30.

(6) Dans le second des mss. qu'on en possède (voy. ci-après p. 141), cette pièce a même été attribuée à Peire Cardinal, sous le titre de Gesta de fra Peyre Cardinal ».

(7) Bérenguier Trobel, troubadour provençal contemporain de Cornet ou peu antérieur, imita le même sirventés dans une pièce qui n'est pas sans analogie avec quelques-uns des vers de notre poëte: Si vols amix el segle gazanhar.

Parmi les troubadours qu'il n'a pas nommés, nous pouvons en citer au moins trois qui lui ont aussi fourni les modèles de trois autres de ses compositions: Gaucelm Faidit, Raimon Jordan, l'un des anciens seigneurs de sa ville natale, et Raimbaut de Vaqueiras, avec leurs chansons Tant ai sufert lonjamen greu afan, Vas vos soplei en cui ai mes m'entensa et Ja no cugei vezer, dont A xxx, A LVI et B VI reproduisent respectivement le rhythme et les rimes.

Raimon de Cornet connaissait donc et pratiquait les classiques de sa langue. Dans quelques-uns de ses vers, malheureusement, comme dans nombre de ses chansons, il s'est trop souvent proposé comme exemple les troubadours qui faisaient de la difficulté vaincue le principal mérite d'une composition poétique. Il a même sous ce rapport dépassé ses modèles, car nous trouvons chez lui deux ou trois pièces qui présentent des combinaisons rhythmiques dont les anciens troubadours ne s'étaient pas avisés, et que les Leys d'amors elles-mêmes ne prévirent pas. Signalons en particulier les pièces LIII et LIV de notre ms. A, sur lesquelles nous aurons tout à l'heure à revenir.

Mais ce n'est pas seulement par la recherche de la forme, par la curiosité de la rime et du rhythme, que les pièces dont nous parlons ici se font remarquer. Plusieurs sont affectées d'un autre défaut, trop commun également aux anciens troubadours que Cornet chercha à imiter, nous voulons dire cette recherche laborieuse de l'obscurité, qui constitue essentiellement ce qu'on appelait le trobar clus. Nous signalerons spécialement, à ce dernier point de vue, les pièces 1x, X, XXV et XXVI.

Tout imitateur qu'il fût, Raimon de Cornet n'en était pas

(1) Sur le même rhythme et les mêmes rimes que la chanson de Raimon Jordan, nous connaissons trois autres pièces qu'ont pu connaître également Raimon de Cornet et Peire de Ladils (car ce dernier, autant et plus que Cornet, est ici à citer, puisque A LVI est une tenson dont le premier couplet lui appartient): Amors, ben faitz volpilhatge e falhensa, de Guiraut de Calanson; Ai! Vergena, en cui ai m'entendensa, de Peire Guilhem de Luzerna; En aquel so quem plai e que m'agensa, tenson de Peire et Guilhem, deux troubadours du XIIIe siècle, d'ailleurs inconnus.

moins un homme de talent, et à qui l'originalité ne manquait pas. Il fréquentait, on l'a vu, le Gai Consistoire; mais, il n'était pas homme à soumettre servilement son inspiration aux règles d'orthodoxie et de morale imposées par l'académie naissante aux poëtes qui briguaient ses couronnes. Aussi parmi le grand nombre de pièces qu'il a laissé, n'en trouvons-nous qu'une, et ce n'est pas la meilleure, qui ait été « couronnée ». Il voulait bien chanter la Vierge et il la chanta plus d'une fois, même en latin '. Mais il entendait, tout prêtre qu'il était, conserver le droit de chanter les dames, même très librement, et de les courtiser de même; car il les aimait, et il aimait aussi la bonne chère et le bon vin, comme nous l'apprennent très explicitement les pièces XXX, XLII et LI de notre recueil, où on nous le représente et où il se montre lui-même sous les traits les plus franchement rabelaisiens.

Ainsi, et c'est là le grand intérêt du recueil que nous mettons au jour, intérêt qui a été déjà signalé depuis longtemps dans les Recherches, plus haut citées, sur l'état des lettres romanes dans le Midi de la France au XIVe siècle, l'Académie toulousaine n'attira pas à elle, du moins au début, toute la vie poétique du Languedoc. Il y eut à côté, même à Toulouse, de libres talents qui, tout en entretenant avec elle de bonnes relations, et en acceptant même son joug gram

(1) A XVII. Sur l'obligation imposée aux poëtes par le consistoire de ne chanter d'autre dame que la Ste-Vierge, voy. ci-dessus p. x11. Il ne faut pas oublier que c'était le seul moyen de faire accepter l'institution nouvelle par l'Église, qui considérait volontiers toute poésie comme un péché. Cf. ces vers de Guiraut Riquier, datés de 1278:

Yeu trobera plazer
E delieg en dictar
Em volgra esforsar

De far bels dictamens.
Mas lo plus de las gens

O tenon a folor,

E neis nostre rector

Dizon que peccatz es,

E totz hom u'es repres

Per els mot malamen.

(MAHN, Die Werke der Troubadours, IV, 192.)

matical, surent en rester, à d'autres égards, indépendants, .et cultiver la poésie, comme l'avaient fait leurs prédécesseurs, sans autre préoccupation que celle des règles de leur art. Raimon de Cornet fut sans doute le plus remarquable de ces derniers représentants de l'ancienne poésie.

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A part la danse, tous les genres poétiques que nous avons ci-dessus énumérés sont représentés dans ce qui nous reste de Raimon de Cornet, quelques-uns par unité (le planh, la trufa), les plus importants, comme la chanson, le vers, la tenson, le sirventés, par d'assez nombreux échantillons. Une analyse détaillée de ces diverses compositions nous entraînerait trop loin et serait d'ailleurs superflue. Nous nous bornerons à quelques remarques rapides sur plusieurs d'entre elles et à quelques observations générales.

LETRAS. Les quatres pièces portant ce titre, ou qui probablement le porteraient toutes, sans la mutilation du ms., sont ou purement morales et didactiques (A I, IV) ou satiriques (A v, vi). Le sujet de A ш paraît avoir été en partie le même que celui de A xxi, qui est un vers. L'imitation de n'At de Mons y est manifeste. A IV est peut-être une refonte, soit spontanée, soit suggérée par les critiques de Jean de Castelnou, du Doctrinal de trobar publié à l'Appendice 2. A v et A vi ont pour caractère commun d'être dirigées contre les hommes d'église, A v contre les prélats, A vi contre les moines. Ce sont aussi les ecclésiastiques, depuis le pape jusqu'aux simples clercs, qui font les frais de la plus grande partie (7 couplets sur 22) de la Versa (A ́11) de notre auteur. Ces trois pièces sont visiblement remplies du même esprit qui animait les béguins ou religieux du tiers ordre de Saint François, et nous avons vu que Raimon de Cornet fut un temps affilié à leur secte.

CHANSONS. Toutes sont des chansons d'amour, comme le voulait la poétique consacrée 3. Quelques-unes appartiennent peut-être à ce genre allégorique que nous avons vu

(1) P. x et XI.

(2) Voy. ci-dessus, p. xxxv, n. 1.

(3) Voy. Leys d'amors I, 341.

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