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IV.

Pierre TRENCAVEL, d'Albi,

et Arnaud DAUNIS

(A, XXIX)

Pierre Trencavel, d'Albi, dont l'existence et le talent poétique nous sont révélés par le jeu parti, qui forme la pièce. XXIX de notre manuscrit A, n'appartenait pas vraisemblablement à l'ancienne et noble famille de ces vicomtes d'Albi, de Carcassonne, de Rasès, etc., qui furent pendant une longue période les vassaux les plus puissants des comtes de Toulouse et de Provence, et qui, à l'exemple de Raymond Bernard, III du nom, avaient pris le surnom de Trencavel, qu'ils conservèrent jusqu'à l'extinction de leur race. Raimon de Cornet, son interlocuteur, qui reçoit de lui le titre de mossen, ne lui donne en effet aucune qualification honorifique, pas même le vulgaire en, et il semble même lui parler, au v. 49, comme à un artisan, inhabile à la poésie, qu'il renvoie dédaigneusement à son atelier'.

Quoi qu'il en soit, Cornet, dans ce jeu-parti, invite Trencavel à choisir ou d'être fou parmi les sages ou d'être sage parmi les fous. Trencavel soutient qu'il aimerait mieux.

(1) Il se pourrait aussi que Cornet, en lui parlant ainsi (pessatz de la labor), entendit simplement l'inviter à se rendre plus habile dans l'art des vers. Quoi qu'il en soit, nous n'avons trouvé aucune mention d'un Pierre Trencavel d'Albi, vers cette époque. Mais il est question d'un Ramundus Trencavelli de Graolleto (Graulhet, Tarn) dans un acte de 1296, fait à Albi, et parmi les témoins duquel figure un Jacobus Trencavel, qui pourrait bien être un parent du nôtre. Ajoutons que nous trouvons, en 1321, un Pierre Trencavel, qualifié de « béguin du tiers ordre de Saint François ». La date et le nom conviendraient parfaitement, et la qualification ne ferait pas obstacle à l'identification de ce personnage avec le nôtre, puisque Cornet fut lui-même béguin pendant quelque temps; mais ce Pierre Trencavel était de Béziers, et non pas d'Albi. Voy. Hist. de Languedoc, édit. Privat, IX, 396.

vivre fou au milieu des sages et laisse au moine à défendre la thèse contraire. Nos deux poëtes trouvèrent dans un si pauvre sujet le moyen d'échanger quatre couplets (tornade comprise), sans s'éloigner d'une convenable modération, excepté à la fin où la tendance au goût, si répandu alors, d'introduire de grossières personnalités dans ces sortes de luttes poétiques, semble vouloir se faire jour.

Cette composition est au reste toute dans la manière des anciens Troubadours. Aussi, à l'exemple de ce que ceux-ci faisaient ordinairement, Raimon de Cornet propose à son adversaire de soumettre leur débat au jugement de maître Arnaud Daunis, qu'il nomme la fleur des Troubadours du temps. L'arbitre est accepté par Trencavel, mais le copiste a eu soin de nous apprendre par une note qui suit immédiatement cette composition, qu'elle ne fut jamais jugée. Ce qui nous prive de pouvoir apprécier, même par un couplet, le talent d'un poëte dont ses rivaux faisaient tant de cas.

V..

Guillaume GRAS, Guillaume de FONTANES, et Jean de FONTANES

(A, XXXI)

Nous réunissons, sous un titre commun, les noms de Guillaume Gras, de Guillaume de Fontanes et de Jean de Fontanes, jusqu'ici inconnus, comme nous les trouvons groupés autour de celui de Raimon de Cornet, qui revient sans cesse dans ces notices. Il s'agit encore d'un jeu-parti.

Guillaume Gras propose au moine de soutenir l'une ou l'autre de ces deux propositions: Que vaut-il mieux être, bon et riche à la fois, ou bien pauvre avec modestie et franchise?

Cornet fait choix de la pauvreté et s'applique à en faire l'éloge; Guillaume Gras prend la défense de la richesse, et ainsi chacun de ces deux états se trouve considéré à son tour comme capable de procurer plus sûrement que l'autre. les joies du ciel. Gras finit en demandant des juges et il fait

choix de Guillaume de Fontanes; Cornet accepte ce dernier, mais il lui adjoint Jean de Fontanes.

On trouve à la suite du jeu-parti la décision des deux arbitres, formulée chacune en un couplet.

Guillaume de Fontanes, après avoir pris conseil, comme il en avertit lui-même, de maint clerc en Saintes Ecritures (précaution qui caractérise bien cette époque), se range à l'avis de l'adversaire de son client et donne par conséquent la préférence à l'état de pauvreté; inversement Jean de Fontanes considère, avec Guillaume Gras, la richesse comme étant la plus sûre voie du Paradis. La solution de la controverse ne gagne rien par conséquent à ce double arbitrage.

Nous avons fait d'inutiles efforts pour parvenir à trouver quelques particularités sur la vie des trois poëtes dont nous venons de signaler l'œuvre commune. Constatons toutefois qu'une famille de Fontanes possédait une terre de ce nom, tout près de Toulouse 1, et plusieurs personnages de ce nom prirent part à l'administration de cette ville dans le cours du Moyen-Age. Rien ne s'oppose à admettre que Guillaume et Jean appartenaient à cette famille.

Quant à Guillaume Gras, nous n'avons pu même nous arrêter à de simples présomptions.

VI.

Arnaud VIDAL, de Castelnaudary

(A, xxxvII)

Sur ce poëte, qui, avant la pièce que notre premier ms. nous a conservée et qui lui valut la violette d'or au premier concours du Gai Consistoire, en 1324, avait déjà composé, six ans auparavant, un long roman d'aventures, nous nous bornerons ici à renvoyer aux Joyas del gay saber, pp. 3 et 245, à Guillaume de la Barre, roman d'aventure composé en

(1) Le château de Fontanes, bâti sur la rive droite de la Garonne, entre Blagnac et Fenouillet, fut détruit par les eaux du fleuve. Voy. Lafaille, Annales de Toulouse, à l'année 1299.

1318 par Arnaud Vidal de Castelnaudary, notice accompagnée d'un glossaire, par Paul Meyer (Paris, A. Franck, 1868), et enfin à l'étude sur cette dernière publication que l'un de nous a insérée au tome X des Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France (tirage à part, Toulouse, A. Chauvin, 1872).

La pièce d'Arnaud Vidal, qualifiée à juste titre de chanson par les Leys d'amors1, porte dans notre ms. le titre de sirventes. Cette dénomination n'étonnera pas si l'on se rappelle que dans les puys des villes du Nord les pièces consacrées à la Vierge étaient appelées serventois.

2

<«< Et se font ces serventois», dit un ancien traité de poétique 3, « à Lisle en Flandres le premier dimanche devant l'assumption Nostre Dame et doibvent parler de l'assumption Nostre Dame et de la passion Nostre Seigneur. » Dans le recueil publié par Hécart sous le titre de Serventois et sottes chansons couronnées à Valenciennes (Paris, 1834), le premier de ces titres est donné exclusivement à des pièces en l'honneur de la Vierge. L'une d'elles est appelée par l'auteur lui-même canchon serventoise. C'est aussi le même titre de serventois que portent les pièces lyriques en l'honneur de la Vierge, disséminées parmi les quarante miracles de Notre Dame par personnages qu'a publiées en buit volumes la Société des anciens textes français.

(1) Voy. le passage rapporté dans les Joyas, p. 245, et cf. Histoire de Languedoc, t. X, p. 183. Cette chanson est en coblas dictionals derivativas (Leys, I, 274) et singulars (ibid. 212) de treize vers.

(2) L'existence de ces puys est constatée dans plusieurs villes du nord de la France (Arras, Valenciennes) dès le commencement du XIII siècle. L'Académie des Jeux floraux n'en fut peut-être qu'une imitation, hypothèse que favorise singulièrement le titre de la pièce d'Arnaud Vidal. L'importation en Languedoc d'une institution déjà vieille d'un siècle au moins dans les provinces du nord du royaume serait un fait de notre histoire littéraire bien digne d'être éclairci.

(3) Doctrinal de la seconde Rétorique fait par Baoldet Hercut (lis. Bauldet Herenc (Romania XV, 136) l'an de grace mil quatre cens trente et deux (Archives des Missions, I, 271). La « seconde rhétorique » est la poétique. Cf. dans les Leys d'amors, ms. A, la première rubrique du second livre: « De la segonda maniera de rethorica laquals procezish am rims». (Hist. gén. de Languedoc, X, 197.)

VII.

Raimon d'ALAYRAC

(A, xxxviii)

La rubrique de la seule pièce de cet auteur qui nous ait été conservée et qui lui valut la violette d'or, en 1325, au deuxième concours des Jeux floraux (c'est une chanson en coblas capcaudadas), nous apprend tout ce que nous savons de lui. Il était prêtre et de l'Albigeois; plusieurs localités dans cette province portent le nom d'Alayrac ; la plus considérable est située dans le canton de Cordes; peut-être est-ce de celle-ci qu'il tirait son surnom.

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Il était de Limoux et fabricant de peignes. Nous l'apprenons de la rubrique de l'unique pièce de lui qui nous reste, et qu'il adressa au «< comte Gaston », sans doute Gaston II, de Foix (1315-1343), qui fut également poëte 3. Cette pièce, qui est un vers sur l'amour, en coblas crotz-caudadas unisonans, a été déjà publiée dans les Joyas del gay saber, p. 25. Voir aussi la note y afférente, p. 247.

(1) Déjà publiée, avec une traduction, dans les Joyos del gay saber, p. 7. Voir aussi la note y afférente, p. 245.

(2) Un autre poëte provençal fut aussi, trois siècles et demi plus tard, peignier de son état. C'est Arnaud Daubasse, né à Moissac en 1664, mort en 1727 à Villeneuve-sur-Lot, sur lequel voy. J.-B. Noulet, Histoire littéraire des patois du Midi de la France au XVIe et XVIIe siècles, et dans la Revue des langues romanes, IV, 261, une intéressante notice d'Adrien Donnodevie.

(3) Voy. l'Hist. de Languedoc, édit. Privat, t. X, p. 206.

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