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la Biographie Toulousaine n'ont eu aucune raison d'écrire qu'il était «< troubadour toulousain et que sa famille le pla>>çait au premier rang parmi celles de la province ». Encore moins devaient-ils avancer, surtout après avoir déclaré que les œuvres de Panassac étaient perdues, que, «< supérieur aux » barons ses égaux, il ne les imita pas dans leur ignorance, » satisfait de les égaler dans leur bravoure, et qu'il sut par >> une heureuse alliance chanter sur sa lyre les exploits de >> son épée1. >>

Il y a dans tout cet article autant d'inventions gratuites que de mots : B. de Panassac n'était pas baron, mais damoiseau, titre que lui donne l'auteur du préambule placé en tête des Leys d'Amors, c'est-à-dire qu'il n'avait pas encore été armé chevalier, lorsqu'il eut l'honneur de voir son nom attaché à l'institution du Collège de la Gaie-Science, en 1323. Il n'était pas supérieur à ses égaux, car la noblesse d'alors comptait des hommes de renom dans les lettres, et rien ne démontre qu'il se soit recommandé par de hauts faits d'ar

mes.

Ainsi, en nous en tenant aux renseignements fournis par notre ms., et qui étaient restés ignorés même des historiens les plus récents de l'Académie des Jeux floraux, tout l'article biograghique dont je me suis contenté de citer quelques passages, doit être considéré comme une œuvre de pure imagination.

A ces notions précises on peut ajouter celles-ci, que Panassac était certainement mort en 1355, puisque son nom ne figure pas parmi ceux des membre du Gai Consistoire de cette année-là, dont nous possédons la liste 2.

On est aussi en droit de conclure que B. de Panassac fréquentait le Gai Consistoire et en suivait assidûment les travaux ; peut-être, tout seigneur gascon qu'il était, remplissait-il à Toulouse quelque charge publique. On sait que Galambias de Panassac y était Sénéchal pour le roi Charles VII, en 1440.

(1) Au mot Panassac.

(2) Voy. Hist. gén. de Languedoc, t. X, p. 184.

Quelque incomplètes que soient ces notes biographiques sur Bernard de Panassac, elles suffiront désormais à rappeler avec son nom quelque chose de sa position sociale, à fixer sa patrie et l'époque à laquelle il avait cessé de vivre; sa composition permettra surtout d'apprécier son talent comme poëte dans cet idiome classique, qui était encore, au XIVe siècle, la langue académique de tout le midi de la France et d'une partie de l'Espagne. Certes, combien de Troubadours, mème de haute renommée par les œuvres. qu'ils nous ont laissées, dont la biographie est restée encore moins explicite. Maintes fois, à côté d'un de ces noms glorieux, l'historien s'est contenté d'écrire : Il fut bon trouveur et sut bien réciter.

II.

Guillaume d'ALAMAN, chevalier1

(A, xxx)

Guillaume d'Alaman appartenait à une noble famille de l'Albigeois qui avait joui d'une grande influence sous le gouvernement des Comtes de Toulouse. Lui-même, fidèle au roi de France, comme ses aïeux l'avaient été aux anciens souverains de leur pays, avait pris les armes contre les Anglais, dans la guerre d'Aquitaine et de Gascogne, soutenue par Philippe-le-Bel contre le roi Edouard.

En 1297, lorsque Guichard de Marziac, Sénéchal de Toulouse, après le départ pour la Flandre du connétable Robert d'Artois, fut nommé capitaine et gouverneur de la Gascogne et du duché d'Aquitaine, Guillaume d'Alaman était à son service 2.

Vers la fin de 1303, d'Alaman faisait partie de l'armée que commandait en Gascogne, en qualité de capitaine, Blaise

(1) Notice déjà publiée, avec la tenson de G. d'Alaman et de R. de Cornet, dans les Mémoires de l'Académie de Toulouse, 1852, p. 404. (2) Histoire générale de Languedoc, tom. IX, p. 202.

Lupi, Sénéchal de Toulouse, et ensuite le Vidame d'Amiens, et il prenait le titre de damoiseau 1.

Guillaume d'Alaman était seigneur de Villeneuve-surVère 2, on en trouve la preuve dans les annales' manuscrites de Cordes. On y lit, en effet, que jaloux de leurs prérogatives, les consuls de cette ville élevèrent des plaintes, en 1325, contre Guillaume Alaman, qui prétendait avoir le droit de juger un meurtrier, arrêté par ses vassaux sur le territoire d'Amilhavet, dans la juridiction de Cordes. La date de cette réclamation adressée au Juge de l'Albigeois, Guillaume Bosc 3, nous autorise à croire que le seigneur qui s'était livré à cet abus de pouvoir, était le même que le damoiseau que nous avons trouvé au service du roi de France contre les Anglais. Mais vingt-deux années s'étaient écoulées, et touchant à la vieillesse, d'Alaman avait abandonné l'agitation des camps pour vivre retiré dans sa seigneurie de Villeneuve, château fort, comme il y en avait tant alors dans l'Albigeois. C'est là que Raimon de Cornet nous le fait retrouver.

Moine, troubadour, érudit même, Raimon de Cornet prit plaisir à lutter de verve contre plusieurs poëtes de la Langue-d'Oc. L'un de ces poëtes fut Guillaume d'Alaman. Cornet, dans la tenson mentionnée en tête de cet article, provoque le seigneur de Villeneuve, devenu chevalier, et lui rappelant son passé et le souvenir de ses aïeux, il le raille sur sa vie sédentaire et indolente, et aussi sur sa sordidité, ne lui épargnant pas les traits de la plus brutale satire.

D'Alaman, à son tour, après avoir dit ironiquement le peu de cas que les troubadours faisaient du moine-poëte, l'attaque sans pitié dans ses déréglements, le fait ressouvenir (v. 18) des dangers qu'il courut l'année précédente *, à Avignon, pour avoir pris part à l'hérésie des Beguins, et ter

(1) Histoire générale de Languedoc, tom. IX, p. 254.

(2) Aujourd'hui dans le département du Tarn, arrondissement d'Albi. (3) Voy. C. Compayré, Etudes historiques sur l'Albigeois, pag. 395 et 396.

(4) C'est-à-dire en 1326, si l'on prend le mot antan dans son acception rigoureuse. (Cf. la note sur A xxx, 17, ci-après p. 152).

mine en lui reprochant son goût pour les noces et les ta

vernes.

Cette double composition est d'une langue et d'une versification correctes; le dialogue dans lequel les deux interlocuteurs s'attaquent est vif et animé, mais grossier et trivial, et il faut convenir que le gentilhomme ne s'y montre pas au-dessous de son antagoniste. Voilà donc un noble seigneur qui tenait aussi bien la plume que l'épée, et l'on ne comprend pas les motifs qui ont porté les auteurs de la Biographie toulousaine à écrire les lignes suivantes, à propos de Bernard de Panassac, auquel est consacré l'article précédent:

<<< La noblesse de Panassac fut peut-être un obstacle de >> plus qu'il eut à vaincre, pour avoir la liberté de se livrer >> tout entier à la poésie. Ce talent gracieux tombait insen>>siblement dans un complet discrédit; les gentilshommes, >> contents de savoir signer leur nom, n'en voulaient pas apprendre davantage. Le plus grand nombre même trem>> pait son gantelet dans l'encrier, et l'apposant sur le pa>> pier, suppléait ainsi à une signature qu'il était incapable >> de tracer1. ».

>>

Nos recherches nous montrent, au contraire, les lettres romanes cultivées avec soin dans le Midi, au XIV° siècle, et la noblesse du pays prenant part à ce mouvement de l'intelligence, qui alors surtout se produisait plus particulièrement au sein des classes élevées de la société.

La tenson entre Raimon de Cornet et Guillaume d'Alaman ne porte pas de date, mais elle a dû être composée en 1327, comme il résulte du vers 18, déjà cité plus haut. Supposé que le mot antan eût dans ce vers une signification moins précise que celle de « l'an dernier », la pièce serait, dans tous les cas, antérieure à l'année 1333, car ce que Guillaume d'Alaman dit, par ironie, à son interlocuteur, de la violette que lui valaient chaque année ses chansons, nous semble établir que Raimon de Cornet n'avait pas encore alors obtenu le prix qu'il remporta à la suite du concours de 1333, et qui fut justement la violette d'or.

(1) Biographie toulousaine, au mot Panassac.

III.

Arnaud d'ALAMAN

(A, xxxii)

Dans notre précédente notice, nous avons pu consigner quelques particularités biographiques, susceptibles de faire. apprécier l'état de Guillaume d'Alaman. Nous serons moins heureux à l'endroit de messire Arnaud, que nous ne connaissons que par le titre du partimen qu'il proposa au moine Raimon de Cornet. Arnaud d'Alaman, qui descendait peutêtre, comme le seigneur de Villeneuve, d'un frère de Sicard d'Alaman, principal ministre des deux derniers comtes de Toulouse, provoque Raimon en le conviant à disserter doctement sur cette question presque théologique : Où aimerait-il mieux être jour et nuit, en paradis, malgré Dieu, si cela se pouvait, ou en enfer, s'il plaisait à Dieu qu'il en fût ainsi?

Raimon opine pour le séjour en Paradis, dût-il désobéir à Dieu et à sa Sainte Mère; d'Alaman accepte l'enfer, se soumettant en cela, comme en toutes choses, à la volonté divine. C'était là, comme on le voit, une de ces controverses oiseuses, qui eurent longtemps cours dans les écoles, et dont la poésie du Moyen-Age nous offre tant de bizarres échantillons.

Il paraît s'être conservé une autre copie du partimen de R. de Cornet et d'Arnaut d'Alaman dans le ms. de M. Gil y Gil, dont il a été déjà question ci-dessus, p. ix, n. 1. Il y a pour rubrique (s'il s'agit bien en effet de la même pièce): Aquesta canso feu en R. de C. ab Nauran (= N'Arnau, comme l'a déjà conjecturé Milà) Alaman, donzel d'Albi 2.

(1) La descendance de Sicard d'Alaman finit avec Sicard, son fils; mais il avait un frère, Doat ou Deodat, qui fut peut-être l'ancêtre commun de Guillaume et d'Arnaud d'Alaman.

(2) Revue des langues romanes, X, p. 232.

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