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état plus ou moins fragmentaire, 44 pièces de Raimon de Cornet, huit de Pey de Ladils (dont quatre chansons et trois danses), plus deux tensons entre ces deux poëtes, et quatre autres entre Raimon de Cornet et les poëtes déjà mentionnés plus haut Pey Trencavel, Guilhem Alaman, Guilhem Gras, Arnaut Alaman. Le premier ms. nous a en outre conservé, comme partie intégrante du recueil de Raimon de Cornet, une chanson de Bernard de Panassac, et de plus, avec les noms de Guilhem de Fontanas et de Johan de Fontanas, un couplet de chacun de ces personnages, et le nom seulement d'Arnaut Daunis. En y joignant les auteurs des quatre pièces dont nous avons fait tout à l'heure abstraction, c'est en somme quatorze poëtes que nos mss. nous font plus ou moins connaître 1. Nous consacrerons ici une courte notice

(1) Un autre ms., signalé depuis nos premières recherches par Mila y Fontanals (Voy. Revue des langues romanes, X, 224), et qui appartient à M. Gil y Gil, professeur à l'Université de Sarragosse, contient un certain nombre de compositions, quatorze au moins, de Raimon de Cornet, parmi lesquelles il n'est possible, grâce à l'insuffisance de la description de Mila, d'en identifier que quatre avec les nôtres, savoir: Vers d'en Ramon de Cornet Ar vey lo mon = A xx; canso apellada Saumesca feu en R. de C. A x (?) ; feu en R. de C. com deu hom jogar als escachs (= A XLVII); - Canso que feu en R. de C. ab Nauran (Arnau) Alaman donzel d'Albi = A XXXII (?).

- Aquesta Serventes que

Le même ms. contient une « canso que feu Mossen Bernart de Panasach donzel e fo coronada », laquelle n'est peut-être pas différente du vers qui est rapporté et commenté dans la glose de Cornet (A xxvIII). Nous n'avons pu, à notre grand regret, obtenir la copie de cette chanson, non plus que des autres pièces du ms. de M. Gil, dont la collation nous eût sans doute permis d'améliorer notre texte et de le compléter en plusieurs endroits.

Ajoutons que la pièce no 1 de notre second ms. (B) se trouve aussi dans un autre ms., conservé comme celui de M. Gil y Gil, en Espagne, et qui appartient à M. Aguilo y Fuster, de Barcelone. Elle y a pour - rubrique : « Lo bell guarda-cors que feu fra Ramon de Cornet. » Voy. Revue des Langues romanes, XIII, 59.

Ces deux mss. ne sont pas d'ailleurs les seuls, en dehors des nôtres, qui aient conservé le nom de Raimon de Cornet. Une longue composition de lui, le Doctrinal de trobar, qui manque dans nos mss., se trouve

à chacun d'eux, réservant pour la fin le principal, à savoir Raimon de Cornet. Nous commencerons par Bernard de Panassac et les antagonistes de Raimon de Cornet dans les quatre premières tensons.

Les principaux genres de la poésie lyrique provençale sont représentés dans nos mss., téls que les ont connus les anciens troubadours, et que les définissent les Leys d'Amors, savoir :

la Chanson;

le Vers, genre que les Leys distinguent du précédent avec une précision que la poétique précédente ne connaissait pas, comme on le voit par les compositions mêmes qui reçoivent de leurs auteurs l'une ou l'autre de ces qualifications, et par les vers souvent cités d'Aimeric de Peguilhan 1; le Sirventes;

la Tenson et le Partimen;

la Danse;

le Planh (n° 49);

la Cobla esparsa (no 18).

avec une glose, ou commentaire en prose, de Joan de Castelnou, membre du Consistoire toulousain, dans un ms. de la Bibl. nationale de Madrid, qui n'est lui-même qu'une copie récente d'un ms. de Barcelonne brûlé en 1835, sur lequel on peut voir Villanueva, Viaje a las Iglesias de España, XVIII, 203, et Milà y Fontanals: 1° dans ses Trovadores en España, p. 477-480; 2o dans la Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 1876, nos 19 à 21. Nous publions cet ouvrage en appendice, avec la glose de Castelnou, d'après une copie qu'a bien voulu se charger de faire exécuter pour nous M. Paz y Melia, de la Bibl. nationale de Madrid. D'un autre ms. du Doctrinal et de la Glose il ne s'est conservé que le dernier feuillet. Il fait partie du recueil de Miscellanées de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan coté D. 465. 8 inf. Nous en devons une copie à l'obligeance de M. Ascoli et de M. Luigi Stoppato. Ce fragment est surtout précieux en ce qu'il contient une lettre d'envoi de Joan de Castelnou, intéressante pour la biographie de Cornet, et en général pour l'histoire littéraire, et qui manque dans le ms. de Madrid. On lit à la suite, d'une autre main : « L'archetypo era in berg. in fo magg. a colonne in mano de Pietro Galesio. >>

(1) Cf. Diez, die Poesie der Troubadours, 2o édit.,

p. 71.

On y trouve encore:

la Corona (n° 19);

la Trufa ou plaisanterie (n° 51).

Ces deux dernières dénominations ne se rencontrent, à notre connaissance, non plus que celle de versa (A 11), nulle part ailleurs1.

En dehors des genres lyriques, nos mss. nous offrent :

La Glosa (A XXVIII), dont il n'existe qu'un autre échantillon dans ce qui nous reste de la poésie provençale, à savoir la pièce où Guiraut Riquier commente et explique (declara) la célèbre chanson de Guiraut de Calanson sur l'amour 2;

La Pistola ou Letras (A III-vi), variété du genre didactique, qui fut très cultivée au déclin de la poésie provençale, par Guiraut Riquier spécialement, et dont les poëtes toulousains trouvaient le modèle dans les œuvres de n'At de Mons, leur compatriote, si souvent cité par les Leys d'amors, et qu'on apprenait alors volontiers par cœur3;

Une longue pièce (B ), en vers décasyllabiques à rimes plates, sorte de traité de morale, dont chaque précepte est exprimé en un distique;

Enfin une prière (B v), dans la même forme que les Letras, c'est-à-dire dans celle des novas rimadas, selon la terminologie des Leys (I, 138) *.

I.

Bernard de PANASSACK

(A, xxvIII)

Jusqu'à ce jour, on ne connaissait de Bernard de Panassac que son nom inscrit en tête de la liste des sept fonda

(1) Pour la Trufa, voy. pourtant le passage du ms. encore inédit des Leys d'amors cité ci-après, p. 157, dans la première note sur A LI. (2) Mahn, die Werke der troubadours, IV, 210.

(3) Voy. Leys I, 216, III, 220. Cf. ci-après, p. 12, v. 75 de la pièce ш. (4) Cf. Guiraut-Riquier (Mahn Werke IV, 131).

(5) Notice déjà publiée, avec la chanson de B. de Panassac, dans les Mémoires de l'Académie des Sciences de Toulouse, 1852, p. 85.

teurs du Collège de poésie, institué à Toulouse en 13231. On pouvait néanmoins supposer que de Panassac, comme chacun de ceux qui se donnèrent l'honorable mission de perpétuer dans le Languedoc la culture des lettres romanes, au commencement du XIVe siècle, avait lui-même cultivé la poésie lyrique d'après les règles fixées par les anciens troubadours. Ce fait est mis hors de doute par la composition que le premier de nos mss. nous a conservée. C'est un vers qui, à l'époque où il fut composé, passa sûrement pour un coup de maître, le poëte ayant, par une sorte de raffinement allégorique, assez obscurément conduit son sujet pour que l'on pût y trouver aussi bien une invocation à la Vierge Marie qu'une déclaration d'amour à quelque noble châtelaine. A cette occasion grand dut être l'émoi parmi les poëtes du Midi, et surtout au sein du noble Consistoire de Toulouse. L'équivoque poésie devint sans doute un motif d'appréciations diverses, de jugements passionnés; d'aussi peu considérables débats n'occupent-ils pas encore quelquefois nos loisirs académiques?

Pour comprendre l'importance que l'on put attacher, au commencement du XIV° siècle, au vers de Panassac, il faut se rappeler que les fondateurs du Collège de la Gaie-Science avaient voulu que cette institution fût exclusivement religieuse. Toulouse et le Languedoc, après avoir tant souffert des guerres qui eurent pour prétexte la répression de l'hérésie albigeoise, passèrent, avec cette exagération que les méridionaux apportent en toutes choses, sous la bannière catholique. De cette date jusqu'à l'époque de la Renaissance, il n'y eut dans cette ville d'autre poésie académique que celle dans laquelle on célébrait Dieu, la Vierge et les Saints. Les œuvres profanes, comme les chants patriotiques et quelques compositions sur des sujets indifférents, devaient même recevoir un cachet d'orthodoxie dans le couplet final, qui était adressé à Dieu et plus souvent à la Vierge Marie. Il était absolument interdit aux poëtes de la nouvelle école

(1) Voy. C. Chabaneau, Origine et établissement des Jeux floraux, t. X, p. 183 de l'Histoire générale de Languedoc, édit. Privat.

de puiser leurs inspirations dans l'amour des dames 1. Et voilà que l'un de ceux qui ont posé des lois si sévères, le promoteur peut-être de cette institution, si l'on tient compte du rang que son nom occupe en tête de la liste des sept fondateurs, est suspecté d'avoir désobéi à la loi suprême.

Ce fut pour démontrer les pures intentions de Panassac (ce qui suffit pour nous autoriser à penser qu'elles avaient été incriminées), que le moine Raimon de Cornet, son contemporain, crut devoir prendre la plume à son tour. Dans une glose versifiée, ce fécond poëte entreprit de démontrer que le vers de Panassac avait été composé en l'honneur de la Vierge. C'est même à la glose de Cornet que nous devons la conservation de ce qui nous reste de l'œuvre du mainteneur d'amour. Enfin, d'après le commentateur (et l'on peut l'en croire), l'auteur du vers n'aurait pas failli à la nouvelle charte littéraire; c'est bien le doux servage de la Reine des cieux qui est célébré dans cette poésie mystique, obscure, embarrassée, se traînant à travers des images communes, empruntées à la vie des femmes de haut parage du temps. Tout le mérite de cette pièce consiste à laisser un moment l'esprit en suspens. Au reste, elle est écrite en «< roman » pur, comme on devait l'attendre d'un docte académicien.

La glose de Raimon de Cornet offre un genre particulier d'intérêt elle nous fournit sur Bernard de Panassac un renseignement précieux qui nous manquait. Le titre porte: Glose sur le Vers de messire Bernard de Panassac, seigneur d'Arrouède, nous faisant par là connaître la patrie de celui-ci. Et, dès le début, Cornet dit que Bernard de Panassac, du comté d'Astarac, fit un vers fort courtois, etc.

Or, Arrouède est une commune limitrophe de celle de Panassac, comprise aujourd'hui dans le département du Gers, et dans l'arrondissement de Mirande, appartenant anciennement l'une et l'autre au comté d'Astarac.

Bernard de Panassac était donc Gascon, et les auteurs de

(1) Voy. Leys d'amors, 1er ms. fo 67 ro (Hist. de Languedoc, X, 198199.)

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