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semble avoir voulu placer son nom sous la protection du nom de son fils. C'est de celui-ci qu'il nous reste maintenant à parler.

XI.

Raimon de CORNET.

Raimon de Cornet (c'est lui-même qui nous l'apprend) naquit à Saint-Antonin1, petite ville du Rouergue, comprise aujourd'hui dans le département de Tarn-et-Garonne, à une date voisine de l'an 1300, et probablement un peu antérieure. Dès 1324, en effet, il était prêtre 2, et appartenait, à ce qu'il semble, au clergé séculier (capelas). Il devint ensuite frère mineur, c'est-à-dire moine de l'ordre de Saint François. Mais il paraît n'en avoir porté l'habit que peu de temps, peut-être seulement huit mois et neuf jours 3. Il l'avait déjà quitté en 1327, date probable de sa tenson avec Guilhem Alaman. Il rentra alors, semble-t-il, pour quelque temps, dans le clergé séculier, puis il se fit «moine blanc »,

(1) Voy. ci-après p. 199, v. 4.

(2) P. 215, v. 536 et p. 199, v. 3. Cf. p. 239, 1. 2.

(3) Voy. A vi, 182. Nous supposons qu'il s'agit dans ce vers de l'habit de frère mineur, et cela paraîtra vraisemblable au lecteur comme à nous-même. Mais ce n'est, après tout, qu'une conjecture, car la lacune qui précède immédiatement ne permet pas d'affirmer que cet objet dont parle Cornet, et qu'il porta huit mois et neuf jours, fût, en effet, l'habit de franciscain, et fût même un habit. Peut-être dans l'hypothèse après tout la seule plausible - d'un habit, s'agirait-il seulement de celui des frères du tiers ordre de S. François, autrement dit des béguins. (4) Voy. ci-dessus, p. xvII, et ci-après, p. 152, note sur A xxx, 17. (5) Dans cette même tenson, où il est constaté que Cornet n'était plus frère mineur, son interlocuteur le qualifie de capela et de messacantan. Voy. vv. 10, 29, 59. Cf. aussi dans A XIV, pièce qui ne peut être postérieure à 1325,- si du moins l'on accepte l'hypothèse exposée plus loin, p. xxxi, n. 3, - les vers 41 et 49, dont le premier renferme, ce nous semble, une allusion formelle au « beguinage » que lui reproche (A xxx, 16) Guillaume Alaman. Le vêtement des béguins était en effet de couleur brune. Voy. Liber sententiarum inquisitionis Tholosanæ, p. 389: « ...portans habitum ad modum beguini de bruno... >>

(6) Voy. A XLII, 67.

c'est-à-dire qu'il se fit recevoir dans l'ordre de Citeaux, où il paraît avoir achevé sa carrière, peut-être dans le « moustier » de Pontaut1, au diocèse d'Aire, qui était une abbaye de cet ordre.

A quelle époque devint-il « moine blanc » ? Nous ne saurions le dire avec certitude. Mais si l'on remarque que dans la pièce A vi, dirigée contre les moines, et où sont nominativement désignés les frères prêcheurs, les carmes, les frères mineurs et les augustins (vv. 124-126), il n'est rien dit des moines blancs, on sera enclin à supposer qu'il appartenait déjà à l'ordre de ces derniers, lorsque cette pièce fut composée, c'est-à-dire en 1330 (v. 194). En 1341, par conséquent, date de la lettre de Joan de Castelnou où le titre de moine blanc lui est formellement attribué, il en aurait fait partie depuis une douzaine d'années au moins.

3

Nous aimons à croire qu'il vécut heureux et paisible dans ce nouvel état; mais les huit mois (?) qu'il passa chez les franciscains furent huit mois de tribulations, comme il résulte des vers 184-188 de la pièce (A vi) citée tout à l'heure. Ce fut sans doute dans cette courte période de son existence que, pour avoir embrassé avec trop d'ardeur les doctrines d'un des membres les plus célèbres de l'ordre de St-François, le frère Pierre Jean Olive, il fut inquiété et faillit même un peu plus tard (février 1326) * être brûlé vif à Avignon.

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Il est vraisemblable que c'est dans la seconde moitié de sa vie, lorsqu'il était, depuis longtemps peut-être, moine blanc, que Raimon de Cornet composa la plus grande partie,

(1) Voy. B IV, 3.

(2) Ci-après, p. 239, 1. 2.

(3) Voy. la note 5 de la page précédente.

(4) Mort en 1297, mais qui laissa de nombreux adhérents, appelés béguins, frères spirituels, ou religieux du tiers-ordre de Saint-François. Voy. l'Hist. de Languedoc, IX, 198.

(5) Voy. la note sur A xxx, 17, et ci-dessus p. xxix, n. 5. A cette date R. de Cornet n'était déjà plus vraisemblablement frère mineur. Mais les faits ou les propos pour lesquels il fut appelé à Avignon remontaient sans doute à l'époque où il l'était encore, et où probablement il se vit plus d'une fois exposé à l'accusation d'hérésie. Cf. dans A vi, outre les vers précités 184-6, les vers 164-165.

sinon la totalité, des pièces d'un caractère didactique et moral qu'il nous a laissées. Ses chansons, au contraire, sont sans doute, pour la plupart du moins, du temps de sa jeunesse. Deux ou trois même semblent pouvoir remonter à l'époque où il n'était encore que simple clerc 1.

Un petit nombre, seulement, des compositions de notre poëte se laisse, au reste, dater avec une suffisante certitude. Ce sont les suivantes, en regard desquelles nous plaçons l'indication de l'année ou de la période à laquelle elles nous paraissent devoir être attribuées :

2

1324 (ou avant)? A vii. Chanson qui a servi de modèle 2 au sirventés inséré dans le Doctrinal de trobar, p. 215. 1324. Doctrinal de trobar (ci-après, p. 199) et le sirventés y inséré.

1324. A XLIX, planh sur la mort d'Amanieu d'Albret. Voy. les notes sur cette pièce.

1325. A LIII. L'auteur (v. 9) s'y qualifie de moine gris; il était donc alors frère mineur.

1325. A XIV. Cette chanson est adressée à la comtesse d'Armagnac, probablement Regina de Goth3, morte en 1325, après le 12 août, et il résulte des vers 41 et 49 que l'auteur alors n'était plus frère mineur.

(1) Telles sont peut-être A 1x (étudiait-il alors à Toulouse? voy. le v. 28) et x (il s'y qualifie de clergue).

(2) Cf. Leys d'amors I, 354. D'autres troubadours, avant le nôtre, avaient ainsi pris pour modèle de sirventés quelqu'une de leurs propres chansons; par ex. Giraut de Borneil (cf. No sai rei ni emperador avec No posc sofrir qu'a la dolor) et Matfre Ermengaud (Cf. Temps es qu'ieu mo sen espanda avec Dregz de natura comanda).

(3) Le comte d'Armagnac dont Raimon de Cornet fut contemporain, c'est-à-dire Jean 1er (1319-1373), fut marié deux fois en 1314, avec Regina de Goth, héritière des vicomtés de Lomagne et d'Auvillars, qui mourut en 1325, sans postérité; en 1327 avec Béatrix de Clermont, comtesse de Charolais, arrière-petite fille de saint Louis, qui mourut en 1365. Il est naturel de penser que l'hommage poétique de Raimon de Cornet s'adresse à la première de ces deux comtesses, qui était de son pays et de sa langue, plutôt qu'à la seconde, dont l'origine étrangère ne devait pas l'encourager à le lui offrir, en même temps qu'elle devait la rendre elle-même moins disposée peut-être à l'accueillir.

1325, ou peu avant. A xvi. Chanson adressée à la même dame.

1325. A LVII. Voy. les notes.

1326 (ou avant)? A xxI. Cette pièce parait avoir servi de modèle à A 1, qui suit 2.

1326. A 1. Voy. la note sur le v. 8.

1327. A xxx. Voy. la note sur le v. 17, et ci-dessus p. xxix,

n. 4.

1330. A vi. Voy. le v. 194.

1332. A XLI. Voy. les notes.

1333. A xix. Voy. le titre, rectifié dans les notes.

1336. B vi. Voy. les notes.

1340. A LVI. Voy. les notes.

Avec moins de précision nous pouvons placer :

les

Entre 1318 et 1338, et vraisemblablement vers 1330, pièces A v et A xxIII, adressées l'une et l'autre à Roger d'Armagnac, qui fut évêque de Lavaur de 1318 à 1338, et mourut en 1339.

Entre 1330 et 1340 environ, dans tous les cas lorsque l'auteur était déjà moine blanc, sa première tenson avec Pey de Ladils (A XLII), la chanson A LIV (voy. le v. 41), et la prose latine en l'honneur de S. Bernard (A xxxIII).

Raimon de Cornet dut jouir d'une certaine réputation parmi ses contemporains et trouver un accueil flatteur auprès des seigneurs languedociens et gascons chez lesquels se continuait encore, an XIV siècle, la tradition, déjà bien affaiblie dès le XIII, des grandes cours princières si hospi

(1) Même rhythme et mêmes rimes que A XLII, qui est une tenson. Mais cette dernière pièce est certainement postérieure à 1325, puisque, quand elle fut composée, Cornet était moine blanc (voy. v. 67). Du reste l'une et l'autre ont eu un modèle commun, qui est la chanson anonyme dont le premier vers est rapporté à la suite de A XLII.

(2) A moins que l'une et l'autre n'aient eu un modèle commun antérieur, comme xxx et XLI, XXXII et XLVII, XLII et LVII, auquel cas l'antériorité de A xx ne saurait être prouvée. Réserve qui s'appliquerait également à la pièce (A vii) par laquelle s'ouvre notre liste. Mais il est peu probable que R. de Cornet ait fait pour une chanson ce que les Leys autorisaient seulement pour le sirventés, le planh et la tenson.

talières aux anciens troubadours. Tout au moins le voyonsnous leur adresser ses hommages et ses louanges, rechercher leur approbation et sans doute aussi leurs faveurs. Ses œuvres nous le montrent ainsi en relation avec l'Infant Pere d'Aragon, auprès duquel il passa peut-être quelques jours en 13241; avec Alfonse d'Espagne, seigneur de Lunel 2; avec la comtesse d'Armagnac3 et l'oncle de son mari, Roger d'Armagnac, évêque de Lavaur; avec Amanieu d'Albret et sa famille, avec le seigneur de Lombers, sans doute Gui de Comminges, qu'on appelait le roi d'Albigeois, et sa femme Indie de Caumont 7. Dans le monde littéraire, si l'on

(1) Ci-après, p. 214, v. 518 et suiv.

(2) A 1, 8 (voy. la note).

(3) A xiv, xvI. Cf. ci-dessus p. xxxi, n. 3. Il ne paraît pas inutile de rappeler ici que le comte d'Armagnac (Jean ler, 1319-1373) était en même temps comte de Rodez. Il était, par sa mère Cécile, morte en 1312, petit-fils du comte Henri II, le dernier des grands protecteurs des troubadours, et qui fut poëte lui-même. (Cf. ci-dessus, p. xxvIII, n. 1.) Mais nous ne voyons nulle part qu'il eût hérité des goûts poétiques de son aïeul.

(4) A v, XXIII.

(5) A XLIX.

(6) A XXI, XXII; Cf. Hist. de Languedoc, IX, 568.

(7) A LII, 43 (voy. la note). Caumont ou Calmont d'Olt était une puissante baronnie du Rouergue, dont faisait partie la ville d'Espalion, dominée par le château, aujourd'hui ruiné et au pied duquel coule le Lot. C'est justement la rivière que nous avons cru reconnaître dans le v. 18 de A xxvi, pièce qui pourrait bien avoir été composée à Caumont.

Selon toute apparence, notre Indie était arrière-petite-fille de Jourdain IV, seigneur de l'Isle-Jourdain (1240-1288), connu comme troubadour, par une tenson qu'il soutint avec Guiraut Riquier, et dont la fille, appelée pareillement Indie, épousa Bertrand, seigneur de Caumont, comme nous l'apprenons de l'Hist. générale de Languedoc, IX, 118. Nous lisons d'autre part dans la même histoire (IX, 252) que Raimond Pelet, seigneur d'Alais, institua héritier, en 1303, son fils aîné Raimond, pour les baronnies d'Alais et de Caumont, au diocèse de Rodez. On peut supposer d'après cela que Raymond Pelet, qui testa en 1303, avait épousé une fille de Bertrand de Caumont, héritière de sa baronnie, et qu'il fut le père de notre Indie. Celle-ci aurait eu encore de ce côté-là un troubadour dans son ascendance, car Raymond Pelet,

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