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les abbayes ont offert dans les premiers siècles du moyen-âge les principales dispositions qu'elles avaient dans les siècles suivants : j'emprunterai à la Chronique de l'abbaye de Fontenelle (depuis abbaye St-Wandrille (Seine-Inférieure) un passage prouvant qu'il en était ainsi dans cette abbaye comme dans beaucoup d'autres.

Gervold, qui gouverna pendant dix-huit ans le monastère de Fontenelle, à la fin du VIIIe siècle (de 787 à 806), et qui avait été chargé par le monarque de fonctions importantes (1), fit réédifier l'infirmerie, les cuisines, le chauffoir, et plusieurs autres parties de l'abbaye (2). Andegise, qui devint abbé en 823, entreprit des travaux plus considérables. La Chronique de Fontenelle donne sur les constructions de cet abbé des détails du plus haut intérêt: il fit bâtir un dortoir ayant 208 pieds de longueur sur 27 pieds de largeur et 64 pieds de hauteur. On voyait, au milieu de ce dortoir, une pièce en saillie ayant un pavé composé de pierres artistement disposées (probablement une mosaïque) et dont le plafond était décoré de peintures. Les fenêtres étaient vitrées : le chêne avait été employé pour toutes les boiseries (3).

Andegise fit construire un autre édifice qu'il divisa en deux parties; l'une servait de réfectoire, l'autre de cellier. Lcs murs et les lambris

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(1) Hic nempe Gervoldus, super regni negocia Procurator constituitur per multos annos, per diversos portus ac civitates exigens tributa atque vectigalia, maxime in Quintawich (Quintovic, port de mer en Picardie). Chronicon Fontanellense, cap. XVI, apud Spicilegium d'Achery, in-4°, t. III, page 230; apud Bouquet, t. V, p. 315.

(2) Caminatam fratrum à fundamentis ædificavit... domum etiam infirmantium fratrum emendare studuit. Coquinam fratrum jam penè dirutam in majori elegantia reparavit. Sacrarium Ecclesiæ à fundamentis ædificavit, Scholam in eodem cœnobio esse instituit. Chronicon Fontanellense, caput xvi, apud Spicilegium d'Achery, édit. in-4°, t. III, p. 230.

(3) Edificia autem privata ab ipso cœpta et consummata hæc sunt: In primis dormitorium fratrum nobilissimum construi fecit, longitudinis pedum ducentorum octo, latitudinis verò vigenti septem: porrò omnis ejus fabrica porrigitur in altitudine pedum sexaginta quatuor; cujus muri de calce fortissima ac viscosa, arenaque rufa et fossili, lapideque tofoso ac probato constructi sunt. Habet quoque solarium (probablement un appartement en saillie au milieu de la façade ) in medio sui pavimento optimo decoratum, cui desuper est laquear nobilissimis picturis ornatum. Continentur in ipsa domo desuper fenestræ vitreæ, cunctaque ejus fabrica, excepta maceria, de materia quercuum durabilium condita est: tegulæque ipsius universe clavis ferreis desuper affiæ; habet sursum trabes et deorsum.

du réfectoire furent peints par Maldalulfe, peintre habile de l'église de Cambrai (1).

Un troisième corps-de-logis, appelé la grande maison, s'éleva plus tard par les soins du même abbé; il renfermait un appartement avec cheminée et touchait d'un côté au réfectoire, de l'autre au dortoir: comme ces deux derniers bâtiments devaient être, d'après la Chronique, en contact avec l'église, du côté du nord, il est facile de tracer le plan du couvent de Fontenelle à cette époque: il devait se composer d'une cour carrée enclose au midi par l'église, à l'est par le dortoir, à l'ouest par le réfectoire, au nord par un grand bâtiment dont on n'indique pas la destination.

Il est probable qu'il y avait à l'ouest une seconde cour renfermant les magasins, les écuries, les granges et les autres dépendances du couvent.

Le long des constructions dont la Chronique de Fontenelle nous donne une description si intéressante, et à l'intérieur de la cour, se trouvaient des portiques construits par ordre d'Andegise et dont le toit et la charpente reposaient sur des pilastres.

On le voit, dès cette époque, les maisons conventuelles étaient disposées à peu près comme elles l'ont été dans les siècles suivants. L'église bordait d'un côté la cour du cloître. Cette disposition, que nous retrouvons dans toutes les abbayes qui subsistent, paraît avoir été trèsanciennement consacrée.

(1) Post quod ædificavit aliam domum quæ vocatur refectorium, quam ita per medium maceria ad hoc constructa dividere fecit, ut una pars refectorii, altera foret cellarii de eadem videlicet materia similique mensura sicut et dormitorium, quam variis picturis decorari in maceria et in laqueari fecit à Madalulfo egregio pictore Cameracensis ecclesiæ. -Tertiam nempe fecit domum egregiam construi, quam majorem vocant, quæ ad Orientem versa ab una fronte contingit dormitorium, ab altera adhæret refectorio: ubi cameram et caminatam, necnon et alia plurima ædificari mandavit..... Item ante dormitorium refectorium, et domum illam quam majorem nominavimus, porticus honestos cum diversis pogiis ædificari jussit, quibus trabes imposuit, ac juxta mensuram eorumdem tectorum in longum extendit. In medio autem porticus, quæ ante dormitorium sita videtur, domum cartarum constituit. Domum vero, qua librorum copia conservaretur quæ græcè pyrgiscos dicitur, ante refectorium collocavit, cujus regulas clavis ferreis configi fecit.

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Chronicon Fontanellense, apud Spicilegium d'Achery, tome III, p. 238, 239, 240.

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A Fontenelle, le cloître était placé au nord de l'église, mais dans beaucoup d'autres maisons religieuses il était au midi je suppose même, à en juger par ceux qui nous restent de différents siècles, que cette orientation était la plus ordinaire dans les contrées septentrionales où l'on avait besoin de se mettre à l'abri du froid, eţ de placer les bâtiments d'habitation de manière à les faire jouir du soleil autant que possible.

Dans ses constructions à Fontenelle, Andegise n'avait pas oublié la bibliothèque: elle était près du réfectoire, les rayons ou planches qui portaient les livres étaient fixés avec des clous en fer; le chartrier se trouvait près du dortoir. On voyait aussi à Fontenelle, près de l'abside de l'église, une salle pour les délibérations et qui devait répondre à ce que dans la suite on a appelé la salle capitulaire dans les abbayes (1).

Je pourrais citer beaucoup de passages de chroniques attestant l'importance qu'on attachait aux deux corps-de-logis renfermant le réfectoire et le dortoir; cette dernière pièce se trouvait habituellement dans le bâtiment qui fermait le côté oriental de la cour, et dont l'une des extrémités joignait le sanctuaire ou le transept de, l'église.

Je crois aussi qu'en général on décorait plus particulièrement cette partie des abbayes que les autres; nous avons dit tout à l'heure qu'à l'abbaye de Fontenelle, on voyait, au milieu du dortoir, un appartement en saillie remarquable par la beauté de son pavé et de ses peintures; le dortoir d'une abbaye construite près du Mans dans la première moitié du IXe siècle, par Aldric, évêque de cette ville, offrait aussi, vers le centre, une espèce d'abside bâtie avec élégance (2); le réfectoire, construit en même temps, était aussi remarquable.

(1) Jussit præterea aliam condere domum juxta absidam Basilica sancti Petri ad plagam septentrionalem, quam conventus sive Curiæ, quæ græcè Beleuterion dicitur, appellari placuit ; propter quod consilium in ea de qualibet reperquirentes convenire fratres soliti sint. Ibi namque in pulpito lectio quotidie divina recitatur, ibi quidquid regularis auctoritas agendum suadet deliberatur. Chron. Fontanel. apud Spicileg. d'Achery, t. III, in-4o, p. 239.

(2) Hic (Aldricus) namque fecit in loco in quo olim canes et meretrices sive latrones habitare solebant, monasterium supra fluvium Sarthæ, milliario et semis à jam dicta urbe (Le Mans) distante, in honore sancti Salvatoris et sanctæ Dei genitricis Mariæ et sanctorum martyrum Stephani, Gervasii et Prothasii et omnium sanctorum. In quo et dormitorium novum decenter compositum fecit, et in ipso dormitorio absidam in orientali parte mirificè con

struxit...

Fecit quoque in ipso monasterio refectorium novum et nobiliter compositum, et cetera officina fratrum, tam cellaria quàm et alia oficina mirabiliter et

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Voilà donc le plan des cloîtres et des bâtiments conventuels du VIIIe et du IXe siècle assez bien indiqué, sans peut-être pourtant offrir la régularité que nous trouvons aux XIIe et XIIIe siècles.

L'église, élément nouveau que nous n'avions pas dans les maisons romaines, forme à elle seule, comme je l'ai déjà dit, tout un côté du carré ; les trois autres sont consacrés aux usages de la vie. En regard de la basilique se trouvent le réfectoire, la bibliothèque, etc., etc. ; à l'ouest, les magasins, les parloirs et quelquefois la cuisine; à l'est, la salle capitulaire, les dortoirs et quelques pièces moins importantes. Cette distribution a été fidèlement observée dans les siècles suivants. La destination de l'appartement nommé solarium dans la Chronique de Fontenelle était évidemment une espèce de salon ou de galerie au premier étage, puisqu'il était attenant au dortoir; on remarquera que cette pièce se trouve placée comme le tablinum des maisons de ville, lieu où l'on recevait les étrangers et qui était orné de tableaux et de peintures; appartement que l'on trouvait aussi dans les villæ, avec cette différence que, d'après ma conjecture, il était au premier étage.

L'appartement placé au milieu de la partie orientale du cloître, qui lui-même remplace l'atrium corinthien des grandes maisons romaines (Voir l'Abécédaire d'archéologie (ère gallo-romaine) et le t. III de mon Cours d'antiquités), fut plus tard réservé à la salle capitulaire. Il paraît que cette salle était, au IXe siècle, à Fontenelle, toute voisine du solarium, mais elle en était distincte.

Ornementation des constructions civiles de la première époque romane (du ̃V• au Xe siècle ).

I

L serait difficile d'indiquer, d'une manière précise, les moulures et les autres éléments de la décoration des constructions mérovingiennes et carlovingiennes; mais, de ce que celles-ci étaient l'imitation des grandes maisons romaines, on peut conclure qu'elles leur empruntèrent

decenter construxit et regulariter ordinavit, monachisque ad inhabitandum condidit.

Voir Gesta Aldrici Canomanensis urbis episcopi, in lib. III. Stephani Baluzii Miscellaneorum, p. 45.

aussi leurs appareils extérieurs ou revêtements et tout leur système de décoration, autant que l'abaissement de l'art le permettait. Les pavés en mosaïque, employés avec profusion, on peut le dire, sous la domination romaine, prirent leur place dans les grands édifices civils comme dans les églises. On dut reproduire les mêmes dessins avec plus ou moins d'habileté, mais il est permis de croire que l'on s'attacha à exécuter des compartiments géométriques plutôt que des figures d'êtres vivants, à cause de la difficulté qu'offraient ces dernières images.

La peinture murale, aux Ve, VI, VIIe et VIIIe siècles, et même plus tard, était aussi une imitation des peintures murales galloromaines. Nous avons vu que le solarium de l'abbaye de Fontenelle était pavé en mosaïque; qu'il était peint, ainsi que le réfectoire, par un artiste habile appelé de Cambrai ; les moulures devaient être, comme les peintures, une imitation de ce qu'offrent les restes des constructions romaines. On peut, d'ailleurs, se reporter à celles que j'ai indiquées comme usitées à cette époque pour l'architecture religieuse.

Nul doute que les combinaisons de briques, figurant quelques dessins symétriques au milieu du petit appareil, ne fussent usitées dans les

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Revêtements extérieurs de murailles de la première période romane.

constructions civiles comme elles l'étaient dans les édifices religieux, comme elles l'avaient été même dans les murs de défense au Mans, à Cologne et ailleurs, sous la domination romaine. Les losanges, les billettes peu saillantes, le ciment épais mêlé de briques et détachant les pièces de l'appareil les unes des autres, étaient encore des moyens de décoration fréquemment usités.

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