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de terre. De pareils présents étaient faits habituellement par les moines lorsque les donateurs, ou leurs fils, confirmaient de précédentes donations.

J'ai cité ailleurs les abbayes de Troarn, d'Ardennes et de Fontenay près de Caen, comme possédant, au XIIIe siècle, des haras considérables; elles n'étaient pas moins riches en bétail de toute espèce (vaches, porcs, moutons): elles avaient cela de commun avec nombre d'autres abbayes ou prieurés, et l'on ne saurait trop relire le bel ouvrage de M. Léopold Delisle, membre de l'Institut, sur l'État de l'agriculture en Normandie au moyen-âge (1).

On attribue encore aujourd'hui aux moines de St-Hubert ( Ardennes) la race ardennoise de chevaux, qui a des qualités particulières. Il n'est pas douteux que, dans chaque contrée, les abbayes étaient des fermes-modèles où l'on perfectionnait les races les meilleures, en même temps que l'on y cultivait les meilleures espèces de plantes et de céréales.

Les viviers, pour la multiplication du poisson, étaient encore une des principales sources de production dans plusieurs abbayes: ainsi, à Morimond (Haute-Marne), les moines, en formant des étangs, avaient admirablement mesuré la pente nécessaire, l'imperméabilité des couches inférieures, le volume d'eau, le groupement des bassins, la masse des chaussées, le niveau nécessaire à la salubrité.

Enfin quelques abbayes réunissaient, comme je le disais tout à l'heure, les travaux industriels aux travaux agricoles: on y voyait, par exemple, des frères brasseurs ( brassarii), des frères huiliers (olearii), des frères corroyeurs (corriarii), des frères foulons (fullones), des tisserands, des cordonniers, des maréchaux, des charpentiers, etc. Chaque série avait son frère inspecteur ou contre-maître, et à la tête de tous ces travailleurs était un père directeur ou patron qui distribuait la besogne: il existait trèsanciennement, dans l'abbaye de St-Florent de Saumur, une manufacture où les moines tissaient des tapisseries ornées de fleurs et de figures d'animaux. Cette manufacture devint très-florissante, et, en 1133, l'abbé de St-Florent, Mathieu de Loudun, y fit exécuter une tenture complète pour son église. Dans le chœur, c'était les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse ; dans la nef, des chasses et des bêtes fauves (Mabillon, 115).

J'ai déjà fait comprendre combien les bâtiments consacrés à l'exploitation se distinguent, dans les abbayes, de ceux réservés à la vie

(1) Un volume in-8° de 758 pages. Évreux, 1851,

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Vue du prieuré de St-Vigor, au commencement du XVIIIe siècle.

1. Grande porte du prieuré. 2. Église de la paroisse. 3. Basilique du prieuré avec sa nef ruinée. 4. Salle capitulaire. 6. Grande salle. 7. Bibliothèque.
8. Dortoir. 9. Réfectoire. 10. Logements des hôtes, 11. Infirmeries. 12. Cour intérieure. 13. Ecuries. 14. Pressoir. 16. La grange. 18. Charteries
et magasins.

intérieure des religieux; la vue que voici du prieuré de St-Vigor près Bayeux, tel qu'il existait au XVIIe et au XVIIIe siècle, montre d'autant mieux la disposition des bâtiments claustraux relativement aux bâtiments ruraux, que ces derniers (12, 13, 14, 15, 16), sont du XIIIe siècle, au lieu que les deux cloîtres et les édifices habités par les moines étaient modernes.

Les riches seigneurs rivalisaient avec les moines pour faire progresser l'agriculture: témoin Henri de Tilly, seigneur de Fontaine-Henry, qui, par son testament (pièce infiniment curieuse), donnait, avec beaucoup d'autres choses, à l'abbaye d'Ardennes, où il fut enterré, son haras, ses bœufs, ses brebis, ses chèvres de Séville et son palefroy. dedit etiam abbatiæ de Ardena haracium et boves et

.....

oves et capras de Sevilla...... et palefridum suum (1).

Partout les riches seigneurs faisaient aux abbayes des largesses qui prouvent l'importance de leurs productions chevalines (2); mais ils ne négligeaient pas les autres productions.

Marin Onfroy, seigneur de St-Laurent-sur-Mer, entre Bayeux et Isigny, enrichissait, vers le même temps, la Normandie d'une espèce de pommes à cidre qui a conservé son nom (le Marin·Onfroy) et qui

(1) Voir le fragment de ce curieux document publié dans le tome Ier de ma Statistique monumentale du Calvados, p. 360.

(2) Ainsi, vers 1070, Gérold donna à l'abbaye de Saint-Amand la dîme de ses juments de Roumare; vers 1082, Gautier et Raoul Dastin accordèrent aux moines de la Couture le même droit sur les juments qu'ils pouvaient avoir tant à Vezins, dans l'Avranchin, que dans toute autre localité de la Normandie. En 1086, Roger enrichit l'abbaye de Saint-Wandrille de la dîme de ses haras de la forêt de Brotonne. Henri 1er confirma à Saint-Georges de Bocherville la dîme des juments de Raoul, chambellan de son père, Avant que Roul, fils d'Anserede, aumonât aux moines de Saint-Waudrille la dîme de Beaunai, ceux de Saint-Evroul y prenaient la dîme des juments. Les Taisson enrichirent de la dîme de leurs haras l'abbaye de Fontenay. Le prieuré de Saint-Fromond reçut de Robert du Hommet la dîme de ses poulains; les moines de SaintSever, la dîme des juments de Hugues, comte de Chester; l'abbaye du Val, en 1124, la dîme des juments normandes de Goscelin de La Pommeraie. Vers 1155, Guillaume le Moine donne à des religieux de Montebourg la dîme des poulains de ses cavales sauvages, appartenant au manoir de Néville en Cotentin. Parmi les biens que Robert Bertrand, à la fin du XIIe siècle, confirma au prieuré de Beaumont-en-Auge, on remarque la dîme de ses juments et de ses poulains, et, dans sa grande charte pour l'abbaye de Saint-Evroul, le comte de Leicester parle du haras de Montchauvet. (Études sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie, au moyen-âge, par M. Léopold Delisle, )

a le mérite d'être excellente cuite et de se garder plus longtemps que les autres (1).

Ce goût des riches seigneurs pour l'agriculture nous conduit à conclure que les cours annexées à leurs châteaux étaient entourées d'écuries, de magasins, d'étables et d'autres bâtiments. C'est ce que prouvent le petit nombre de constructions rurales du XIIIe siècle, qui subsistent encore dans quelques manoirs.

Dans le manoir d'Ouilly, près Falaise, nous trouvons l'édifice suivant

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qui, à l'intérieur comme à l'extérieur, offre les mêmes caractères que les constructions monastiques précédemment examinées. La cour du manoir baronnial de Douvres, appartenant aux évêques de Bayeux, renferme un bâtiment de la même dimension et du même style, et la porte d'entrée offre, comme celle d'une abbaye, deux ouvertures: une pour les charrettes, l'autre pour les gens à pied.

(1) Recherches de M. l'abbé De La Rue,

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