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ALBERT SARTIAUX

A l'âge de 76 ans, est mort en 1921, dans son hôtel du boulevard de Courcelles, à Paris, M. Albert Sartiaux, Ingénieur en chef honoraire de l'Exploitation de la Compagnie du Chemin de fer du Nord, ancien commissaire technique de ce réseau pendant une grande partie de la guerre, président de nombreux conseils d'administration de sociétés, ancien conseiller municipal de Pontoise, Grand Croix de l'ordre de la Légion d'honneur et titulaire, en outre, de multiples décorations françaises et étrangères.

Le nom de M. Albert Sartiaux est trop connu dans toute la banlieue Nord de notre arrondissement, qui compte comme habitants un nombre si grand d'employés de chemin de fer, pour qu'il soit nécessaire de s'étendre ici sur le passé de ce technicien qui avait, à force de travail et de volonté, réussi à faire du réseau du Nord un modèle d'ordre, de progrès et de régularité.

Ce grand ingénieur avait toutes les qualités d'un véritable conducteur d'hommes, et il le montra dès le début de la guerre.

S'il était intraitable sur le chapitre de l'exactitude, il était juste et il était bon. S'il exigeait de ses subordonnés un labeur opiniâtre, il donnait lui-même l'exemple du labeur, et tous ceux qui, de près ou de loin, ont vécu la vie du cheminot sur le réseau qu'il dirigeait en fait, ont rendu depuis longtemps cet hommage au grand chef qui disparaît aujourd'hui en laissant tant de souvenirs.

C'est à Pontoise que M. Sartiaux résidait pendant la saison d'été. Il y habitait une propriété voisine de celle de son beau-père, M. Félix Mathias, auquel il avait succédé comme ingénieur en chef de la Compagnie, dont le souvenir est inséparable de celui de Mme Mathias,

bienfaitrice des œuvres de cette ville, dont la crèche Sainte-Émilie garde pieusement la mémoire.

Au moment d'une élection partielle au conseil municipal de Pontoise, M. Albert Sartiaux fut nommé à cette assemblée. Il fut réélu à plusieurs reprises et, malgré les hautes fonctions qu'il occupait et dont les lourdes charges l'accablaient d'un labeur écrasant, il est incontestable qu'il apporta toujours à la ville de Pontoise son concours le plus entier, dont, peut-être, malgré les apparences, l'influence ne pouvait échapper à ceux qui le sollicitaient.

Dans tous les problèmes difficultueux de notre administration locale, les municipalités ne firent jamais en vain appel à ses conseils, et quand ils réfléchissent aux conceptions du cerveau remarquablement organisé de M. Albert Sartiaux, ce n'est pas sans un serrement de cœur que les vieux Pontoisiens peuvent justement regretter qu'il ne soit pas resté plus longtemps parmi eux.

La haute intelligence de M. Albert Sartiaux s'appliquait à la recherche des plus grands intérêts nationaux. Il fut un des premiers à comprendre le rôle gigantesque de la force électrique et, d'autre part, son projet du tunnel sous la Manche, s'il est un jour réalisé, aura des conséquences économiques incalculables. Mais la France, surtout, lui devra éternellement une part dans l'une des victoires décisives remportées dès le début de la guerre. La « course à la mer » de 1914 fut la grande bataille des transports, dans laquelle la Compagnie du Nord fit le plus gigantesque effort.

Lorsque le gouvernement, qui avait élevé M. Albert Sartiaux à la plus grande dignité dans l'ordre de la Légion d'honneur, témoigna au réseau du Nord la reconnaissance du pays, lorsque la Société Industrielle du Nord lui décerna sa grande médaille pour avoir bien mérité des régions dévastées et sauvées, « le souvenir d'Albert Sartiaux, écrit un de nos confrères, était présent à tous les esprits et à tous les cœurs ». Son nom restera inscrit au livre d'or des chemins de fer français.

C'est en 1917 que M. Albert Sartiaux quitta la direction des services de l'Exploitation du réseau du Nord, où il fut remplacée par M. Javary. Au moment de la première grève des cheminots, M. Albert Sar

tiaux fut l'organisateur de la défense des réseaux et, à cette époque, un auteur fait de lu ce portrait synthétique en l'appelant « l'homme qui n'a pas perdu le Nord ». Or, lors de la dernière tentative de grève, ce furent les employés du Nord qui firent échouer le mouvement projeté.

M. Albert Sartiaux laisse deux fils, MM. Félix et Édouard Sartiaux, dont le premier occupe dans la même Compagnie le poste élevé de chef des Services administratifs.

Les obsèques de M. Albert Sartiaux ont eu lieu à Paris, le 13 octobre 1921, au milieux d'une affluence considérable.

Le deuil était conduit par ses fils, MM. Félix et Édouard Sartiaux. Citer les personnalités présentes, serait donner la liste de tout le haut personnel, non seulement de la Cie du Nord, mais de tous les réseaux français.

Mentionnons donc seulement la présence de MM. les membres du Conseil d'administration de la Compagnie et de M. Javary, ingénieur en chef de l'exploitation, entouré des chefs de service.

Le Gouvernement était représenté par M. le général Berdoulat, gouverneur militaire de Paris; M. le Président de la République, par M. le commandant du génie Fontana.

Derrière le cercueil, les insignes de Grand'Croix de la Légion d'honneur reposaient sur un coussin voilé de crêpe; sur un autre coussin étaient épinglées les nombreuses décorations du défunt.

A l'arrivée du corps, ainsi qu'à la sortie de l'église Saint-Charles de Monceau où avait lieu le service mortuaire, les honneurs militaires furent rendus par des troupes de la garnison de Paris, échelonnées sur l'avenue de Villiers et dans les rues adjacentes.

Un général de division commandait ces troupes: 5°, 24°, 103° régiments d'infanterie avec leurs drapeaux; le 6 dragons et le 13° d'artillerie.

Au cimetière Montmatre, où se fit l'inhumation, deux discours furent prononcés par M. Griolet, vice-président du Conseil d'administration de la Cie du Chemin de fer du Nord, et par M. Bénac, viceprésident du Conseil d'administration de la Cie parisienne d'électricité.

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Le chanoine EUGÈNE MÜLLER

(1834-1918)

« Encore des Mémoires! Décidément c'est une manie d'ung chascun d'as« sourdir les oreilles du genre humain de ses petites affaires. »

C'est ainsi que l'abbé Müller commence les Étapes de sa vie, imprimées en 1910.

Saint-Simon raconte que François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, composa son oraison funèbre, et ne laissa même pas à d'autres le soin de rédiger son épitaphe. Beaucoup de grands hommes nous ont laissé leurs Mémoires. Facile alors est la tâche de l'historien, qui n'a plus qu'à transcrire.

Tel est mon rôle aujourd'hui.

"Je naquis, c'était en septembre, à Chantilly. Un fabricant de grands « hommes m'a prié à plusieurs reprises et même, parait-il, sur l'indication « très flatteuse de l'Évêché d'alors, de tracer, de mon petit personnage de «< curé de campagne, une Autobiographie et de prendre place dans son Pan<< théon.

<«< J'ai constaté que toujours cela commence par Il naquit. C'est judi<«< cieux, car, ainsi que l'enseigne merveilleusement saint Thomas d'Aquin, « Prius est esse quam sic esse; avant d'ètre quelqu'un ou quelque chose << une bénédiction ou un fléau, il il faut être, simpliciter. »

Il naquit à Chantilly le 20 septembre 1834. « A Chantilly, c'est-à-dire « dans le cœur de la vieille France, où le génie fait d'audaces calmes et « réfléchies, de passion de la lumière, de bon sens et de goût, a créé l'ar<«<chitecture gothique, obtenu de la langue sa supérieure aptitude à tra<< duire les opérations de l'esprit et poussé les arts à une perfection d'en« semble incomparable. »

Son père, graveur sur bois, était de Sigriswil, canton de Berne, et par conséquent luthérien. Sa mère appartenait à une famille normande de Neufchâtel (Seine-Inférieure). Elle devait, par ses vertus, plus que par ses paroles, amener son époux au catholicisme.

Ses parents quittèrent Chantilly pour Beauvais, où il fréquenta l'école de la rue des Pandoirs (1).

« Le maître, M. Pellerin, avait un beau type d'homme d'autorité : visage << encadré d'une forte barbe, couleur de jais, lunettes d'or scintillant sur << un nez robuste, poignet solide, sabot au bout d'une jambe, qui semblait << s'allonger comme un ressort, commandement net. »

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« L'instrument, dont Dieu se servit pour le conduire au sacerdoce, fut «< l'abbé Lebègue, aumônier de l'Hospice, cachant un esprit fin sous une enveloppe vulgaire, et un cœur essentiellement dévoué sous une réputa«<tion de farceur incorrigible. Hardi! lui criait-il de sa fenêtre, lorsqu'il « le voyait, malgré sa petite taille, s'escrimer des poings et des pieds dans << des querelles de jeu. Hardi! il est brave ce gamin, ça fera un bon prê

<< tre. >>

Il le présenta à l'abbé Marielle, lors supérieur du Petit Séminaire de Saint-Lucien. Il y passa six années d'études les plus heureuses de sa vie. C'est là qu'il commença des amitiés, qui ne firent que croitre depuis, dans la fidélité aux mêmes principes robustes de foi, de confiance en Dieu, de dédain des honneurs, par exemple avec l'abbé Joseph Griez, aumônier à l'École militaire et professeur au collège de Juilly, dirigé par l'Oratoire, qui cultivait «< avec un soin égal la poésie et sa barbe » et méritait d'être rangé au nombre des versificateurs latins les plus habiles de France; avec l'abbé Vachette, dont les honneurs, ou plutôt les charges monastiques d'abbé mitré, de vicaire général de son ordre, ont déconcerté les plans de vie obscure et cachée.

Au Grand Séminaire, le bon et dévoué abbé Duporcq le choisit pour préparateur de physique. Il devint catéchiste au Collège et grand réfectorier. Sa théologie n'était pas achevée, qu'il dut partir pour remplacer à SaintLucien l'abbé Lefèvre, professeur de cinquième, qui, malade, allait prendre le poste moins enfermé de préfet de discipline. Quelques semaines après, il fut appelé au sous-diaconat, et au sacerdoce en 1859.

Le professorat pour lui était une œuvre surnaturelle, qui saisissait l'enfant tout entier, mettait en valeur ses qualités natives, aiguisait en lui le sens du vrai, du bien et du beau. Il estime, sans être pour cela un esprit révolutionnaire, que la pédagogie ne s'improvise pas.

« Mais, ajoute-t-il, pourquoi, à cette époque de ma vie, n'avais-je pas le « sens de ce tempérament divin qu'il faut faire de l'énergie et de la ten«dresse; de l'infinie condescendance avec laquelle il faut s'incliner vers les <<< petits et les demi-rompus; de ce miel d'amabilité qu'il est évangélique <«< de mettre sur le bord de la tasse lorsque le devoir exige qu'on fasse boire << au prochain l'amertume inévitable d'un reproche; de l'effet fâcheux que « produit l'abus de l'esprit caustique. Bref, l'on ne m'avait pas initié suffi<< samment aux arcanes de la pédagogie. >>

(1) Ils habitaient rue du Poivre-Bouilli, aujourd'hui rue de Buzenval, en face de l'Hospice.

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